Avant de répondre à la question, il faudrait se demander pourquoi elle est soulevée à ce moment précis. Après tout, le concept des infirmières praticiennes (IP) n’est pas nouveau. Les IP et les auxiliaires médicaux (AM) ont été initialement instaurés aux États-Unis il y a plus de 40 ans, en réponse à une pénurie de médecins1. Le nombre des IP et des AM a augmenté progressivement, et ils exercent maintenant un rôle important et accepté dans les soins de santé états-uniens. La qualité des soins qu’ils dispensent est bien documentée2. Récemment, la controverse à propos des IP a resurgi aux États-Unis à la suite de la création de cliniques dirigées par des IP dans des magasins à grande surface, notamment chez Wal-Mart3,4. Le nombre des infirmières praticiennes est loin d’être suffisant pour prendre le contrôle du monde des soins de santé aux États-Unis; en fait, le nombre d’IP diplômées aux États-Unis a fléchi de 20% entre 1998 et 20051, une baisse attribuable à une pénurie générale d’infirmières et à un intérêt moins prononcé pour les soins infirmiers comme choix de carrière.
Au Canada, les IP sont appelées à élargir les services fournis par les médecins, spécialisés ou de première ligne. La première clinique régie par des IP a ouvert ses portes à Sudbury, en Ontario, l’an dernier5. Parmi les obstacles à la multiplication des IP au Canada figurent l’absence d’un modèle de financement et de possibilités de formation clinique et de stages pratiques, à une époque où les facultés de médecine font face à une augmentation des inscriptions. À cela s’ajoutent la nécessité d’offrir des possibilités aux médecins diplômés à l’étranger de parfaire leurs compétences et, dans une certaine mesure, la résistance de la part des médecins. Comme c’est le cas aux États-Unis, cette résistance s’exerce plutôt envers les IP en tant que fournisseurs indépendants de soins de santé qu’envers les IP en tant que telles.
Trier les préoccupations
Le danger réside dans le fait que les préoccupations entourant l’élargissement du rôle des IP, ou des AM dans ce cas, puissent faire oublier la menace réelle qui pèse sur les médecins de famille. Après tout, très peu de médecins pratiquent encore véritablement de manière indépendante. Ils travaillent de plus en plus en groupes multidisciplinaires, comme les équipes de santé familiale en Ontario, non seulement dans l’intérêt de leurs patients, mais aussi pour eux mêmes et leur famille. Moins de résidents choisissent la médecine familiale complète comme carrière. Les médecins de famille ne peuvent pas, et veulent de moins en moins tout faire. Ils sont aussi moins enclins à s’installer dans des régions mal desservies que ne le sont les IP et les AM6. À cet égard, les médecins diplômés à l’étranger ne diffèrent pas des diplômés au Canada. Si bon nombre d’entre eux commencent leur carrière en milieu rural comme voie d’accès au système, la plupart d’entre eux retournent en milieu urbain aussitôt que les circonstances le leur permettent.
Les véritables menaces pour les médecins de famille ne sont pas les IP. Il y a sans doute des IP qui voudraient remplacer les médecins de famille, mais la plupart de celles-là ont été frustrées de ne pas pouvoir utiliser toutes leurs compétences. Les infirmières ne sont pas nécessairement partisanes d’un mouvement en faveur des IP qui serait motivé par un plan d’action politique visant à résoudre la pénurie de médecins, mais qui ne tiendrait pas compte de la pénurie d’infirmières ni ne valoriserait les infirmières en raison de leurs compétences et contributions uniques7. Il est dans l’intérêt des responsables du financement des soins de santé d’encourager la concurrence entre les divers fournisseurs de soins primaires indépendants. Alors que dans les systèmes financés par le secteur privé, les coûts moindres, donc les profits supérieurs, alimentent la motivation, dans un système public, en plus des coûts, il faut aussi se préoccuper d’assurer un nombre suffisant de «corps chauds» (une expression que j’ai entendue d’un recruteur qui disait: «J’ai besoin d’un corps chaud pour cette ville») là où l’on en a besoin.
Établir de nouveaux partenariats
Nous ne devrions pas nier ni minimiser les problèmes entre les IP et les médecins de famille. Ces questions font l’objet de débats aux États-Unis8 et au Royaume-Uni. Un éditorial publié dans le British Medical Journal9 et le Nursing Times parlait franchement des problèmes hommes-femmes et socioculturels sous-jacents dans la famille dysfonctionnelle des soins de santé. Comme les auteurs l’expliquaient si bien: «Depuis des décennies, nous envisagions les professions comme une famille nucléaire conventionnelle avec un médecin-père, une infirmière-mère et un patient-enfant. Mais notre espoir de sagesse et de protection totale du père est abandonné, notre souhait de protection et de confort total de la mère est irréalisable, et le patient a grandi. Un nouveau partenariat à 3 devrait remplacer cette famille en voie de disparition»9. Il faudra du temps pour établir ce partenariat à 3. Oui, la politique peut être féroce. Dans certaines provinces, des infirmières et des bureaucrates du gouvernement ayant des antécédents en soins infirmiers ont essayé d’arrêter l’arrivée des AM pour les même raisons que certains médecins ont tenté d’arrêter l’expansion des IP. En tant que coordonnatrice en 2004 pour les premiers étudiants auxiliaires médicaux dans l’armée canadienne à Winnipeg, j’ai observé les mêmes préoccupations de la part des infirmières à propos des AM que celles exprimées par les médecins concernant les IP. Mais les AM ne posent pas de menace sérieuse aux IP, et les IP ne menacent pas sérieusement les médecins de famille.
Le temps est venu pour les médecins de famille et les IP de se concentrer sur ce qu’ils ont en commun: le souci du bien-être des patients, et le désir qu’on respecte et reconnaisse leurs rôles uniques et souvent difficiles. Ces 2 groupes doivent s’unir pour faire face à une menace réelle: un système qui manifeste souvent peu de respect pour les dispensateurs de première ligne, qu’ils soient médecins ou infirmières. Ensemble, les médecins et les IP doivent exiger un système de santé qui est véritablement centré sur le patient, qui écoute les opinions et les inquiétudes de ses dispensateurs de première ligne, parce que ce sont eux qui connaissent le mieux le système, et qui ne traite pas ses praticiens comme des biens de consommation.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Des études ont démontré que les infirmières praticiennes et les auxiliaires médicaux peuvent fournir une part considérable des soins de première ligne, et qu’ils ont tendance à être plus disposés à travailler dans les régions mal desservies.
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Les infirmières praticiennes sont considérées comme une menace par certains médecins de famille qui craignent qu’elles n’usurpent leur rôle; par contre, on a tellement besoin de fournisseurs de soins de première ligne que les divers praticiens doivent apprendre à travailler ensemble dans l’intérêt des patients.
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Il faudrait exposer au grand jour les rapports hommes-femmes et les question d’ordre socioculturel entre les infirmières et les médecins, et en discuter ouvertement si on veut vraiment les résoudre.
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Les infirmières praticiennes et les médecins de famille font face à la même menace: un système de santé qui donne préséance à son plan d’action politique plutôt qu’à la sécurité et aux bien-être des patients, et qui dévalorise ses fournisseurs de soins de première ligne.
Footnotes
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This article is also in English on page 1669.
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Les auteurs pourront réfuter les arguments de leur opposant dans Réfutation, dans un prochain numéro.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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