
Ce mois-ci nous vous présentons dans le Médecin de famille canadien (MFC) des histoires de vie, de mort et de souffrance. L’histoire qui suit est difficile à raconter puisqu’elle aborde des sujets que l’on préfère habituellement éviter et qui soulève un malaise: les relations entre les anglophones et les francophones au Canada; l’utilisation de textes non médicaux et non probants en médecine; un auteur tiraillé, fragile et malade; la souffrance de l’amour et la peur de l’abandon; le suicide; et les médecins qui aident la mort. Bref, un ensemble de thèmes que l’on préfère généralement taire (Chut!) au MFC mais qui méritent néanmoins qu’on s’y attarde.
Il était donc une fois, il y a de cela plusieurs années, lors d’un congrès de médecine familiale, un atelier proposant d’utiliser la littérature comme outil de réflexion et d’enseignement en médecine. Le sujet est intriguant et invitant.
Les relations entre les médecins de famille anglophones et francophones
De prime abord, l’allure de ce conférencier surprend et intrigue. Il est anglophone et malgré un fort accent, il ose s’exprimer dans un français qu’il a probablement appris au high school comme la plupart des Québécois ont appris sa langue au collège. Il séduit par les efforts qu’il fait pour s’adresser à son auditoire dans leur langue maternelle. C’est nouveau et agréable. Les francophones d’ici ne sont pas habitués à tant d’égards. Habituellement, lorsque des médecins de ce pays se rencontrent, il suffit de quelques anglophones parmi plusieurs francophones pour que la langue des premiers soit utilisée, peu importe la difficulté que cela pose aux autres (Chut!). Pourtant, il suffit de peu pour plaire aux Québécois de ce monde: un «Bonjour» et quelques mots d’introduction suffisent amplement. Alors imaginez l’effet produit par ce médecin unilingue anglophone qui propose un atelier en français.
«De retour le 11 avril»1
Il nous invite à lire un extrait de texte d’un auteur québécois que j’ignore complètement. Quel paradoxe quand même: voilà qu’un lointain médecin anglophone me fait découvrir un auteur de chez moi (Chut!).
La souffrance d’aimer et d’être abandonné
Il y est question d’un homme malheureux, délaissé par son amoureuse partie en Europe et qui broie du noir dans les rues sombres et enneigées de Montréal. La vie n’a plus aucun sens. Il imagine sa belle làbas, entourée, adulée, touchée, aimée. Et lui si seul et si déprimé. Qui n’a pas déjà éprouvé ce puissant désir de mourir après une peine d’amour, la disparition d’un être cher ou le décès d’un enfant? (Chut!)
Le suicide
Il lui écrit: «Il fallait bien que tu l’apprennes; je te le dis crûment. Et je ne prends pas la peine de te prouver que j’existe encore, hélas, pour te faire savoir que j’ai tenté de m’enlever la vie!» (Tais-toi donc!)
De la participation du médecin à la mort
Mais comment peut-on mourir même lorsqu’on le désire ardemment? Il va voir l’un des ses amis, médecin: «Ça faisait plutôt longtemps que je n’avais pas rencontré Olivier L., mais comme les médecins sont toujours occupés à ne plus savoir où donner de la tête…Olivier a pris un bloc et s’est mis à griffonner quelques mots illisibles [barbituriques] … il m’a fallu quelques secondes pour détacher quelques feuilles d’ordonnance». Ainsi, sans vraiment le vouloir, sans même s’en rendre compte, son ami a rendu possible cette mort qu’il recherchait. Combien parmi nous ont ainsi contribué à la mort de leurs patients? (Chut!)
Hubert Aquin a ainsi pu mourir tel qu’il le souhaitait. Mais, comble de l’absurde, il a été «sauvé» par un télégramme que lui adressait son amour, intitulé «De retour le 11 avril» et qui a permis qu’on le découvre in extrémis.
C’était il y a 20 ans. J’étais jeune, fougueux, vivant et amoureux. Que d’émotions générées par cette soirée, cette rencontre, cette lecture. Les histoires occupent une place privilégiée dans nos vies. Elles façonnent nos existences. La mienne voulait rendre hommage à un grand médecin anglophone qui ignore la reconnaissance que j’ai pour lui (et il n’est pas le seul que nous adulons) et à un grand auteur québécois qui n’est plus là pour l’entendre puisqu’il s’est donné la mort en 1977.
Faut-il vraiment taire ces histoires?
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