Au Canada, la pénurie de médecins de famille fait mal. Ils n’arrivent pas à satisfaire à la demande de soins, toujours grandissante, d’une population vieillissante. Les infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne sont-elles la solution? Non. Elles constituent une menace pour la profession.
Le propre de la profession
Explorons d’abord ce qui est le propre de la profession médicale. Chaque jour, le médecin consacre son temps à questionner, examiner, investiguer, diagnostiquer et prescrire des traitements. Peu à peu, d’autres intervenants ont réclamé leur part du gâteau. Chacun a voulu élargir son champ de compétence, empiétant du coup sur notre territoire. Les physiothérapeutes questionnent, les inhalothérapeutes examinent, les chiropraticiens investiguent et les pharmaciens prescrivent. Bien mince consolation, il reste aux médecins le diagnostic, chasse gardée entre toutes.
Et arrive l’infirmière praticienne. À elle seule: elle questionne le patient sur sa santé; elle l’examine si elle le souhaite; elle peut demander des examens, voire même réaliser des techniques invasives; elle diagnostique des conditions médicales simples et courantes; elle prescrit des traitements et ajuste ceux déjà en cours.
Alors que reste-t-il au médecin de famille?
La règle actuelle prévoit que l’infirmière praticienne travaille en collaboration avec un médecin associé et doit se référer à ce dernier lorsque la situation dépasse sa compétence. Cela implique aussi que le médecin se porte garant des actes de son infirmière, même s’il ne la supervise pas directement. Avec tous les privilèges qui lui sont accordés, le problème peut évoluer long-temps avant d’en arriver à ce que l’infirmière le perçoive comme étant hors de sa zone de confort. Et le rôle confié alors au médecin de famille consiste-il uniquement à référer au spécialiste lorsque les limites du savoir-faire de son infirmière praticienne sont atteintes? Est-ce vraiment cela qui nous attend?
L’essence de la médecine de famille: le suivi à long terme
La prise en charge:
Le lien de confiance qui se bâtit au fil des rencontres et des années, amenant le lien thérapeutique à un autre niveau. Cette notion de suivi à long terme est intrinsèque à la médecine de famille et permet de soigner au-delà de la maladie. Ce lien est déjà atténué avec la prise en charge explosée de bien des patients qui impliquent plusieurs spécialistes. Alors si on dilue encore plus ce contact en le ponctuant de visites à l’infirmière praticienne, qu’en restera-t-il? Finie cette complicité qui guérit quelquefois aussi bien que la science.
Une autre question encore:
Quel est le besoin réel des cliniques médicales concernant les infirmières praticiennes? À mon avis, il se situe au niveau du soutien pour la prise en charge des patients. Selon mon expérience, le nouveau modèle québécois de première ligne qui propose l’implantation des groupes de médecins de famille et des infirmières cliniciennes sous ordonnance collective, a démontré le bien-fondé de la collaboration médecin-infirmière, ainsi que son efficacité au plan de la prise en charge et du suivi. Mais a-t-on encore besoin de dupliquer les rôles? N’y a-t-il pas un chevauchement de responsabilités à craindre si l’infirmière praticienne prend la première place?
Et si on pousse encore, l’infirmière voudra accentuer sa présence jusqu’à prendre une clientèle en charge. Actuellement, le phénomène commence à se produire et on assiste à l’ouverture de cabinets d’infirmières praticiennes sans médecin. Déjà un pied sur la pente dangeureuse de la professionnelle indépendant.
Alors à ce moment, l’infirmière praticienne ne sera ni plus ni moins qu’un substitut de médecin de famille.
Questions d’argent
Là où le bât blesse encore plus, c’est que cette nouvelle super infirmière prend 5 ans à former, contrairement à 7 pour un médecin de famille. (On peut ici s’interroger sur l’équivalence entre ces 2 formations académiques, de durée et de contenu si distincts…comment peut-on arriver au même standard de soins par des chemins si différents?) L’infirmière sera donc 2 ans de plus sur le marché du travail, et elle travaille à un coût beaucoup moindre si on le compare à celui d’un médecin. La moitié du prix. Pour un gouvernement aux prises avec des dépenses toujours plus importantes dans le domaine des soins de santé, l’alternative devient plus qu’alléchante.
Certes, il manque de médecins, mais il manque aussi d’infirmières! Prendre aux pauvres pour donner aux pauvres ne crée pas de gagnants! Le Ministère de la Santé et des services sociaux estime qu’il manquera 4 900 infirmières au Québec d’ici 3 ans et 7 300 dans 7 ans. Qui ira-t-on chercher pour les remplacer?
Un allier ou un adversaire?
Oui, l’infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne est une menace pour le médecin de famille. Elle ne sera pas le renfort et le soutien que chacun espère, mais une professionnelle qui dispute et revendique les mêmes champs de pratique que le médecin de famille.
Voilà pourquoi l’infirmière représente un danger potentiel pour les médecins de famille car elle est en compétition directe dans notre champ de compétence. Nous en convenons tous, on ne peut pas être contre la vertu: l’accessibilité aux soins doit demeurer la priorité dans ce dossier. Je suis, par contre d’avis qu’une amélioration des soins passe d’abord par une meilleure utilisation des ressources humaines déjà en place et par une optimisation des rôles de chacun, et non par un chevauchement des responsabilités.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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L’infirmière praticienne oeuvre dans des domaines propres à la profession médicale soit l’investigation, le diagnostic et le traitement de conditions de santé.
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L’infirmière praticienne interfère dans la relation thérapeutique entre le médecin et son patient et en dilue l’essence.
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L’infirmière praticienne est une professionnelle moins onéreuse aux yeux des gouvernements payeurs, mais avec une formation aux standards très différents.
Footnotes
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This article is also in English on page 1668.
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Interets concurrents
Aucun déclaré
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Les auteurs pourront réfuter les arguments de leur opposant dans Réfutation, dans un prochain numéro.
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