Selon le Service canadien de jumelage des résidents (SCJR), 31,7% des diplômés des facultés de médecine canadiennes avaient fait de la médecine familiale (MF) leur premier choix de discipline en 2006. C’est une amélioration par rapport à 24,8% en 2003, mais une baisse substantielle en comparaison des années 1990, où plus de 35% des étudiants avaient fait ce choix.
Comme étudiants en médecine, nous avons observé beaucoup d’idées préconçues sur la MF et considérons la situation comme un échec de marketing durant les premières années d’études. Les éléments négatifs sont souvent exagérés et les caractéristiques positives passées sous silence. Au nombre des attributs dont on ne parle pas figurent la possibilité d’une carrière diversifiée et flexible, les défis de la pratique et la capacité de «maintenir notre indépendance» aux côtés de n’importe quelle autre spécialité médicale. À la lumière de ces faits, nous proposons une nouvelle méthode pour faire de la MF le premier choix de carrière d’un plus grand nombre d’étudiants en médecine: un meilleur marketing.
Programme caché
Bon nombre des réformes apportées se résument à des incitations financières et sont axées sur la pratique pour les médecins en pratique active. Par ailleurs, ces réformes ne règlent pas directement la question fondamentale des moyens à prendre pour encourager les étudiants en médecine à choisir une carrière en MF. En dépit ou à cause de ces changements, beaucoup d’étudiants n’optent pas pour la MF parce qu’ils la considèrent comme une spécialité en plein tumulte1. Avant tout, plusieurs sont influencés tôt durant les études par ce qu’on appelle souvent le «programme caché» qui représente faussement la MF.
Une opinion cachée et pernicieuse persiste dans de nombreux services de médecine hospitaliers (auxquels les étudiants en médecine sont le plus fréquemment exposés), voulant que la MF soit une discipline adoptée par des gens qui «ne peuvent pas faire mieux». Aussi insultante que puisse être cette opinion, elle existe bel et bien dans le «programme caché»2. Beaucoup d’étudiants n’ont aucune exposition à la médecine familiale autre que celle de leur expérience personnelle en tant que jeunes patients. Par conséquent, les notions préconçues à propos de la MF sont limitées et les opinions des étudiants sont influencées par leurs pairs et leurs modèles à imiter. Dans un tel environnement, les attitudes négatives et le dénigrement se perpétuent sans que des messages convaincants et cohérents ne les contestent.
La meilleure défense est souvent une bonne offensive. Nous avons pour but de changer la perception de la MF. Les groupes concernés devraient remettre en question activement le programme caché en mettant en évidence les attributs que les étudiants trouvent les plus attrayants dans une carrière en MF; mais ce n’est pas une suggestion inédite. L’American Academy of Family Physicians a récemment produit une trousse d’outils3 qui réfute les préoccupations erronées des étudiants à propos de la MF.
Pour changer les perceptions, la meilleure technique est d’utiliser celle avec laquelle les 20 à 30 ans sont les plus familiers: la publicité et le marketing. Cette idée n’est pas originale non plus: le Département de médecine familiale de l’Université du Manitoba a fait produire une stratégie de marketing pour améliorer le recrutement4. Une stratégie de marketing professionnelle pour l’ensemble de la spécialité devrait identifier ce qui motive, intéresse et influence les étudiants en médecine. Ces renseignements peuvent servir de fondement à une campagne efficace pour promouvoir la MF et remettre en question activement le programme caché.
Public cible
Il faut d’abord identifier le public cible parmi les étudiants en médecine. Il est impossible de vendre un produit à tout le monde - même Coca Cola a un marché ciblé. Lorsque l’entreprise s’est rendue à l’évidence que le Coke n’était pas attrayant pour un grand segment de la population, elle a créé le Coke Diète et elle continue d’essayer de plaire à d’autres sous-groupes en créant divers produits. Le même concept s’applique à la MF. Par exemple, on pourrait promouvoir diverses options de troisième année de résidence (p. ex., omnipraticien en oncologie ou auprès des MF pratiquée exclusivement en cabinet intéresse moins. En présentant la MF comme bien plus que l’image traditionnelle de «Norman Rockwell», elle peut être vue comme une carrière aussi stimulante, flexible et intéressante que les autres spécialités.
