
Un nouveau jeu de société vient de faire son apparition: le Monopoly des listes d’attente. Le jeu commence par la distribution d’une part des milliards de dollars versés par le banquier fédéral aux joueurs qui représentent un gouvernement provincial ou territorial.
Les joueurs lancent le dé à tour de rôle et avancent sur les différentes cases de la surface de jeu. Selon la case, ils peuvent acheter des services d’hôpitaux et de médecins dans les «5 secteurs prioritaires»: cardiopathies, cancer, arthroplastie, chirurgie de la cataracte, études d’IRM. Quelques cases donnent la possibilité d’acheter des soins dans des domaines supposément moins prioritaires comme la maladie mentale, l’urgence, les maladies respiratoires, le diabète, l’arthrite, la santé des enfants et la multiplicité des autres problèmes rencontrés en soins de première ligne et en pratique familiale.
Pour les joueurs, le but du jeu est d’arriver à traiter tous leurs patients dans les 5 grandes priorités, dans le délai permis. Pour que tout soit clair et pour bien compter les points, les joueurs produisent régulièrement des rapports sur le nombre de patients traités dans les délais et de ceux qui attendent encore, et sur la façon dont ils ont dépensé l’argent.
Si les délais sont respectés, les joueurs évitent des pénalités. Par contre, sur les cases attribuées aux moins grandes priorités, les joueurs doivent piger une carte de «Chance» qui leur donne des indices comme «Si vous utilisez l’argent pour ces services, certains patients peuvent y gagner, mais vous perdrez probablement».
Les joueurs peuvent aussi piger des cartes de «Tricherie» ou de «Dissimulation». Les premières font paraître les joueurs sous un meilleur jour que leur méri-terait leur rendement, en permettant la distorsion des statistiques sur les patients traités ou la modification des délais à leur propre gré pour avoir l’air de mieux respecter les critères. Les cartes de «Dissimulation» donnent aux joueurs la possibilité d’éviter l’imputabilité publique en matière de patients traités et d’argent dépensé. Il y a aussi des cases de «Bonus» pour le banquier fédéral, qui peut alors changer les règles et permettre à des joueurs de gagner la partie en respectant les échéances dans une seule priorité de leur choix. Avant la fin de la partie, tous les joueurs auront habituellement reçu ce bonus.
Les médecins de famille doivent être des joueurs pré-pondérants dans tous les jeux de listes d’attente. Si nous applaudissons les progrès réalisés dans les 5 catégories prioritaires, nous maintenons fermement que le système ne devrait pas ignorer les délais d’attente, des soins de première ligne aux soins quaternaires, pour les millions de patients dont le diagnostic n’appartient pas aux priorités désignées. Les sondages auprès des médecins et des patients confirment que ces préoccupations sont bel et bien ignorées.
L’absence initiale d’attention accordée aux problèmes d’accès vécus par les patients en dehors des 5 priorités et le déni subséquent par les gouvernements de la diversion des ressources et de l’augmentation afférente des temps d’attente pour ces patients sont inacceptables. Il n’est pas acceptable non plus de mesurer les délais d’attente à partir de la consultation d’un spécialiste plutôt qu’à compter du moment où le diagnostic est confirmé et qu’une consultation est demandée par un médecin de famille. Cette méthode, qui n’est pas centrée sur le patient, sous-estime la durée réelle de l’attente par ces patients.
Les Canadiens répètent constamment que leurs principales inquiétudes à propos des temps d’attente sont les suivantes: se trouver un médecin de famille, l’attente d’un rendez-vous chez un spécialiste à qui leur médecin a demandé une consultation et l’engorgement des urgences. Aucune de ces préoccupations n’est identifiée comme secteur prioritaire dans le jeu des listes d’attente. Ceux qui ont un médecin de famille ont signalé avoir un meilleur accès et sont plus satisfaits à l’endroit de toutes les parties de notre système de santé. Mais tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas un plus grand nombre de dispensateurs de soins de santé, nous pourrions très bien donner des coups d’épées dans l’eau à essayer de réduire les délais d’attente et d’améliorer l’accès aux soins.
La bonne nouvelle? Une nouvelle version du jeu des listes d’attente est en production pour élargir les 5 priorités et laisser jouer d’autres intervenants, dont les médecins de famille, les urgentologues et d’autres spécialistes auparavant négligés, de manière à ce que leurs patients aient une chance d’en bénéficier. Par ailleurs, le banquier n’aura probablement pas plus d’argent à distribuer entre un plus grand nombre de joueurs. Si on veut garantir l’accès aux soins aux patients des 5 priorités et à ceux des autres catégories diagnostiques dans les délais prescrits, il faudra peut-être examiner d’autres options de financement. Certains se réjouissent de cette possibilité, d’autres croient qu’elle détruira le jeu.
Le Monopoly des listes d’attente a été amusant pour certains, mais ces règles ont été trop laxistes et ont exclu un trop grand nombre de joueurs. La nouvelle version du jeu pourrait peut-être régler ces problèmes. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine: si les gouvernements décident de ne pas jouer, tous seront perdants.
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