L’importance des aspects relationnels dans l’exercice de la médecine est reconnue de tous depuis l’antiquité1. Les relations médecin-patient sont au cœur de la pratique et ont fait l’objet de recherches scientifiques rigoureuses au cours des 40 dernières années.
Plusieurs modèles de relations médecin-patient ont été décrits au cours de ces années: biomédical, biopsychosocial, centré sur le patient, centré sur la relation, négocié, consommateuriste et systémique2–10. Par ailleurs, depuis quelques années, le modèle centré sur le patient semble s’imposer dans les ouvrages portant sur la communication médecin-patient, dans les domaines de l’éducation et de la recherche. Il est maintenant reconnu par les ordres de médecins au Canada comme la norme acceptée11,12. Il semble y avoir eu un certain parallélisme entre l’élaboration du concept centré sur le patient et de celui de la discipline de la médecine familiale contemporaine. Ce changement de paradigme a certainement joué un rôle dans la caractérisation de la médecine familiale par rapport aux autres spécialités médicales et chirurgicales13.
Si le modèle centré sur le patient est maintenant accepté dans une large mesure, il reste nécessaire de spécifier comment le traduire en une communication réceptive dans les divers contextes de pratique des médecins de famille. Kiesler et Auerbach14 indiquent la nécessité d’examiner plus en profondeur l’influence sur la communication de différents facteurs contextuels, comme les caractéristiques démographiques du patient, la gravité de la maladie, la nature spécifique de la maladie et le genre de décision médicale prise. Nous sommes d’avis que les médecins devraient acquérir la maîtrise de nombreux styles de relations et apprendre à ajuster leurs styles de communication en fonction du contexte dans lequel les soins sont donnés.
Définition
Une relation désigne le modèle récurrent de communication qui existe entre 2 personnes. La communication et la relation sont réciproquement la source et le résultat de l’autre. La relation médecin-patient constitue une forme particulière de relation interpersonnelle; c’est une relation de «service» dans laquelle les deux interlocuteurs jouent des rôles prédéterminés et les normes de comportement s’appliquant au médecin sont clairement définies par un code de déontologie1. La relation médecin-patient exige une confiance mutuelle, l’acceptation de l’autre et la reconnaissance de la capacité d’influence liée à la compétence spécifique. Ajoutons que le médecin doit adopter en toutes circonstances une attitude respectueuse de la personne, de son autonomie et de son droit à la confidentialité, et que son comportement doit être guidé par une intention bienveillante à l’égard de son patient.
La recherche contemporaine s’est surtout penchée sur les caractéristiques personnelles du patient, comme ses préférences en matière d’information ou sa participation aux décisions, sa capacité physique et mentale de poser les gestes nécessaires pour exécuter le traitement, sa connaissance de la maladie et de son traitement, et sa motivation à prendre en main le contrôle de son traitement. Or, la relation médecin-patient, tout comme les autres relations interpersonnelles, ne peut se soustraire au contexte spécifique de la rencontre et elle doit donc s’adapter en conséquence. Le contexte est multidimensionnel15.
La relation médecin-patient est déterminée par les caractéristiques du problème en cause, comme le genre de maladie et sa gravité. Elle est aussi définie par le contexte où se développe la relation (hospitalisation, rendez-vous en cabinet, salle d’urgence, domicile, etc.). Enfin, elle est aussi caractérisée par ses interlocuteurs.
Nous croyons qu’il faut réintroduire le contexte pour compléter le tableau des relations possibles, et c’est pourquoi nous préconisons un répertoire de relations médecin-patient. L’approche d’une «panacée universelle» ne permet pas d’optimiser le jumelage entre médecins et patients14. En privilégiant un modèle unique, comme celui centré sur le patient, on risquerait de priver les médecins de la palette des outils relationnels et communicationnels requis pour s’adapter aux différentes situations qu’ils rencontrent.
Nous reconnaissons qu’il existe un corpus significatif de recherches indiquant que la relation centrée sur le patient est associée à des meilleurs résultats de soins 16–21. Nous notons cependant que la majorité de ces études sont de nature associative (corrélationnelle) et qu’elles ont été menées, le plus souvent, dans un contexte de consultation en cabinet auprès de patients dont l’état de santé était considéré généralement stable. Pour les autres situations cliniques, on ne peut rien affirmer avec certitude.
