
Il y a quelques années, alors que j’allais pour l’entretien de mon auto, le garagiste m’a proposé de vérifier la transmission. Comme mon automobile allait très bien, je lui ai demandé si c’était vraiment nécessaire. «C’est préférable et c’est recommandé par le constructeur» m’a-t-il répondu. Mais comme j’allais accepter, il a ajouté: «Je dois toutefois vous aviser que la transmission de votre automobile est particulièrement compliquée; si nous devons la réparer, il est probable que d’autres problèmes s’en suivront. Et je tiens à vous avertir que nous ne garantissons pas les résultats!» Devant un tableau si sombre, j’ai remercié le garagiste pour son honnêteté, et j’ai choisi de ne pas procéder à cette vérification. Heureusement, puisque lorsque ma vieille Volvo a fini par rendre l’âme, plusieurs années plus tard, elle tombait littéralement en ruine, mais la transmission fonctionnait toujours à merveille.
Cette histoire m’amène au dépistage du cancer de la prostate. Le cancer de la prostate est indéniablement une maladie fréquente et grave. Chaque année, au Canada, approximativement 20 000 hommes apprennent qu’ils en sont atteints et quelques 4000 en meurent. Pourtant, malgré son importance et sa gravité, nous demeurons toujours aussi dépourvus face à cette maladie: aucune prévention n’a fait ses preuves et les traitements donnent des résultats plutôt modestes, si l’on considère le ratio mortalité-incidence (4000:20 000). En réalité, le seul espoir que nous ayons est de découvrir le cancer à un stade précoce en postulant que les traitements soient alors plus efficaces qu’à un stade avancé et en souhaitant que le pronostic et la survie soient meilleurs. D’où les recommandations émises par plusieurs sociétés savantes et groupes d’experts qui favorisent le dépistage systématique. Ce qui se traduit par le message largement diffusé: «Faites vérifier votre prostate».
Toutefois, ces recommandations ne font pas l’unanimité. Certains opposants soulignent avec justesse que le dépistage n’est pas sans conséquence. Il génère beaucoup d’anxiété et amène des investigations qui, a posteriori, se révèlent souvent inutiles. Mais le pire reproche que l’on fait au dépistage systématique est certainement que l’on n’ait jamais réussi à démontrer de façon rigoureuse l’efficacité de cette mesure. Aucune étude populationnelle comparative ne prouve que cette mesure prolonge de façon significative la survie de ceux qui y ont adhéré comparativement à ceux n’ayant pas été dépistés. Sans compter que les conséquences du dépistage et des traitements qui en découlent ne sont pas négligeables: un bon nombre d’hommes opérés demeurent impuissants et incontinents et plusieurs développent des complications chirurgicales ou radio thérapeutiques, à plus ou moins long terme. En d’autres mots, on ne sait pas si le dépistage systématique du cancer de la prostate prolonge vraiment la survie mais en contre-partie, on sait qu’il engendre une morbidité significative et compromet sérieusement la qualité de la vie.
Cet imbroglio met les médecins de famille dans une position délicate coincés qu’ils sont entre les recommandations favorables de plusieurs lignes directrices et les avis controversés qui questionnent sa valeur. Et le pire est certainement d’être confronté à un patient chez qui le diagnostic de cancer de la prostate métastatique vient juste d’être posé et qui vous dit: «Docteur, je ne comprends pas. Je vous ai consulté régulièrement. Comment cela se fait-il que vous n’ayez pas découvert ma maladie plus tôt? N’auriez-vous pas pu me faire passer des tests qui m’auraient permis de découvrir la maladie avant qu’il ne soit trop tard?»
Pour éviter de telles situations, certains prétendent qu’il faut en parler avec le patient en lui exposant les alternatives et en lui laissant le choix. Mais sommes-nous si certains qu’il s’agit là d’une option valable? Même pleinement informé des avantages et inconvénients, il demeure difficile de prendre une décision en pleine connaissance de cause lorsque tant d’impondérables et d’incertitudes se côtoient. Est-il préférable d’accepter le dépistage et encourir inutilement toutes ces complications inhérentes ou le refuser en se culpabilisant si la maladie surgit. Peu importe le choix qu’il fait, l’Homme perd à coup sûr. La plupart de mes patients à qui j’explique les enjeux finissent par me dire: «Vous docteur, qu’est-ce que vous en pensez? Que feriez-vous à ma place? Ou pire encore «Je vous fais confiance»!
Mais à bien y penser, cet imbroglio résulte des avis hâtifs des groupes d’experts. Pourquoi n’ont-ils pas attendu d’avoir la certitude que le dépistage systématique prolongeait effectivement la survie et améliorait la qualité de vie? Faudra-t-il dorénavant obliger les experts à suivre des cours de mécanique automobile? Car, si l’on offrait à quiconque une inspection (dépistage) d’une pièce (prostate) qui en apparence fonctionne bien en précisant que cette manœuvre risquerait d’endommager le système (impuissance, incontinence et complications thérapeutiques) et qu’en plus on ne garantissait pas la réussite, rare sont ceux qui accepteraient!
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