Après mon déménagement de la vallée de l’Okanagan à Victoria pour suivre mon conjoint, j’ai fait le point sur ma carrière. À cette étape de ma vie, j’étais prête à changer d’orientation. À la suite de 2 décennies d’une pratique diversifiée (cabinet privé, travail à l’hôpital et service de garde à l’urgence, centre d’accueil, soins prolongés, enseignement), j’ai décidé de modifier un peu ma pratique et de devenir hospitalière. Changer est toujours difficile et il ne s’agissait pas d’opter pour un travail plus facile, mais jamais je n’aurais imaginé être aussi satisfaite de mon nouveau rôle.
Principes de la médecine familiale
Gérer un cabinet, faire de l’obstétrique ou de la gériatrie, être tiraillée dans toutes les directions; tout cela apportait quand même son lot de satisfactions. J’ai réalisé que les hospitaliers au Canada, surtout des médecins de famille, le reconnaissent parfaitement et respectent le choix de leurs collègues de pratiquer en cabinet. Les hospitaliers, dont les patients changent constamment mais ont tous besoin d’un omnipraticien pour leurs problèmes de santé et la coordination complexe des traitements et des soins spécialisés, épousent et incarnent les idéaux des 4 principes de la médecine familiale1. Ces principes ont guidé ma génération de médecins de famille dans la pratique et l’enseignement de la médecine1:
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Le médecin de famille est un clinicien compétent.
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La relation médecin-patient constitue l’essence du rôle du médecin de famille.
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Le médecin de famille est une ressource pour une population définie de patients.
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Lamédecine familiale estune discipline communautaire.
En 2001, Dre Carol Herbert suggérait un 5e principe - le médecin de famille comme défenseur des intérêts du patient - qui est aussi important2. C’est un rôle que jouent autant les hospitaliers que les MF dans un système complexe et déroutant.
Depuis 1975, 2 pionniers de la médecine familiale ont écrit des commentaires marquants sur la pratique générale. Dr Gayle Stephens a décrit la capacité de prendre en charge les patients comme «la quintessence des habiletés et le savoir unique des médecins de famille3». Il a fait la distinction entre le traitement et la prise en charge, qui est particulière à chaque patient. En 1985, Dre Lynn Carmichael mentionnait les possibilités illimitées de la pratique familiale, qui se définit surtout en fonction du lieu et du type de patient4. Ayant changé de lieu et d’orientation, je peux encore en attester.
Les médecins de famille dans les hôpitaux
Beaucoup de MF travaillent en cabinet et à l’hôpital. La répartition entre les deux dépend des besoins de la communauté. Quand les hospitaliers sont apparus dans le décor de la médecine au Canada, nous étions plusieurs à remettre en question la nécessité d’un autre échelon de médecins. Je me souviens m’être sentie menacée par cette imposition. Je merends compte maintenant que j’avais tort.
Les hospitaliers ont remplacé de nombreux MF qui ont volontairement renoncé à leurs privilèges à l’hôpital pour diverses raisons. C’est un travail d’amour même pour ceux qui se passionnent pour les soins du berceau à la tombe. S’il est idéal pour un patient hospitalisé de voir son propre médecin de famille, ce n’est pas la réalité de nos jours, car il est souvent difficile de justifier le temps consacré aux déplacements pour ne voir que quelques personnes. Les hospitaliers tentent de combler cette lacune auprès de certains des Canadiens les plus vulnérables. Plusieurs sont hospitalisés pendant des mois, et des relations continues se développent. En étant sur place à l’hôpital, je peux donner les soins que j’ai toujours voulu donner sans avoir à gérer des intérêts concurrents.
À Victoria, nous sommes environ 20 hospitaliers à plein temps dans 2 hôpitaux d’enseignement de niveau tertiaire. Nous avons l’avantage d’y passer beaucoup de temps et d’apporter la dimension généraliste des soins. En équipe, nous pouvons évaluer rapidement les patients dont l’état s’aggrave. Le service de garde fait partie intégrante de nos heures de travail. Nous avons le temps voulu pour traiter des problèmes médicaux multiples et l’avantage d’avoir les résultats de tests rapidement pour faciliter un traitement opportun et accélérer le congé, ce qui n’est pas à la portée des médecins en cabinet. Sans nous, de nombreux patients seraient hospitalisés sans qu’un seul médecin ne veuille ou puisse superviser leurs soins en tant que «principal médecin responsable». Les hospitaliers s’occupent de la majorité des patients admis, consultent les spécialistes au besoin et permettent à ce système de pratiques exemplaires de fonctionner.
