
En cette époque de changements rapides et souvent irréfléchis dans nos soins de santé, les médecins de famille canadiens se retrouvent à vivre «en des temps intéressants», comme le disait une ancienne malédiction chinoise.
Même dans les meilleures circonstances, il n’est pas facile d’être médecin de famille. Se tenir au fait des plus récentes connaissances dans l’ensemble de la pratique et maintenir un certain équilibre entre les exigences de la vie professionnelle, familiale et personnelle comportent leur lot de difficultés. Mais, au pays, les médecins de famille se font rares et des milliers de nos concitoyens n’ont pas accès à un médecin de famille. Les gouvernements provinciaux mettent en œuvre des réformes des soins primaires qui visent, au moins, à améliorer l’accès aux médecins de famille et, au mieux, à régler la pénurie. Ces problèmes se compliquent à mesure que nos patients vieillissent et ont de plus en plus de problèmes de santé chroniques. Comme nous l’observons dans notre pratique au quotidien, il y a une épidémie d’obésité et de diabète de type 2.
Au fil des ans, Le Médecin de famille canadien a mis en évidence et documenté le fait que les médecins de famille sont à risque élevé de souffrir de stress, d’épuisement professionnel et de dépression. En 2001, Harvey Thommas et ses collègues publiaient une étude sur l’épuisement et la dépression chez les médecins en milieu rural de la Colombie-Britannique, que j’avais trouvée choquante à l’époque1. Parmi leurs constatations: environ le tiers des médecins se disaient eux-mêmes déprimés; 31% répondaient aux critères de dépression légère à grave en fonction du Beck Depression Inventory; 13% des médecins signalaient avoir pris des antidépresseurs au cours des 5 années précédentes; et, selon le Maslach Burnout Inventory, 80% des médecins souffraient d’épuisement professionnel de modéré à grave1.
Plus récemment, en 2008, une étude par Joseph Lee et ses collègues à l’University of Western Ontario2 révélait que l’épuisement professionnel des médecins de famille ne se limitait pas au milieu rural et ne s’était pas amélioré au cours de la dernière décennie. Aux termes de la méthode du Maslach Burnout Inventory, près de la moitié d’un échantillon de médecins de famille urbains dans la région de Kitchener-Waterloo, au sud de l’Ontario, souffraient de taux élevés d’épuisement émotionnel (47,9%) et de dépersonnalisation (46,3%). Lee et ses collègues ont conclu que l’épuisement professionnel classique était associé au stress causé par des facteurs tels que l’abondance de paperasserie, les longues attentes pour obtenir les services et les tests spécialisés, le sentiment d’être sous-estimé et sans appui, et la nécessité de se conformer à des règles et des règlements2.
Ces facteurs de stress ne sont pas prêts de disparaître. Alors, comment les médecins de famille développent-ils et maintiennent-ils la force et la flexibilité pour faire face aux changements et apprécier la richesse de la médecine familiale durant leur carrière?
Ce numéro du Médecin de famille canadien présente 2 articles importants et très différents qui portent sur la résilience des médecins de famille dans des moments difficiles. Dans «Endroit et rythme différents. Les médecins de famille hospitaliers au Canada» ( page 672), Dre Jean Maskey décrit sa transition entre 2 décennies de pratique complète dans la vallée de l’Okanagan et une pratique hospitalière à Victoria, C.-B. Elle affirme de manière convaincante que la pratique hospitalière peut et devrait être ancrée dans les principes de lamédecine familiale.
Dans une étude qualitative bien conçue auprès de médecins de famille à Hamilton, en Ontario, intitulée «Building physician resilience», Dre Phyllis Jensen et ses collègues ( page 722) nous proposent un véritable guide sur les façons de développer la résilience.
Il est évident, selon les expériences de Dre Maskey, et les recherches de Lee et collègues et de Jensen et collègues, que le fait de se connaître soi-même d’avoir des valeurs fondamentales dont l’altruisme, l’acceptation de soi, la capacitéde pardonner à soi-mêmeet aux autres,et de faire une différence dans sa profession sont tous d’importants éléments de la résilience. En réfléchissant à ce numéro du Médecin de famille canadien, l’archétype du guérisseur blessé que l’on retrouve dans de nombreuses cultures et tout au long de l’histoire me revient à l’esprit. Il est incarné par John Sassall, le héros de mon livre favori sur la pratique générale, A Fortunate Man, par John Berger3. Gene Feder l’a qualifié d’ouvrage le plus important écrit sur les omnipraticiens et j’en conviens. Comme le dit Feder, l’histoire de John Sassall nous rappelle à tous qu’une part de ce nous avons à donner à nos patients est le reflet de nos propres faiblesses et échecs4. Acceptons donc nos stress et nos vulnérabilités, mais n’y succombons pas. Soyons-en conscients et permettons-leur de nous rendreplus forts.
Footnotes
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This article is also in English on page 665.
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