Il y a 30 ans environ, Harald zur Hausen et ses collègues découvraient que le cancer du col de l’utérus était causé par le virus du papillome humain (VPH) et commençaient une croisade pour éradiquer cette terrible maladie par la vaccination1. Le vaccin contre le VPH est maintenant accessible, mais de nombreuses questions demeurent sans réponse, y compris celle de savoir s’il faudrait ou non immuniser les hommes autant que les femmes.
En dépit d’une récente attention médiatique remettant en question la sécurité et l’efficacité du vaccin, et de groupes décriant l’instauration d’un vaccin contre une infection transmise sexuellement, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada et d’autres organisations ont endossé entièrement cette vaccination au pays. Le vaccin contre le VPH est le premier vaccin explicitement conçu pour prévenir le cancer2, notamment l’un des plus courants, le cancer du col de l’utérus.
Les «C» des femmes
Le cancer du col de l’utérus occupe le deuxième rang des cancers les plus fréquents chez les femmes dans le monde, avec un demi-million de nouveaux cas estimés et un quart de million de décès chaque année3. Au Canada, c’est aussi le deuxième cancer le plus courant chez les femmes de 22 à 44 ans et le neuvième dans l’ensemble, 1400 nouveaux cas et 400 décès se produisant chaque année4. Par contre, en réalité, l’incidence du cancer du col est en déclin constant au pays, surtout en raison du dépistage des états précancéreux (p. ex. les néoplasies intra-épithéliales cervicales [NIC] de degrés 1,2 et 3 de différenciation) au moyen du test de Papanicolaou. On a détecté le virus du papillome humain dans 99% des cas de cancer du col et de ses précurseurs immédiats, les NIC de degrés 2 et 3. Il semble que les jeunes cellules métaplasiques à la jonction squamo-columnaire soient très susceptibles au virus, ce qui peut déclencher le processus oncogène.
D’autre part, un nombre incroyable de 170000 nouveaux cas de NIC de degré 1 et 52000 nouveaux cas de NIC de degrés 2 ou 3 sont aussi diagnostiqués au Canada4, entraînant les innombrables colposcopies, biopsies, conisations, interventions en cryothérapie et d’autres traitements divers visant souvent à enlever des parties du col de l’utérus, suivis presque assurément d’une incidence accrue de travail et d’accouchements prématurés, et des autres fardeaux économiques et émotionnels qui en découlent.
Garçon rencontre fille
Le virus du papillome humain affecte autant les hommes que les femmes, le plus souvent de manière imperceptible et sans symptôme, causant à l’occasion des verrues génitales; par ailleurs, il entraîne rarement un cancer du pénis, qui représente moins de 0,5% des cancers chez l’homme dans le monde. Nous avons affaire à un virus qui est discriminatoire envers les femmes. Seulement environ la moitié ou les trois quarts des cas de cancer du pénis présentent des résultats positifs au test de l’ADN du VPH5.
La vaccination des hommes contre le VPH a pour but principal de réduire encore plus l’incidence du cancer du col et de ses précurseurs. La théorie se fonde sur l’établissement d’une immunité collective, réduisant ainsi les risques qu’un homme infecté ne transmette le virus à une femme vulnérable1. Toutefois, si toutes les femmes avaient une immunité contre le virus, il n’y aurait pas d’avantage à vacciner les hommes.
Là où cela compte
Le coût est un autre facteur à considérer. Il n’est pas avisé sur le plan financier de vacciner les garçons. À une autre époque, la médecine était un art et une science. Les décisions se prenaient dans l’intérêt supérieur du patient, en se fondant sur les données scientifiques accessibles, l’opinion des experts en la matière et notre jugement. Mais, à l’heure actuelle, le gouvernement monopolise les services de santé offerts à notre population, et nous sommes contraints par des ressources financières limitées et la nécessité de prouver la rentabilité des thérapies et des technologies nouvelles.
Le vaccin contre le VPH est coûteux: environ 450$ pour les 3 doses. Des modèles mathématiques ont servi à s’assurer de la rentabilité de vacciner les garçons. La question qui se pose est la suivante: quelles améliorations au chapitre de la santé pouvons-nous obtenir, dollar pour dollar, par rapport à d’autres utilisations des ressources? En utilisant les années-personnes sans invalidité pour mesurer les gains en santé associés à une intervention clinique ou publique - calculées comme étant le nombre d’années de vie sauvées ajusté en fonction de la qualité de vie durant ces années - le coût de vacciner toutes les filles de 12 ans est estimé à 14583$ par année-personne sans invalidité, avec une réduction de 95% des cancers du col de l’utérus (causés par le VPH de types 16 et 18). Si on incluait les garçons dans le programme de vaccination, le nombre total de cas de cancer du col serait réduit d’un autre 5%, mais à un coût de 442 039$ par année-personne sans invalidité. Il est reconnu internationalement qu’un coût d’environ 50 000$ ou moins par année de vie sauvée est considéré comme rentable5.
La vaccination des garçons contre le VPH pour protéger les filles contre un cancer du col de l’utérus est certainement une notion galante. Mais pour que le vaccin contre le VPH soit le plus bénéfique et rentable, nous devrions consacrer notre temps, nos efforts et nos ressources financières limitées pour rejoindre toutes les jeunes femmes au pays et dans le monde entier.
Footnotes
-
This article is also in English on page 967.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
-
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada