Les médecins qui pratiquent en cabinet prescrivent plus d’antibiotiques pour les infections des voies respiratoires que pour tout autre problème. Par ailleurs, étant donné la controverse entourant l’efficacité de telles ordonnances, il est devenu difficile de se poser la question: «Mon patient a-t-il besoin d’antibiotiques et, dans l’affirmative, de quel antibiotique a-t-il besoin, à quelle dose et pendant combien de temps?» De plus, avant de rédiger l’ordonnance, il faut aussi tenir compte des effets secondaires ou des interactions médicamenteuses, des allergies du patient et de sa capacité de payer les médicaments.
Dans ce numéro du Médecin de famille canadien, Korbila et ses collaborateurs1 nous amènent à réfléchir aux agents de première intention les plus efficaces pour les exacerbations bactériennes aiguës de la bronchite chronique (EBABC): pénicilline ou régimes à base de triméthoprime? Avant de répondre à la question, il est essentiel de nous assurer que nous parlons du même problème de santé.
Quel sens donner à un nom?
En tant que pneumologue, j’ai tendance à catégoriser en «blanc ou noir» les infections des voies respiratoires. Quelles sont exactement les différences cliniques entre la bronchite aiguë (BA), la pneumonie acquise dans la communauté (PAC) et l’EBABC? J’ajoute à cette liste les exacerbations aiguës de la bronchopneumopathie chronique obstructive (EABPCO), l’expression privilégiée au Canada, parce que, dans ce contexte, elle est interchangeable avec l’expression EBABC.
Presque tout le monde a déjà eu un épisode de «bronchite aiguë». C’est une maladie résolutive chez des personnes ayant des poumons en santé, et ses symptômes les plus courants sont la toux, le sifflement et les expectorations pouvant être colorées. Par contre, les antibiotiques n’apportent pas de bienfaits aux patients souffrant de BA; une étude randomisée contrôlée importante n’a révélé aucune différence dans l’amélioration des symptômes en prenant de l’azithromycine par rapport à de la vitamine C2. Par conséquent, nous exerçons une «intendance appropriée des antibiotiques» quand nos patients ayant une BA quittent notre bureau sans ordonnance. Mais, au contraire, les médecins ne devraient jamais sciemment s’abstenir de prescrire des antibiotiques à un patient souffrant de PAC. La pneumonie acquise dans la communauté présente une constellation de signes et de symptômes, incluant la toux, les expectorations, des signes physiques localisés à l’auscultation du thorax et de la fièvre. Le diagnostic est confirmé par la présence d’infiltrats nouveaux ou progressifs sur la radiographie pulmonaire. Même si la plupart des patients peuvent être traités en toute sûreté à domicile, nous devons être vigilants et détecter ceux qui présentent une sepsie et une dysfonction de la plaque terminale, reconnues à l’hypotension, à la confusion, à un rythme respiratoire de plus de 30 à la minute, qui pourraient nécessiter un triage d’urgence et une admission à l’hôpital.
Les cas d’EBABC et d’EABPCO requièrent presque toujours une antibiothérapie. Ces exacerbations se produisent principalement chez les fumeurs et les exfumeurs qui ont déjà eu un diagnostic de BPCO; les EBABC et les EABPCO sont environ 20 fois plus fréquents que la PAC.
Exacerbation ou variation normale?
L’évolution naturelle de la BPCO comporte des exacerbations aiguës répétées, dont la fréquence varie entre 1 et 4 épisodes par année dans les cas de BPCO grave. Entre 3% et 16% des cas de telles exacerbations nécessitent une hospitalisation et, dans les épisodes sévères, la mortalité peut atteindre jusqu’à 10%3. On peut généralement prendre en charge l’EABPCO en soins primaires, mais les patients plus âgés ou ayant une comorbidité importante exigent plus de vigilance de notre part. Ces patients auront une bronchite chronique, c’est-à-dire une toux quotidienne produisant des expectorations la plupart du temps cumulativement pendant 3 mois durant 2 années consécutives, plutôt que de l’emphysème, qui cause un essoufflement chronique et n’est habituellement pas compliqué par des exacerbations infectieuses.
La plupart des patients atteints de bronchite chronique stable vont relativement bien malgré des limitations considérables et diverses comorbidités. Par ailleurs, une infection aiguë (habituellement virale et peut-être attrapée en visitant leurs petits-enfants) peut suffire à causer une importante détérioration dans les symptômes et à faire basculer les patients en insuffisance respiratoire.
Comment pouvons-nous déterminer si un patient présente une exacerbation aiguë plutôt qu’une variation normale de jour en jour de la bronchite chronique ou des symptômes de la BPCO?
Une étude randomisée très bien conçue, à double insu et croisée, effectuée au début des années 1980 à Winnipeg, au Manitoba, nous a aidés à trouver la réponse4. On a administré aux patients ayant une EABPCO de l’amoxicilline, du triméthoprime-sulfaméthoxazole (TMP-SMX), de la tétracycline ou un placebo correspondant. Ceux qui prenaient des antibiotiques et revenaient avec d’autres exacerbations recevaient par la suite un placebo et vice-versa. L’état des patients qui n’ont pas reçu d’antibiotiques dans cette étude s’est détérioré, et il a fallu les hospitaliser deux fois plus souvent que ceux prenant des antibiotiques. Les auteurs ont découvert que les patients présentant 2 ou plusieurs des symptômes suivants - connus sous le nom de critères d’Anthonisen - bénéficiaient d’un antibiotique à large spectre: dyspnée accrue, augmentation de la production d’expectorations et purulence plus grande des expectorations (p. ex. changement de couleur).
