Quelques années après avoir quitté la marine, un vétéran âgé de 50 ans* consulte un nouveau médecin de famille au sujet de douleurs chroniques au genou et au dos. Il cherche un nouveau médecin qui renouvellera ses ordonnances d’opioïde et de benzodiazépine, l’aiguillera pour la poursuite de traitements d’acuponcture et de massothérapie et remplira des formulaires de réclamation en cas d’invalidité pour ses douleurs au dos. Il a été libéré pour raisons médicales au grade d’officier marinier en raison de ses troubles au genou découlant d’une fracture à bord d’un navire. Il a subi deux entorses lombaires pendant des déploiements, mais sa lombalgie chronique n’est apparue qu’après son départ des Forces canadiennes (FC). À sa libération des FC, il a suivi une réadaptation médicale, psychosociale et professionnelle complète dans le cadre du Programme de réadaptation d’Anciens Combattants Canada (ACC) pour l’invalidité associée à ses troubles du genou. Ces derniers temps, sa lombalgie chronique l’empêche de maintenir un emploi civil et de profiter de la vie.
Le médecin examine ses antécédents, effectue un examen physique et des examens diagnostiques et obtient son dossier médical antérieur. Il diagnostique une lombalgie chronique de nature mécanique et une arthrose du genou, et s’inquiète de l’état de santé mentale du patient. Lorsque le médecin de famille tente d’explorer le diagnostic différentiel de santé mentale, le patient s’agite d’abord, mais réagit bien à l’entrevue motivationnelle. Le médecin lui fixe des rendez-vous dans le but d’établir une relation thérapeutique avec lui et remplit les formulaires d’ACC. Avec le consentement du patient, il envoie également une demande de consultation au bureau de district d’ACC, qui décrit ses problèmes de santé. Il ressort que le patient est admissible à réintégrer le Programme de réadaptation d’ACC pour que soit prise en charge l’invalidité associée à sa lombalgie. La prise chronique d’opiacé et de benzodiazépine par le patient peut cesser, et ce dernier peut optimiser sa participation à la vie.
Les médecins de famille jouent un rôle clé dans la prise en charge des vétérans aux prises avec une invalidité. Un Canadien sur dix dit être limité dans ses activités en raison de douleurs ou de malaises1. Les troubles musculosquelettiques (TMS) sont la principale cause de libération du service militaire pour des raisons médicales2. Des vétérans des Forces canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de tous âges reçoivent des prestations d’invalidité en raison de TMS. Les TMS accaparent une importante proportion du budget de 3 milliards de dollars d’ACC. Ceux qui ont droit à des prestations pour des TMS associés au service militaire présentent souvent de la douleur chronique et des troubles de santé mentale comorbides, ce qui complique le traitement. Le présent document passe en revue une approche axée sur la médecine familiale de prise en charge d’invalidités chez les vétérans découlant de la douleur chronique associée aux TMS.
Invalidité
Le mot invalidité a un sens passablement large dans les ouvrages en médecine familiale. Apporter une aide efficace à une personne invalide dans le but de lui permettre de fonctionner normalement à la maison et au travail nécessite une approche axée sur l’invalidité et les capacités résiduelles, plutôt que sur la maladie. Le problème de santé physique ou mentale d’une personne entraîne une déficience de la fonction biologique. Les personnes présentant des déficiences ne sont pas toutes invalides. L’invalidité est l’impact des déficiences sur le fonctionnement au quotidien dans un contexte social et environnemental3–6. Les TMS ne sont pas, à proprement parler, des invalidités; mais une personne souffrant de TMS est dite invalide si ces derniers ont des impacts fonctionnels découlant de la déficience et de barrières psychologiques, sociales ou environnementales7,8.
De cette définition de l’invalidité et de celle de la « santé » comme étant « un état de complet bien-être physique, mental et social, et (qui) ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »9 découlent trois éléments clés de la prise en charge d’invalidités, à savoir :
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optimiser le traitement de la déficience physique ou mentale;
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aider le patient à s’adapter mentalement et à apprendre
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vivre avec l’invalidité;
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réduire les barrières environnementales sociales et physiques externes.
Approche de prise en charge d’invalidités associées à la douleur chronique
L’encadré 110,11 suggère une approche de prise en charge des invalidités associées à la douleur chronique. Une évaluation exhaustive est essentielle. L’intensité de l’expérience de la douleur et le degré de la participation définissent l’invalidité associée à la douleur chronique8. Des données probantes solides indiquent qu’une approche reposant sur une réadaptation précoce et globale est à privilégier pour le traitement de la lombalgie et des autres TMS10. Le médecin de famille travaille avec une équipe, au besoin, afin de rassurer le patient, lui fournir une thérapie cognitivo-comportementale et des services de psychoéducation, réduire les barrières auxquelles il se heurte et lui permettre de reprendre ses activités12. Il importe de résoudre les contradictions découlant des intérêts divergents des multiples parties prenantes (les points de vue de l’employeur, de l’assureur, des fournisseurs de soins de santé et de la famille). L’efficacité de cette approche a été démontrée par plusieurs études et travaux de synthèse2,10,13.