Analyse du problème
La Figure 1 représente graphiquement les transformations possibles des relations médecin-patient selon un axe de contrôle décisionnel (prise en charge/autonomie)». Cet axe est lui-même défini en fonction de 2 caractéristiques des problèmes de santé présentés: la nature du problème (aiguë par rapport à chronique) et son degré de gravité (grave par rapport à bénin). Cette figure permet de regrouper des catégories générales de problèmes et les contextes de soins dans lesquels ils sont les plus susceptibles d’être abordés. Il faut cependant reconnaître que les caractéristiques du problème seules ne déterminent pas complètement la relation qui se développera entre médecin et patient. Elle dépendra aussi des caractéristiques de la personne qui consulte et du contexte de la consultation. Nous n’incluons pas ces trois aspects dans la Figure 1, mais nous avons inséré un symbole de courbe normale à chaque relation dominante en guise de rappel de cette variation.
Le genre de relation est déterminé par le problème du patient et le contexte des soins*.
CDA—cardiopathie due à l’artériosclérose, MPOC—maladie pulmonaire obstructive chronique, D—diabète, RGŒ —reflux gastroœsophagien, SCI—syndrome du côlon irritable, IM—infarctus du myocarde, A—arthrose, IR—insuffisance rénale, IVRS—infection des voies respiratoires supérieures.
*Pour vérifier quel genre de relation correspond à un problème du patient, défini à la fois selon les dimensions aigu-chronique et bénin-grave, on trace une perpendiculaire sur la diagonale du continuum de la collaboration. Par exemple, dans le cas d’une IVRS, la relation proposée correspond au type expert-guide, tandis que dans le cas d’un RGŒ stable, la relation est davantage du type facilitateur.
†Le symbole de la courbe normale représente les variations possibles dues au contexte et aux caractéristiques personnelles.
Nous suggérons, en fonction de la nature du problème et de son degré de gravité, 4 types de relations dans lesquelles le médecin et le patient peuvent s’engager, et dans lesquelles le rôle du médecin varie: expert en charge, expert-guide, partenaire ou facilitateur.
Expert en charge
Lorsque la situation est aiguë et grave, on peut penser à une relation dans laquelle le médecin prendra unilatéralement des décisions et fera au nom du patient un certain nombre d’actions dans le but explicite de le soigner. Le médecin joue alors le rôle d’«expert en charge». Cette relation s’engage généralement avec un patient dont la condition médicale est instable et exige des soins immédiats (infarctus aigu du myocarde, polytraumatisme en choc, angine instable, diabète décompensé, MPOC décompensée, sepsis, etc.). Dans ces situations critiques, les décisions sont prises par le médecin au meilleur de son expertise médicale. Les aspects psychosociaux et les croyances du patient passent souvent au second plan, si présents. L’expression du «caring» se fait essentiellement par la mobilisation des ressources médicales pour traiter la personne22–24. Son expression verbale est succincte et peut être se limiter à des énoncés brefs tels que «On prend soin de vous».
Expert-guide
Par ailleurs, lorsqu’on se déplace sur les axes dans la Figure 1 vers les problèmes ou plus bénins ou chroniques, comme les situations subaiguës courantes qui ne sont pas trop graves (infections aiguës, lacérations, traumatismes mineurs, etc.), le médecin offre au patient son opinion professionnelle en rapport avec le diagnostic, le conseille et lui suggère des traitements. Le médecin adopte alors le rôle d’«expert-guide».
Le médecin a comme objectif d’informer le patient, de lui prescrire un traitement et de le convaincre de sa pertinence. Dans cette situation, il est possible d’évaluer les aspects psychosociaux et les croyances du patient, et d’en tenir compte. Il y a définitivement plus de place pour la collaboration du patient. L’expression du «caring» se fait par la recherche de renseignements sur la condition du patient et par la réponse à son besoin «d’être écouté».
Partenaires
Dans les cas de maladies plus chroniques, qu’elles soient bénignes (colon irritable, arthrose, reflux gastroœsophagien, etc.) ou plus graves (diabète, maladie pulmonaire obstructive chronique, insuffisance rénale, maladie coronarienne, ostéoporose, etc.), le médecin peut chercher à établir une relation de partenariat22,23. Il adopte alors le rôle du médecin «partenaire». Dans ces circonstances, les connaissances du patient par rapport à son problème de santé se développent, et il devient ainsi un interlocuteur plus averti pour discuter de différentes options de traitement. Il peut alors s’établir un véritable partenariat. Le médecin a pour objectif de motiver le patient et de lui donner l’information dont il a besoin afin d’actualiser le traitement convenu.
