Les femmes les plus à risque en Amérique du Nord d’avoir un cancer envahissant du col de l’utérus et d’en mourir sont celles chez qui le test de Papanicolaou a «échoué»1, soit parce qu’elles n’ont pas passé l’éxamen ou qu’elles n’ont pas eu de suivi ou d’interventions appropriées. Si la pauvreté explique souvent cette situation, pourquoi alors un si grand nombre d’autres femmes ne subissent-elles pas le test2? La vaccination fera-t-elle une grande différence dans la vie des femmes à risque au Canada. Les données probantes actuelles laissent planer de sérieux doutes.
Valeur ajoutée?
Tout nouveau vaccin doit être évalué pour déterminer si son utilisation améliorera ce qui est déjà accessible et, dans l’affirmative, à quel prix3. Bon nombre de provinces n’ont pas de registre ou de programme structuré de dépistage du cancer; le suivi des résultats anormaux du test de Pap n’est pas uniforme; et les programmes de sensibilisation se battent pour obtenir du financement. Il est donc légitime de remettre en question l’instauration précipitée de programmes de vaccination dans les écoles avant d’avoir évalué en profondeur la contribution qu’apporterait la vaccination aux programmes existants déjà en quête de ressources et d’appui. Il est aussi déplorable qu’on ait instauré les programmes dans la confusion à la suite de vastes campagnes de marketing des compagnies pharmaceutiques, créant «la peur du cancer et l’ovation du vaccin»4. Ces prétentions erronées de «mettre fin au cancer du col» ont éclipsé l’éducation du public sur la faible prévalence des souches oncogènes du virus du papillome humain (VPH), du taux très élevé de disparition spontanée et de la lente progression des infections.
Les données à l’appui de décisions éclairées à propos de l’immunisation sont limitées. L’étude publiée sur le Gardasil, qui ciblait des jeunes filles de 9 à 15 ans, soit le groupe visé par les programmes de vaccination dans les écoles au Canada, ne présentait de l’information que sur l’immunogénicité et l’innocuité et ne parlait pas d’efficacité5.
Contexte plus large
L’immunisation n’est pas la seule approche à la prévention du cancer du col au Canada; la prévention secondaire au moyen des tests de Pap a déjà réduit la mortalité6. De plus, une visite médicale pour un test de Pap donne l’occasion de recevoir du counseling sur la contraception, la préconception, le tabagisme et l’alimentation, de subir un test de dépistage d’infections transmises sexuellement et d’avoir un bilan de santé.
Évidemment, il importe de se préoccuper des coûts (financiers et autres, publics et privés) du test de Pap, des interventions subséquentes pour les résultats de tests vrais et faux positifs et des répercussions d’un cancer du col envahissant sur le plan personnel. Mais il ne faut pas oublier non plus comment le dépistage du cancer du col - et la vaccination- se produisent dans un large contexte de soins de santé générale et de la reproduction qui ne sert pas toujours très bien les intérêts des femmes. Par conséquent, toute attention renouvelée pour la prévention du cancer du col demeurera problématique tant et aussi longtemps que la prévention se limitera à un débat artificiel entre ceux «en faveur» et ceux accusés d’être «contre» un vaccin. Il faut envisager la vaccination dans le contexte d’une stratégie bien plus globale de santé sexuelle et de la reproduction, où la réduction de la fréquence déjà relativement faible d’une morbidité et d’une mortalité du cancer du col (par rapport à d’autres cancers qui touchent les femmes) n’est qu’un objectif parmi d’autres.
Le simple ajout de la vaccination aux pratiques actuelles pour réduire le cancer du col peut se traduire par des coûts nets de millions $ pendant plusieurs années à venir7. Pourtant, il n’y a pas eu de débats publics à savoir si la vaccination constitue la meilleure utilisation des ressources à la lumière d’autres options qui ont aussi besoin de financement (p. ex., l’élargissement et l’amélioration du dépistage par le test de Pap; l’élaboration d’autres approches, comme le dépistage direct du VPH8 et la cytologie liquide; la mise en place de registres pour surveiller les programmes du test de Pap et pour consigner au dossier les rares effets secondaires du vaccin; et le repérage de celles qui, si elles sont vaccinées, pourraient avoir besoin d’un rappel).
Les coûts élevés prévus des programmes de vaccination portent à croire que leurs bienfaits— et leur rentabilité—ne se matérialiseront fort probablement pas dans des pays comme le Canada à moins qu’on apporte des changements substantiels aux programmes de dépistage et de traitement existants7,9. Cependant, il ne faudrait pas simplement remplacer les activités actuelles pour compenser le coût de la vaccination. Il faut d’abord obtenir toutes les données nécessaires à la prise de décisions stratégiques, y compris les données sur les coûts potentiels des occasions manquées; ce qui fonctionne maintenant, même s’il faut l’améliorer, ne doit pas être indûment sacrifié. De plus, nous devons éviter que la vaccination en masse instaurée à la hâte entraîne des effets iatrogènes qui pourraient survenir si, par exemple, celles qui sont vaccinées avaient un faux sentiment de sécurité et devenaient moins vigilantes à l’endroit du test de Pap et des moyens de réduire leur risque d’infections transmises sexuellement10.
La prudence
Étant donné les multiples inconnus que d’autres ont déjà mis en évidence11,12, nous continuons de préconiser la prudence dans l’approche de la vaccination en masse en santé publique. Nous favorisons une approche qui évite une vaccination précipitée des jeunes filles. La stratégie doit être fondée sur de solides données scientifiques prouvant que l’immunisation peut atteindre les objectifs décrits par ses promoteurs. Elle doit aussi répondre aux besoins globaux des filles et des femmes en matière de santé sexuelle et de la reproduction. Il faut aussi prendre en compte les services de santé disponibles, les besoins d’information de la population ciblée, les données sur la rentabilité et les coûts des occasions manquées dans l’établissement de la politique en santé publique pour un problème non épidémique pour lequel il existe déja des mesures de prévention secondaire (en évolution).
Nous ne sommes pas contre le vaccin. Nous sommes pour la promotion de la santé des femmes. Nous sommes fermement convaincues que mieux vaut prévenir que guérir. Mais la prévention doit être faite en pleine connaissance de toutes ses composantes. À l’heure actuelle, il reste difficile à justifier une dépense de 300 millions $ pour un programme précipité comportant seulement la vaccination, alors même que les fonds pour établir l’infrastructure nécessaire en santé publique n’ont toujours pas été versés et que de nombreuses questions pertinentes restent encore sans réponse. Nous avons le temps de procéder avec prudence et nous devr-ions le prendre.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Avant de commencer un programme de vaccination contre le VPH, il faudrait mieux connaître la prévalence de sa souche oncogène, le risque d’exposition et l’efficacité du vaccin dans la réalité.
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Il faut préciser les buts du programme de vaccination pour assurer l’élaboration des politiques d’immunisation les plus appropriés et viables.
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Il faudrait de nouvelles ressources pour des programmes novateurs de suivi du dépistage du cancer du col et de sensibilisation du public.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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