Approche de prise en charge d’une invalidité associée à des TMS accompagnés de douleur chronique10,11
Ces éléments peuvent être mis en oeuvre en même temps. |
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Collaboration interdisciplinaire
Il est peu probable que les médecins de famille fournissent tous ces soins seuls. C’est pourquoi il leur est conseillé de collaborer avec des spécialistes de la réadaptation, en ce qui concerne tout particulièrement les cas d’invalidités complexes ou bien établies2,14. Si les médecins de famille effectuent la gestion des cas, ils partagent ce rôle avec des gestionnaires de dossiers d’invalidité spécialisés. Les médecins de famille peuvent promouvoir la création d’équipes locales de gestion de dossiers d’invalidité. Le fait de participer à ce genre d’équipes peut s’avérer très satisfaisant pour les médecins de famille.
Troubles de santé mentale comorbides
Certains troubles de santé mentale, plus particulièrement la dépression, sont des comorbidités fréquentes des TMS et des invalidités associées à la douleur chronique15,16. Leur dépistage et leur traitement peuvent contribuer à améliorer les résultats17. Si les recherches sur les approches optimales se poursuivent, il en ressort tout de même que la médication et les traitements psychologiques ont tous deux des rôles à jouer. Les traitements psychologiques peuvent permettre de réduire ou de contrôler l’humeur négative, l’invalidité et, dans certains cas, la douleur chronique12,18. Une explication non conflictuelle de la nature complexe de la douleur associée aux TMS permet souvent de contrer l’impression que « le médecin pense que c’est dans ma tête ». Le fait d’expliquer au patient qu’un traitement à la fois physique et psychologique serait vraisemblablement l’approche la plus efficace pour lutter contre ces troubles complexes le rend plus réceptif.
Contexte militaire
Il importe de tenir compte du contexte dans lequel se trouvent ceux qui présentent des invalidités associées au service militaire. De jeunes soldats en santé, dans la force de l’âge, qui deviennent invalides des suites d’une maladie ou d’une blessure peuvent ressentir un profond sentiment de perte d’identité et de santé, faisant en sorte qu’ils se sentent « cassés » (dans l’argot militaire courant). Quand ils retournent à la vie civile, ils n’ont plus accès aux services de santé militaires et doivent se débrouiller seuls dans le système de santé civil. La perte d’identité militaire comprend la perte de la « famille » militaire et un sentiment de désorientation face à une culture civile qui leur est peu familière. Bon nombre d’entre eux disent avoir de la difficulté à trouver un médecin de famille, en particulier quand ils déménagent avec leur famille dans une nouvelle collectivité. Certains croient fermement que l’origine des troubles de santé qui apparaissent plus tard remonte à leur service militaire. Ces enjeux de nature contextuelle peuvent poser des barrières environnementales sociales et physiques qui définissent leur invalidité lorsqu’ils présentent des troubles de santé chroniques.
Prise en charge de la douleur chronique d’origine non cancéreuse
La prise en charge de la douleur chronique nécessite un plan de traitement complet qui aborde la question de l’invalidité dans son ensemble. Les approches non pharmacologiques sont essentielles et comprennent, selon le cas, une combinaison de thérapies physiques, d’éducation, de soins de santé mentale et de soutien social2,12 (encadré 110,11). Il importe que le patient sache que les analgésiques et les médicaments d’appoint sont utilisés pour contrôler la douleur afin de faciliter d’autres interventions qui réduisent l’invalidité, pour lui permettre de reprendre ses activités normales, et qu’il est possible que la douleur ne soit jamais complètement éliminée.
L’encadré 219,20 suggère une approche à adopter dans les cas où un traitement chronique aux opioïdes (TCO) est jugé opportun. Le recours au TCO pour la douleur d’origine non cancéreuse peut accroître l’invalidité, une approche qui peut être compliquée par des effets secondaires, une tolérance, une dépendance et des comportements illicites dont le détournement de médicaments21. Les données sur les bénéfices découlant de l’utilisation d’opioïdes pour le traitement de la douleur chronique sont équivoques22. Les opioïdes à action prolongée n’empêchent pas nécessairement une utilisation incorrecte21. Bien qu’il importe d’évaluer les patients avant de leur suggérer un TCO, il n’existe pas d’outil d’évaluation généralement accepté23. Le modèle de la peur/de l’évitement de la douleur chronique pourrait expliquer pourquoi certaines personnes recevant un TCO entrent dans une spirale d’évitement croissant et de dysfonction persistante24. Des lignes directrices recommandent de documenter le consentement éclairé et signé pour le TCO19. Si le TCO ne contribue pas à améliorer les capacités, il est suggéré de le retirer ou de le remplacer par un autre traitement.
