Pour les nouveaux arrivants au Canada, la prestation des soins de santé varie d’une province à l’autre. Au Nouveau-Brunswick, en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique, les nouveaux arrivants doivent attendre 3 mois avant de pouvoir s’inscrire à un programme d’assurance-santé provincial. Plusieurs d’entre eux se procurent une assurance-santé privée, mais ceux qui font partie du groupe des réfugiés sont souvent dans l’impossibilité de se payer une telle assurance.
Au départ, les nouveaux arrivants n’utilisent pas beaucoup les soins de santé, que ce soit les soins de première ligne ou de niveau tertiaire. Dans les provinces qui imposent un délai d’attente de 3 mois, le nombre de consultations par ces personnes auprès d’un médecin de famille augmente peu après cette période. Dans la mesure du possible, les nouveaux arrivants vont dans une clinique sans rendez-vous ou à l’urgence, jusqu’à ce qu’ils se trouvent un médecin de famille1. En règle générale, les nouveaux arrivants vont moins souvent chez le médecin que le reste de la population2–5.
Nouveaux réfugiés au Canada
Généralement, les nouveaux arrivants sont en meilleure santé que la population non immigrante. On appelle ce phénomène l’effet de l’immigrant en bonne santé5 On attribue ce phénomène au fait que le processus d’immigration est régi par l’auto-sélection. Ce processus a tendance à favoriser l’entrée de nouveaux arrivants en santé et bien éduqués4. Cet effet a cependant tendance à fléchir avec le temps. Après 10 années de résidence au Canada, ces nouveaux arrivants présentent un moins bon état de santé que les non-immigrants6. L’effet de l’immigrant en bonne santé n’est pas évident chez les réfugiés7; de fait, les réfugiés arrivent souvent avec des problèmes de santé en raison des conditions de vie dans les camps de réfugiés, et ont besoin de protections et de soins spéciaux dans leur nouveau pays, surtout au début de leur intégration4,8 .
Programme fédéral de santé intérimaire
Les nouveaux arrivants qui ont le statut de réfugiés au Canada peuvent présenter une demande au Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) pour des soins d’urgence et essentiels jusqu’à ce qu’ils soient acceptés dans un régime d’assurance médicale dans leur province de résidence. Ce programme, instauré en 1957, avait pour but d’aider les réfugiés incapables de payer pour des soins de santé essentiels et d’urgence, non couverts par un régime d’assurance-santé public ou privé9. Le Programme fédéral de santé intérimaire couvre aussi certains services essentiels non couverts par les programmes d’assurance-santé provinciaux, pendant une période de temps déterminée.
Obstacles
Un organisme chargé de l’intégration des réfugiés au Nouveau-Brunswick a approché l’Unité d’enseignement de médecine familiale de la Dalhousie University à Fredericton pour lui demander d’examiner les difficultés éprouvées par les clients réfugiés relativement au Programme fédéral de santé intérimaire. Même si les renseignements fournis dans ce commentaire se fondent sur l’expérience vécue au Nouveau-Brunswick, les réfugiés qui habitent dans d’autres provinces, en particulier celles qui imposent un délai de 3 mois avant d’avoir une assurance-santé, ont probablement des préoccupations semblables.
Pour examiner la question en profondeur, nous avons discuté du problème avec 3 des 6 personnes chargées de l’aide à l’intégration au Nouveau-Brunswick. Ces travailleurs se trouvaient dans 3 villes différentes du Nouveau-Brunswick où est offert ce programme pour aider des réfugiés parrainés par le gouvernement.
Les récits de ces travailleurs de première ligne présentent un aperçu inquiétant des obstacles que rencontrent les réfugiés pour accéder aux soins primaires. Selon ces personnes, les médecins de famille, surtout ceux qui travaillent seuls et sont rémunérés à l’acte, n’acceptent pas le certificat du PFSI, parce qu’ils ne connaissent pas bien ce programme. Ceux qui le connaissent trouvent les modalités de remboursement trop compliquées. Les médecins doivent remplir toutes sortes de formulaires pour se faire rembourser les frais des services fournis. Comme le résumait un travailleur préposé à l’aide à l’intégration: «Les cliniques sans rendez-vous refusent désormais les formulaires du PFSI parce qu’ils sont si complexes que le personnel comptable de ces médecins déteste les remplir, sans compter qu’il faut des mois et des mois avant de recevoir le paiement».
