Ce mois-ci dans le Médecin de famille canadien, nous vous présentons un débat sur le dépistage systématique du cancer colorectal (CCR). Pineau (page 508) favorise son implantation; Turcotte (page 509) explique pourquoi il faudrait s’y opposer. Sans égard aux arguments évoqués par l’un et l’autre, quiconque serait en droit de se demander pourquoi cette controverse perdure encore compte tenu des données probantes qui démontrent les bienfaits du dépistage et des lignes directrices qui recommandent son implantation.
Données probantes, lignes directrices
En effet, on sait depuis 15 ans que la recherche de sang occulte dans les selles (RSOS) suivie au besoin d’une investigation complémentaire permet de réduire la mortalité causée par le CCR. En 1993, Mandel et coll. publiaient la première étude1 contrôlée réalisée auprès de 46551 personnes âgées de 50 à 80 ans évaluant l’efficacité de cette méthode. Ils notaient qu’après 13 ans, le taux cumulé de mortalité par CCR était significativement inférieur chez ceux ayant eu une RSOS annuelle: 5,88 personnes par 1000 comparativement à 8,33 pour ceux ayant eu un dépistage bisannuel et 8,83 pour le groupe contrôle. Deux autres études contrôlées publiées 5 ans plus tard corroboraient ces premiers résultats. Dans la première2 à laquelle ont participé plus de 30000 personnes âgées de 45 à 75 ans, le nombre de décès attribuable au CCR après 10 ans était significativement inférieur dans le groupe dépisté par RSOS biannuelle par rapport au groupe contrôle: 205 comparativement à 249 (ratio de mortalité 0,82, 95% intervalle de confiance [IC] 0,68 à 0,99; P=,03). Dans l’autre3 à laquelle ont participé plus de 150000 personnes âgés de 45 à 75 ans pendant 10 ans: 360 personnes sont décédés du CCR dans le groupe ayant eu une RSOS biannuelle comparativement à 420 personnes dans le groupe contrôle (ratio de cote 0,85, 95% IC 0,74 à 0,98; P=,026).
A eux-seuls, ces résultats devraient nous convaincre du bien-fondé du dépistage. D’autant plus qu’un nombre impressionnant de lignes directrices l’endosse.
Alors, pourquoi tergiverse-t-on encore?
Les raisons sont fort simples: le dépistage présente de sérieuses lacunes.
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Les tests de dépistage sont imparfaits et ne sont pas dépourvus d’effets indésirables: la RSOS est un examen peu valide présentant un haut taux de résultats faussement positifs et négatifs. C’est aussi un examen auquel la population adhère peu; personne n’aime fouiller dans ses selles! Quant à la colonoscopie rendue nécessaire par une RSOS positive, des complications sérieuses peuvent survenir sans compter les inconvénients et l’anxiété générés par un examen finalement inutile (faux positifs).
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L’efficacité du dépistage est bien relative et même si le dépistage permet de réduire la mortalité par CCR de l’ordre de 13% à 33%, le risque d’en mourir demeure élevé. Dans Hardcastle, malgré un suivi médian de 7.8 ans, 360 personnes sont décédés du CCR comparativement à 420 dans le groupe contrôle, soit un risque relatif cumulé de 85% de mourir quand même de cette maladie. Cette notion n’est certainement pas comprise par ceux qui pensent que «Votre colon est beau» signifie qu’ils sont maintenant à l’abri de ce cancer.
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Le dépistage n’a aucun effet sur la survie globale: lorsqu’une personne en bonne santé et asymptomatique accepte dans le cadre d’un examen médical périodique de passer des tests de dépistage, c’est qu’elle souhaite fondamentalement vivre plus longtemps et autant que possible en bonne santé. Autrement pourquoi subirait-elle tous ces examens? Malheureusement, le dépistage du CRC ne lui apporte pas cette assurance.
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L’implantation engendrera inévitablement des délais et des coûts importants.
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Le dépistage engendrera inévitablement des effets indésirables, certains pouvant être très sérieux. Dans l’étude britannique3, 34 perforations et 6,7 saignements sérieux par 10 000 colonoscopies sont survenus. Or, ces examens étaient pratiqués par des experts dans des centres ciblés. Il faut craindre qu’à large échelle, un programme systématique de dépistage puisse engendrer davantage de complications chez des personnes essentiellement en bonne santé. Primum non nocere.
Pourquoi alors l’Ontario et l’Alberta décident-ils d’implanter un programme de dépistage systématique du CCR? Cette décision relève-t-elle d’une décision scientifique ou d’un lobby quelconque?
Faut dire que notre peur individuelle et collective du cancer est telle que nous sommes prêts à nous battre jusqu’à la mort!
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