Ressources
Ressources pour les médecins
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Questionnaire de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’Organisation mondiale de la Santé: www.who.int/classifications/icf/training/icfchecklist.pdf (version française au www.ccoms-fci-cif.fr/ccoms/pagint/ICF_Checklist_French_10_07.pdf )
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Anciens Combattants Canada (ACC): 866 522–2022 (français) ou 866 522–2122 (anglais)
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Site web ACC: www.vac-acc.gc.ca; cliquer sur « Fournisseurs et professionnels »
Ressources pour les vétérans
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Anciens Combattants Canada: 866 522–2022 (français) ou 866 522–2122 (anglais)
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Consulter le www.vac.gc.ca et cliquer sur « Services et avantages »
Approche de traitement chronique aux opioïdes (TCO) de la douleur chronique d’origine non cancéreuse
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Ministère de la Défense nationale
Les membres malades et blessés des FC reçoivent des traitements de réadaptation visant à rétablir leur préparation opérationnelle et, dans la mesure du possible, minimiser le risque d’invalidité. Le Programme de réadaptation des FC est affilié à des centres civils d’excellence en réadaptation désignés. Les équipes de réception des blessés (ERB) aident à coordonner la réadaptation multidisciplinaire régionale. Le ministère de la Défense nationale et ACC oeuvrent de concert à l’intégration des services à l’intention des membres qui retournent à la vie civile avec des invalidités associées au service militaire.
Anciens Combattants Canada
Les vétérans admissibles souffrant de TMS associés au service qui se traduisent par une invalidité ayant un impact sur leur réinsertion à la vie civile ont accès à des services offerts par ACC, notamment la gestion personnalisée de leur dossier, des avantages financiers, du soutien à la réorientation professionnelle, des services de réadaptation complets comprenant l’orientation accélérée vers des psychologues, ergothérapeutes, travailleurs sociaux et spécialistes de la réadaptation professionnelle, ainsi que d’autres services, dont des programmes de gestion de la douleur25. Pour les clients avec des problèmes d’abus d’alcool ou d’autres drogues, des services d’évaluation et de traitement spécialisés sont disponibles. Des conseillers de secteur dans les bureaux de district d’ACC fournissent des services de gestion de cas et acceptent volontiers de collaborer avec des médecins de famille.
Emploi inapproprié de médicaments
Certains patients font un usage abusif des traitements aux opioïdes. À l’instar d’autres organismes payants, ACC est obligé d’utiliser des procédures d’évaluation des ordonnances pour identifier les clients présentant des profils d’emploi abusif de médicaments. Les cas de réclamations qui sortent des paramètres acceptés sont renvoyés au Comité d’examen de l’emploi abusif des médicaments (EEAM) afin d’en arriver en équipe (client, médecin du client et personnel régional et de district d’ACC) à une solution qui soit avantageuse pour le client.
Les médecins de famille et ACC
ACC sollicite la collaboration des médecins de famille et se fie à ces derniers pour obtenir des documents nécessaires à la prestation de services aux vétérans. Les médecins de famille peuvent les encourager à communiquer avec ACC et envoyer des demandes de consultation au bureau de district local d’ACC.
Dossiers sur la santé des anciens combattants est une série trimestrielle d’articles publiés dans la revue Le Médecin de famille canadien en partenariat avec Anciens Combattants Canada. Les articles exposent des situations vécues par des médecins de famille qui traitent des anciens combattants. Pour en savoir plus sur cette série d’articles, veuillez communiquer avec le Dr Jim Thompson, Anciens Combattants Canada, Charlottetown, Î.-P.-E., courriel : research-recherche{at}vac-acc.gc.ca
Notes
POINTS SAILLANTS
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La prise en charge d’une invalidité nécessite l’optimisation du traitement de la déficience, le soutien à l’adaptation mentale et la réduction des barrières environnementales sociales et physiques externes.
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La prise en charge d’une invalidité a pour but d’aider le patient à atteindre une qualité de vie optimale en rétablissant sa santé, son indépendance et sa participation à la vie.
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Les médecins de famille jouent des rôles clés dans la gestion concertée des cas par Anciens Combattants Canada.
BOTTOM LINE
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Managing disability requires optimizing treatment of the impairment, assisting mental adaptation, and reducing external social and physical environmental barriers.
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The goal in managing disability is to assist patients in achieving optimal quality of life by restoring health, independence, and participation in life.
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Family physicians have key roles in collaborative disability case management with Veterans Affairs Canada.
Footnotes
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↵* Le cas présenté est fictif.
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Programme de réadaptation d’ACC.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement le point de vue d’Anciens Combattants Canada, ni celui du ministère de la Défense nationale/des Forces canadiennes.
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