Le mois dernier, la Section de la pratique générale et familiale de l’Ontario Medical Association a fait paraître des annonces dans des revues et de grands quotidiens insinuant que les Ontariens pourraient courir des risques s’ils reçoivent des soins d’infirmières praticiennes et de pharmaciens1. Le message exprimé m’a choquée et attristée, sans pour autant me surprendre. Les luttes de pouvoir n’ont rien de nouveau. Mais, en soins primaires, elles prennent un visage déplaisant. Au nom du patient, des défenseurs présentent leur cause et tentent de prouver qu’ils sont en meilleure posture pour offrir les soins aux patients. Par ailleurs, répandre la terreur n’est pas une solution. Comme tout bon clinicien devrait se demander, «où sont les données probantes?»
Données convaincantes à l’appui des soins interprofessionnels
Barrett et Curran2 ont mis en évidence des données scientifiques de grande qualité corroborant des résultats positifs pour les patients, les professionnels et les systèmes de santé quand on adopte une approche inter-professionnelle dans la prestation des soins de santé mentale, ainsi que dans la prévention et la prise en charge des maladies chroniques dans les milieux de soins primaires. Dans ce numéro du Médecin de famille canadien, Hogg et ses collaborateurs (www.cfp.ca) révèlent des améliorations significatives sur le plan statistique dans la qualité des soins, constatées lors de leur étude contrôlée randomisée avec des médecins de famille, des infirmières praticiennes et des pharmaciens qui mettaient en application une intensive approche interprofessionnelle dans la prise en charge de maladies chroniques chez des populations à risque3.
McKinnon et Jorgenson (www.cfp.ca) expliquent les améliorations à leur processus de renouvellement des ordonnances dans leur pratique, qui accroissent l’efficacité des médecins et la sécurité des patients4. De solides données scientifiques continuent d’émerger à l’effet que le recours aux méthodes interprofessionnelles dans les soins primaires améliore les soins aux patients.
Où est l’obstacle?
L’Institute for Healthcare Improvement a publié un rapport très intéressant qui expliquait certains des problèmes rencontrés pour engager les médecins dans des programmes d’assurance de la qualité5. Le rapport reconnaît qu’on inculque aux médecins un fort système de convictions entourant la responsabilité personnelle pour la qualité des soins aux patients et l’impérieuse nécessité de travailler en jouissant d’une complète autonomie individuelle.
On enseigne aux médecins que, s’ils travaillent et étudient assez fort, ils ne feront pas d’erreur. Cela les porte à croire que si une erreur est commise, alors c’est qu’une personne n’a pas travaillé ou étudié assez fort5.
Dans notre adoption d’un modèle en collaboration, le système de convictions entourant la responsabilité personnelle inculquée aux médecins nuit à l’innovation dans les approches à l’égard des soins. Comment pouvons-nous, comme médecins de famille, faire confiance aux autres professionnels de la santé qui travaillent avec nous? Comment savons-nous qu’ils ne causeront pas de préjudices aux patients avec qui nous avons développé des relations avec les années? En tant que médecins de famille, nous ne savons pas comment les infirmières, les infirmières praticiennes et les pharmaciens sont formés. Leur éducation n’a certainement pas été guidée par les mêmes principes que les nôtres ou bien, serait-ce le cas? Les autres professionnels de la santé sont-ils tenus de maintenir leur compétence par un développement professionnel continu? Il est bien plus facile de laisser ces questions sans réponse. Pourtant, ce faisant, nous nous cantonnons dans une position de méfiance que nous utilisons souvent comme mécanisme de défense pour éviter de tester les eaux du changement.
La confiance n’est pas une condition essentielle à la collaboration, à moins qu’une personne ne perçoive un risque6; par ailleurs, à mesure que nous mettons en œuvre des approches en collaboration dans les soins primaires, faire confiance à ceux avec qui nous travaillons devient une question primordiale. Les ouvrages spécialisés6,7 indiquent que la confiance peut s’établir si on règle 3 facteurs: compétence, réceptivité et partage des mêmes valeurs et principes.