Une synthèse critique d’études randomisées contrôlées contre placebo subséquentes faisait valoir un léger avantage pour les patients recevant des antibiotiques par rapport à ceux prenant un placebo (quoique chacun des groupes de l’étude originale ne compte qu’un petit nombre de patients)5.
Lignes directrices sur la prise en charge
Divers groupes responsables de produire des lignes directrices dans le monde ont intégré toutes les données probantes entourant la prise en charge de l’EABPCO. Même si l’approche fondamentale de tous les guides de pratique se ressemble, le guide canadien est un chef de file sur le plan mondial parce qu’il encourage la stratification du risque pour guider le choix des antibiotiques3,6.
Les lignes directrices intitulées Global Obstructive Lung Disease Guidelines7 et celles de l’European Respiratory Society8 comportent des différences mineures mais toutes deux indiquent que l’antibiotique à privilégier devrait être l’aminopénicilline, un macrolide ou la tétracycline. Les quinolones ont obtenu un rendement aussi bon dans les études cliniques, mais ils n’ont pas encore été universellement acceptés comme cliniquement supérieurs par rapport aux autres antibiotiques.
Le recours au TMP-SMX a perdu de sa popularité en raison surtout d’une campagne très publicisée au Royaume-Uni concernant l’effet secondaire rare mais potentiellement fatal du syndrome de Stevens-Johnson. On se demandait pourquoi des personnes âgées à Brighton, en Angleterre, mouraient des effets secondaires du TMP-SMX7. L’enquête a amené le Comité de la sécurité des médicaments à écrire à tous les praticiens au Royaume-Uni pour les aviser de limiter l’utilisation du TMP-SMX à la prévention et au traitement du Pneumocystis carinii chez les personnes immunodéprimées. Cette démarche s’est accompagnée d’une frénésie médiatique à l’échelle du pays. Même si le comité s’est par la suite ravisé, principalement en raison de l’utilisation fréquente du TMP-SMX pour les infections des voies urinaires, il a maintenu sa restriction pour les cas d’EABPCO. Les patients hésitent maintenant beaucoup à accepter une ordonnance de TMP-SMX.
Les données probantes appuient l’utilisation des antibiotiques dans les cas d’EABPCO, mais les pathogènes deviennent de plus en plus résistants. C’est particulièrement le cas des 2 principaux pathogènes dans les BPCO, les Moraxella catarrhalis et les Haemophilus influenzae. À l’heure actuelle, ils produisent respectivement à 100% et à 36% des β-lactamases, ce qui limite considérablement l'efficacité de la pénicilline.
Les lignes directrices canadiennes indiquent que la pénicilline ou le TMP-SMX ne devraient être administrés qu'aux patients ayant une BPCO légère qui n'ont pas connu d'exacerbations antérieures et qui n'ont pas de maladies concomitantes3. Pour les patients atteints de BPCO qui suivent de façon chronique une thérapie aux corticostéroïdes, ont de fréquentes exacerbations ou des problèmes de comorbidité, comme le diabète ou une maladie cardiovasculaire, les lignes directrices préconisent les fluoroquinolones par voie respiratoire ou l’amoxicilline- clavulanate, en raison des forts taux de résistance et de l’échec des agents de première intention. La ciprofloxacine convient le mieux à ceux à risque d’une infection aux Pseudomonas aeruginosa ou effectivement atteints de cette infection.
Il est aussi important de demander aux patients s’ils ont pris récemment des antibiotiques et d’intégrer le concept de la rotation des antibiotiques dans notre pratique. Plutôt que de simplement augmenter la dose ou prolonger la durée du traitement, les médecins devraient changer de classe d’antibiotiques si les patients ont pris des antibiotiques pour une raison ou une autre au cours des 3 derniers mois.
D’excellentes données probantes justifient l’ajout de prednisone par voie orale, à raison de 30 à 50 mg par jour, pour les personnes dont l’état est plus grave, sans avoir besoin de baisser la dose9. Cette thérapie adjuvante réduit le séjour à l’hôpital d’environ 1 jour pour les patients admis et réduit le nombre de visites sans rendez-vous chez le médecin ou le retour aux soins d’urgence pour les personnes traitées à l’urgence mais ayant obtenu leur congé. Même en l’absence d’études convaincantes en cabinet, les lignes directrices canadiennes suggèrent un régime semblable de courte durée de stéroïdes par voie orale pour les patients qui ont des antécédents de BPCO grave ou sont à risque de détérioration.
Modèle de prise en charge d’une maladie chronique
Il est essentiel d’adopter un modèle de prise en charge des maladies chroniques pour les patients qui ont eu des exacerbations. Après le traitement réussi d’une exacerbation aiguë, il faut prévoir un suivi. Ces visites devraient avoir pour but de s’assurer que le patient prend bien en charge sa BPCO pour optimiser sa fonction actuelle et sa qualité de vie, et pour prévenir de futures exacerbations. Les autres professionnels de la santé peuvent aussi renseigner les patients sur la réduction des symptômes et encourager la cessation du tabagisme, la vaccination contre la grippe et les pneumocoques, des interventions pharmacologiques ou non pharmacologiques et demander des évaluations spécialisées au besoin10,11.
Le fardeau des BPCO est grandissant. Les patients qui souffrent d’exacerbations visitent fréquemment les urgences et comptent parmi ceux les plus souvent admis dans les services de médecine générale. Il est important de ne pas devenir blasés devant ce problème courant; nous devons intégrer les plus récentes lignes directrices dans notre pratique.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Dr McIvor a reçu des honoraires pour la formation médicale continue et la participation à des réunions de comités consultatifs d’Abbott, Bayer, Boehringer Ingelheim, GlaxoSmithKline et Pfizer.
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les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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This article is also in English on page 15.
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