On peut diviser les étudiants en médecine en 3 groupes: ceux en faveur de la MF, ceux contre et les indécis. Le premier groupe se compose des étudiants qui s’intéressent à la MF depuis le début, qui répondent ou non à tous les critères de sélection (p. ex., antécédents en milieu rural, femmes, plus âgés, mariés, axés sur la personne) que les facultés utilisent comme prédicteurs d’un choix de la MF4. Le deuxième groupe est formé des étudiants qui souhaitent ardemment depuis le début poursuivre une carrière dans d’autres domaines de la médecine. Le troisième groupe, comme dans le monde de la politique, représente les étudiants indécis et c’est dans ce groupe que le potentiel d’augmenter le recrutement en MF est le plus grand.
La science du marketing nous enseigne que, dans chaque groupe cible, il y a des leaders, souvent au centre de leurs groupes sociaux. Leur opinion est respectée par leurs pairs. Une campagne bien ciblée pourrait modifier le choix de carrière des indécis en influençant l’opinion des leaders. Nous ne connaissons pas bien les caractéristiques de la MF qui plaisent le plus aux leaders ou aux indécis. Certains croient que la reconnaissance officielle des médecins de famille à titre de spécialistes est une solution5. C’est une notion fondée sur l’intuition plutôt que sur les données probantes. En pratique clinique, nous analysons les données scientifiques avant d’offrir un traitement. La même chose s’applique pour la promotion et le recrutement: une compréhension scientifique des étudiants enmédecine s’impose.
Une fois le public cible cerné, il faut ensuite utiliser les techniques publicitaires pour communiquer et changer les perceptions. Il existe depuis des années du matériel promotionnel réfutant le programme caché, produit par les départements de MF, attendant d’être lu. Pourquoi investir encore si le matériel est déjà là? Parce qu’il faut rejoindre ceux qui n’aspirent pas activement à une carrière en MF. Notre message est en concurrence avec des centaines d’autres. Dans ce cas, la perception est la réalité; en remettant en question le programme caché de manière convaincante dans l’esprit des indécis, la MF pourrait devenir un premier choix plutôt qu’un plan de rechange.
Techniques méritoires
Ce commentaire présente nos observations des 4 dernières années à la Faculté de médecine. Au lieu de proposer une solution précise, nous suggérons d’utiliser les techniques du marketing et de la publicité. Nous reconnaissons les questions éthiques entourant le traitement d’une carrière en MF comme un bien de consommation. Mais, compte tenu de la gravité de la situation, nous pensons qu’une campagne bien ciblée devrait être entreprise pour augmenter le nombre de médecins de famille parmi des étudiants qui tireraient beaucoup de satisfaction d’une telle profession. La corrélation étroite entre les soins de première ligne complets et un système de santé qui réussit à produire des résultats améliorés, équitables et rentables est bien établie6. Les changements de politiques et les brochures souvent ignorées n’ont pas le même potentiel de rejoindre les étudiants en médecine et de réfuter les stéréotypes négatifs au sujet de la MF qu’une remise en question bien articulée et mise en marché du programme caché.
Nous voulons susciter la discussion chez les parties intéressées à un recrutement futur solide en MF. Nous tenons à souligner que, selon nous, les efforts déjà entrepris pour résoudre la crise en MF sont précieux et efficaces. Mais il faut poursuivre les recherches pour mieux comprendre comment les étudiants en médecine voient la MF et les encourager en plus grand nombre à envisager la MF comme un choix qui pourrait parfaitement leur convenir.
Remerciements
Nous remercions nos nombreux collègues qui ont, depuis les 3 dernières années, aidé à rédiger cet article grâce à nos multiples discussions. Nous remercions aussi Dr Christine Palmay, Dr Wayne Weston, Dr David Keegan et Dr Kymm Feldman d’avoir réagi positivement à nos idées et de nous avoir encouragés à soumettre cet article pour publication.
Footnotes
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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