Les aspects psychosociaux et les croyances du patient sont pris en compte dans l’évaluation de la condition du patient, qui peut participer aux décisions concernant le traitement. L’expression du «caring» se fait par l’empathie et l’accueil du point de vue du patient. Son expression verbale peut être élaborée, marquée par la présence de dialogues et par la coopération dans l’élaboration de solutions mutuellement acceptables. Cette relation correspond de plus près à la définition qu’on donne à l’approche centrée sur le patient.
Facilitateur
Enfin, dans le cas d’une maladie chronique bien contrôlée, le médecin se retrouve souvent en présence de patients ayant développé une bonne connaissance de la maladie, une capacité de se «surveiller» de façon autonome et de poser les gestes nécessaires afin d’ajuster leur traitement22,23. Dans ces situations, les patients peuvent se présenter avec des demandes précises. L’action est déjà engagée par le patient au moment de la consultation, et l’objectif du médecin est de compléter si nécessaire l’information du patient et de l’aider à actualiser le traitement. Le médecin et le patient peuvent alors s’engager dans une relation dans laquelle le médecin agit comme facilitateur des soins et motivateur. Les aspects psychosociaux et les croyances du patient sont affirmés par ce dernier et ils jouent un rôle dans ses demandes au médecin. L’expression du «caring» se fait par la sollicitation et l’écoute du point de vue du patient. L’entrevue est marquée par la présence de dialogues, souvent initiés par le patient, par l’évaluation attentive par le médecin des solutions proposées et de suggestions pour faciliter leur implantation.
Conclusion
Nous avons cerné un ensemble de conditions cliniques qui militent en faveur d’une modulation de la relation médecin-patient plutôt que d’une relation unique, théoriquement ou idéologiquement convenable à toutes les situations. Nous devons reconnaître l’utilité pour les médecins de maîtriser un répertoire de relations. De notre point de vue, toutes les relations proposées doivent se fonder sur une attitude de respect de la personne, de son autonomie et de son droit à la confidentialité, et sur un comportement guidé par la bienveillance. Ces caractéristiques constituent la pierre angulaire de l’approche centrée sur le patient et en ce sens, nous devrions toujours être «centrés sur le patient». Par ailleurs, nous sommes convaincus qu’il est devenu nécessaire de préciser davantage ces caractéristiques fondamentales de la relation médecin-patient. Cette définition plus précise aiderait les médecins à s’adapter aux exigences des divers contextes dans lesquels ils sont maintenant appelés à exercer leur profession.
Pour poursuivre une discussion constructive sur les relations médecin-patient, nous proposons de discuter d’un répertoire de relations plutôt que d’insister sur un seul type de relation dans toutes les situations cliniques. Il y a des risques associés à l’affirmation qu’un seul type de relation médecin-patient est acceptable; lorsque les médecins trouveront que cette relation en particulier ne s’applique pas à leur pratique clinique au quotidien, ils la rejetteront pour revenir aux modèles plus paternalistes et d’experts en charge, même dans les situations où ces modèles ne conviennent clairement pas.
Nous vous avons proposé ici un cadre général d’interprétation de la variation des relations entre médecin et patient à prendre en compte dans diverses circonstances. Il ressemble beaucoup au cadre de leadership situationnel présenté par Hersey et Blanchard27, décrivant les styles de leadership suivants: direction, encadrement, soutien, délégation. Aucun d’entre eux n’est considéré comme optimal ou souhaitable en soi. Il faut être flexible et s’adapter à chaque situation particulière. Nous partageons ce point de vue.
Nous avons essayé de délimiter les conditions dans lesquelles se développent les relations médecin-patient. C’est pourquoi nous avons traité la relation qui évolue non pas d’un point de vue idéologique ou moral, mais plutôt selon une perspective fondée sur la pratique, selon laquelle aucun modèle unique ne pourrait convenir à toutes les circonstances. C’est un premier pas pour contrer la simplification excessive de la relation médecin-patient.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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