Travail d’équipe
Selon moi, la présence de médecins de famille hospitaliers n’empêche pas le retour de ceux dans la communauté qui souhaitent retrouver leurs privilèges. Il y a tant de patients orphelins et encore tant de façons de travailler en équipe pour assurer les meilleurs soins. Les MF en cabinet sont une précieuse ressource parce qu’ils connaissent le mieux leurs patients qui pourraient être hospitalisés. Les hospitaliers, avec leur formation, leur expérience et les habiletés acquises dans cet environnement intense, peuvent aussi retourner dans divers milieux communautaires. La pratique hospitalière ne prive pas le public canadien de médecins de famille, parce que nous continuons à servir la collectivité.
Même s’il y avait assez de spécialistes pour agir comme «principal médecin responsable» auprès de tous les patients hospitalisés, je ne suis pas sûre que ce serait dans l’intérêt supérieur des patients. L’approche centrée sur le patient, productive dans notre pratique en cabinet, rayonne dans le milieu des soins actifs. Nous sommes formés pour prendre en charge nos patients dans le contexte de leur famille et communauté, et traiter les multiples problèmes qui les affectent souvent simultanément. L’approche du spécialiste concentrée sur un système anatomique ou physiologique offre des soins ciblés mais laisse souvent pour compte d’autres systèmes ou domaines. La présence d’un groupe de MF prêts à cibler leur pratique mais habitués à l’approche et au savoir généralisés de la pratique familiale est propice à la défense des meilleurs soins possibles pour le patient. Une de mes connaissances m’a confié, il y a 20 ans: «Je ne voudrais pas me retrouver à l’hôpital sans médecin de famille. Si ce n’est pas le mien, il faudrait que ce soit un médecin qui pense comme lui, parce qu’autrement, je pourrais bien me retrouver morte.» Elle ne parlait pas à la légère; j’ai participé à ses soins quand elle est presque morte au service de chirurgie alors que son MF était à l’extérieur de la ville.
Évolution de la médecine familiale
Les médecins de famille ont une influence considérable dans cette arène de la médecine qu’est l’hôpital. Nous sommes généralistes par définition, avec un large ensemble d’habiletés et une vaste expérience de la coordination des soins entre les spécialistes et divers professionnels de la santé. Les hospitaliers ont graduellement acquis la réputation, au sein des hôpitaux canadiens, d’être des médecins compétents, dispensant des soins excellents et personnalisés. En tant qu’hospitalière, je mets à contribution mes habiletés perfectionnées au fil des ans et certaines nouvelles pour offrir ce précieux service. Les hospitaliers ont redoré la réputation de la médecine familiale aux yeux de nombreux groupes dont les patients, les autres professionnels de la santé, les spécialistes, les administrateurs, les étudiants et les résidents en médecine. Nous avons maintenant une monnaie bien pratique - le respect des autres- que peu de MF dans nos cabinets avons pu ressentir durant nos carrières. Nous avons acquis ce respect parce que nous avons réorganisé nos pratiques et nos vies pour fonctionner en équipe sur place 24/7 durant toute l’année. Notre horaire témoigne de notre engagement à l’endroit de la continuité des soins et de ce qu’il y a de mieux pour le patient.
Quand j’enseignais aux étudiants ou résidents encore indécis à propos de leur choix de carrière, j’ai toujours insisté sur la flexibilité de la médecine familiale. Je crois que c’est une vocation unique en ce sens que votre imagination est la seule limite. Elle est transférable, elle élargit et remet en question votre style et la portée de votre pratique avec le temps. C’est un magnifique aspect, unique à la médecine familiale. J’entends moins souvent parler de ne faire que de la médecine familiale (par opposition à une autre spécialité). Ce changement est attribuable en partie aux étudiants et aux résidents, qui voient enfin la médecine familiale comme une carrière leur offrant le contrôle, des choix et le respect.
La médecine hospitalière contemporaine a bien changé. Nous sommes loin du médecin de campagne qui faisait «tout». Nous avons évolué. Les patients et le personnel infirmier veulent et méritent les meilleurs soins possibles en temps opportun. Les médecins de famille ne sont plus capables comme avant (surtout dans les centres urbains), avec toutes leurs autres responsabilités, de fournir à temps partiel le niveau de soins requis. Les contraintes financières et le nombre de lits limités dans les hôpitaux exigent une attention plus rapide pour faciliter un traitement et un congé sans délai. Si nous étions un patient ou sa famille, nous ne nous attendrions à rien de moins.
Je crois que la médecine familiale est un choix de carrière viable, satisfaisant et bien respecté, et une source de soins de qualité pour nos patients. Assurons-nous d’une forte présence de médecins de famille compétents—en cabinet ou à l’hôpital—offrant des soins continus partout au pays.
Footnotes
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This article is also in English on page 669.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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