Bâtir la confiance
Une collègue et moi-même avons présenté un atelier ces 2 dernières années au Forum en médecine familiale annuel au Canada8, au cours duquel nous mettons au défiles participants de réfléchir aux définitions entourant les rôles, les tâches, la compétence et le champ de pratique, afin d’explorer ce qui facilite les approches aux soins en équipe et ce qui leur nuit. Le rôle peut désigner un comportement prescrit ou attendu, associé à un poste ou un statut particulier. Les rôles CanMEDS9 et les rôles CanMEDS - Médecine familiale10 définissent les comportements que l’on attend des médecins (expert, communicateur, collaborateur, gestionnaire, promoteur de la santé, érudit et professionnel). Pourtant, ces rôles ne sont pas uniques aux médecins - ils sont exercés par les ergothérapeutes, les physiothérapeutes et d’autres11. Le mot tâches fait référence à une partie identifiable et essentielle d’un travail. On peut mentionner en exemple la spirométrie, le counseling en cessation du tabagisme, l’examen médical annuel et les ordonnances. Pour partager ces tâches avec d’autres professionnels de la santé, la confiance devient importante.
Comme on l’a déjà mentionné, la compétence est un élément clé pour bâtir la confiance. Si les pharmaciens rédigent des ordonnances pour certains médicaments et que les infirmières praticiennes posent le diagnostic de certains problèmes, alors, en tant que professionnels de la santé, nous devons avoir confiance en leur compétence pour faire ces tâches. Le champ de la pratique d’un professionnel de la santé implique une compétence directement reliée à l’éducation reçue et à l’expérience clinique acquise. On croit souvent que le champ de la pratique et la compétence sont interchangeables. Le champ de la pratique est régi par des lois des gouvernements provinciaux et autoréglementé par les professions. Pourtant, en tant que médecins de famille, nous savons que, même si nous avons selon la loi le droit de faire des accouchements, nous devons maintenir notre degré de compétence par une pratique continue et un développement professionnel afin d’exécuter cette tâche de manière sécuritaire et efficace. Il importe que tous les professionnels de la santé qui se partagent des tâches dans un système de prestation des soins primaires en collaboration comprennent ce qu’il faut pour faire ces tâches de manière compétente. La compétence peut s’enseigner et se mesurer. Par contre, la compétence à elle seule ne suffit pas pour établir la confiance. Il faut aussi des valeurs et des principes en commun.
Partager les principes de la médecine familiale
Les 4 principes de la médecine familiale12 stipulent que les médecins de famille sont des cliniciens compétents, ainsi que des ressources auprès d’une population de pratique définie. C’est une discipline communautaire qui valorise la relation médecin-patient comme étant un de ses piliers centraux. On peut dire que les 4 principes de la médecine familiale peuvent s’appliquer à n’importe quel professionnel de la santé qui travaille en milieu de soins primaires. Ce faisant, nous pouvons bâtir une équipe de professionnels de la santé qui ont en commun des valeurs et des principes semblables et un engagement à l’endroit de la compétence. En étant explicites à propos de nos espoirs et de nos attentes quant au genre de soins que nous voulons prodiguer dans nos milieux de pratique familiale et de soins primaires, nous aurions de bonnes chances de réussir à créer une culture de soins dans laquelle nous pourrions nous sentir à l’aise et en confiance de pratiquer.
La culture est un concept intéressant qui continue de ressurgir partout dans les ouvrages concernant la promotion des soins interprofessionnels. Selon Schein13, on peut définir la culture comme étant des valeurs, des convictions et des prémisses généralement et profondément acceptées par les membres d’une organisation. La culture d’une organisation peut se manifester par des « artéfacts », comme des structures (p. ex. comités interprofessionnels), des pratiques (p. ex. examens interprofessionnels des soins et pratiques de recrutement interprofessionnelles) et des comportements (p. ex. volonté de partager les tâches). La culture au sein d’une organisation influe sur la façon dont les personnes perçoivent, réfléchissent et agissent, sur la façon dont elles s’expriment et prennent des décisions. Elle influe sur les façons dont les membres pensent et perçoivent les choses ainsi que sur les gammes de choix qu’ils considèrent rationnels ou appropriés dans une situation donnée. La culture, c’est simplement « notre façon de faire ici ».
Alors, faisons donc la promotion d’une façon inter-professionnelle de faire les choses - une culture de soins primaires interprofessionnels, centrés sur le patient, de qualité et fondés sur des données probantes - et favorisons l’adoption de cette culture dans notre système de santé canadien, en misant sur les principes de la médecine familiale et en favorisant de meilleurs résultats dans les soins aux patients.
Footnotes
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The original English version of this article is on page 1173.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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