Réactions en chaîne
Parce que de nombreux médecins de famille refusent de prendre des patients couverts par le PFSI, les réfugiés doivent se tourner vers les urgences même pour des problèmes non urgents. Comme l’expliquait un travailleur du programme d’aide à l’intégration: «Si une personne souffre d’une grippe ou veut simplement une ordonnance de contraceptifs sans avoir les moyens de payer sa visite à une clinique sans rendez-vous, elle finit par aller à l’urgence». Les hôpitaux acceptent les certificats du PFSI plus facilement parce que la rémunération directe du médecin traitant ne dépend pas du remboursement par le PFSI. De plus, les hôpitaux ont des services complets qui s’occupent des questions de facturation, ce qui n’est pas le cas des médecins qui pratiquent seuls et qui n’ont qu’un préposé à la comptabilité.
Lorsqu’un réfugié est évalué à l’urgence et que le médecin juge nécessaire de demander une consultation auprès d’un spécialiste pour d’autres investigations, les règles du PFSI créent d’autres problèmes. Un travailleur auprès des réfugiés nous confiait ceci: «J’ai des problèmes avec des clients qui arrivent au pays et sont extrêmement malades. À l’urgence, bon nombre d’entre eux sont référés à des spécialistes, mais ceux-ci n’acceptent pas le formulaire du PFSI. C’est donc très difficile d’avoir une consultation».
Un autre problème du PFSI, c’est qu’il ne couvre que les services de santé essentiels et urgents pour le traitement et la prévention des problèmes médicaux sérieux9. Alors, qui décide de la nature urgente et essentielle des soins? Le réfugié? Le travailleur social? Ces travailleurs ont l’impression d’être parfois forcés à évaluer des problèmes médicaux: «Je ne suis pas médecin; si quelqu’un me dit «J’ai la malaria» ou autre chose, je ne peux pas poser de diagnostic et savoir si le client souffre ou non de cette maladie. Je dois donc l’amener à l’urgence de l’hôpital».
Enfin, il n’est pas rare que les médecins de famille demandent à leurs patients réfugiés de payer pour les services rendus lorsque le PFSI est lent à rembourser ou exige un autre formulaire avant d’émettre le paiement. Ces factures ajoutent considérablement au stress que vivent les nouveaux arrivants réfugiés, comme le disait un travailleur: «Six mois plus tard, mon client reçoit une facture parce que PFSI n’a pas encore payé le médecin. Il me demande ce qui se passe et panique parce qu’il n’a pas les moyens de payer cette facture».
Paradoxe
Les réfugiés qui arrivent au Nouveau-Brunswick rencontrent des obstacles majeurs dans l’accès aux soins de santé, en particulier durant les 3 premiers mois de leur séjour, même s’ils sont couverts par un programme d’assurance-santé spécialement conçu pour faciliter l’accès. L’origine de ces barrières se trouve dans les paramètres limités et la bureaucratie administrative du PFSI, qui compliquent le remboursement des médecins pour les services rendus. Une étude publiée il y a 15 ans soule-vait cette difficulté qu’éprouvaient les médecins à se faire rembourser, mais rien n’a beaucoup changé depuis7,10.
Agir
Nous demandons avec insistance que le gouvernement fédéral révise le Programme fédéral de santé intérimaire pour rendre ses procédures de remboursement des médecins de première ligne et des autres fournisseurs de services plus transparentes, plus accessibles et moins complexes. Il semble bizarre qu’un programme conçu pour faciliter l’accès aux soins de santé par un groupe vulnérable de nouveaux arrivants soit assorti de processus de remboursement si compliqués que les médecins de première ligne préfèrent ne pas traiter de tels patients. Ces patients sont contraints d’utiliser les soins de santé tertiaires, ce qui est bien plus coûteux, ne favorise pas la continuité des soins, prolonge les heures d’attente à l’urgence et réduit la satisfaction des patients.
Footnotes
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This article is also in English on page 335.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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