Descriptions de cas
Cas 1. Irène, 56 ans, a de sérieux antécédents de coronaropathie. À l’âge de 49 ans, elle avait déjà été victime de ses 2 premiers infarctus; à 52 ans, elle a subi un triple pontage coronarien. Par la suite, elle a développé une insuffisance cardiaque congestive. En dépit des doses maximales tolérées de métoprolol et d’énalapril, ainsi que de digoxine, de warfarine, d’atorvastatine, de nitroglycérine et de furosémide, elle a été admise 2 fois à l’hôpital en 6 mois. Elle a demandé à son médecin quel était le pronostic et son médecin a estimé de 1 à 2 ans.
Malheureusement, elle a de nouveau développé une dyspnée environ 3 semaines plus tard et son état s’est rapidement détérioré. Elle est décédée environ 6 semaines après le jour où la prédiction avait été faite. Le conjoint et les enfants ont exprimé leur insatisfaction à propos de cette prédiction, parce qu’Irène n’avait pas pu faire les choses qu’elle espérait faire durant cette période plus courte que prévue.
Cas 2. Maria, 79 ans, était célibataire. Elle a commencé à ressentir des douleurs épigastriques en décembre. Elle a consulté son médecin un mois plus tard, a subi des tests qui ont confirmé un cancer avancé du pancréas et a été référée en oncologie.
L’oncologue a vu Maria en février. Il ne lui a pas offert de traitement contre la maladie et l’a informée que la durée moyenne de survie était de 6 mois après l’apparition des symptômes. Maria est retournée chez elle, a déchiré les pages du calendrier à partir de juillet et a commencé à distribuer plusieurs de ses biens.
Lorsque le médecin en soins palliatifs l’a rencontrée en août, cette femme profondément religieuse était abattue et suicidaire, convaincue que Dieu l’avait oubliée.
Notre vie gravite en grande partie autour du temps. Nous connaissons tous ce que représente l’organisation de notre emploi du temps, que nous soyons au travail ou à la maison, quand nous sommes en santé. Nous avons tendance à vivre dans l’avenir. Nous prédisons, correctement ou non, le temps qu’il fera, les tendances de la bourse et l’équipe qui gagnera la joute de hockey la semaine prochaine. Il est donc parfaitement normal que les personnes diagnostiquées d’une maladie terminale, ainsi que leurs proches, s’intéressent à savoir combien de temps elles vivront.
On s’attend des médecins depuis la nuit des temps qu’ils prononcent un pronostic. Traditionnellement, on consultait le médecin pour obtenir un diagnostic et un pronostic, alors que la consultation pour un traitement n’est devenue prédominante qu’au cours du siècle dernier1. Parmi les autres situations où nous sommes appelés à faire un pronostic, il y a l’estimation d’une date d’accouchement ou du retour au travail après une blessure et une maladie.
Les cliniciens et les chercheurs s’intéressent aussi à la durée de survie (DDS). En tant que cliniciens, nous voulons aider nos patients à faire les meilleurs choix à propos de leur traitement. Les avantages d’un traitement intensif sont limités pour ceux dont le pronostic n’est pas très bon. L’accessibilité à certains services palliatifs dépend de la capacité de poser un pronostic de survie se situant dans un certain nombre de mois. Les chercheurs utilisent des données sur les pronostics pour définir une population à l’étude.
Préciser la question
D’abord, quand on nous pose la question «Combien de temps me reste-t-il?» ou «Combien de temps lui reste-il?» ou même parfois, moins précisément, «Combien de temps, docteur?», il importe de savoir exactement ce qui est demandé. Parfois, la question porte en réalité sur la date du congé de l’hôpital ou encore celle du prochain cycle de chimiothérapie. Ensuite, il faudrait cher-cher avec délicatesse ce qui motive la question. Il s’agit peut-être qu’on s’attend à faire des choses avant la mort (p. ex., régler des questions financières, faire son testament). C’est peut-être aussi que le patient veut faire un voyage ou participer à un événement familial important. On veut peut-être savoir s’il faut dire aux membres de la famille de venir voir le patient maintenant ou s’ils peuvent remettre la visite à un peu plus tard.
Un certain nombre d’études portent sur le pronostic de la fin de la vie. Des outils utiles sur le plan clinique ont d’ailleurs été élaborés. Il n’est pas question dans cet article de passer en revue tous les outils possibles, mais certains principes sont importants et quelques outils se révèlent pertinents et pratiques.
Principes du pronostic
Le pronostic comporte 2 composantes: formuler une prédiction exacte, puis la communiquer au patient et à la famille. Ensemble, ces composantes forment une combinaison d’art et de sciences. Les familles et les patients reconnaissent que les médecins ne savent pas la réponse exacte à la question. Ils veulent principalement que nous leur donnions une estimation aussi exacte que possible et que nous soyons disposés à discuter des questions entourant la fin de vie.
Si la détermination de la DDS estimée à l’aide d’outils peut être utile en recherche, elle l’est moins dans une approche clinique pratique. Il reste que certaines maladies et circonstances ont une progression rapide prévisible, d’autres une progression prévisible lente et d’autres sont simplement très imprévisibles.
Par exemple, la plupart des cancers des voies biliaires, des cancers du pancréas et des cancers métastasiques d’origine inconnue ont des pronostics défavorables et progressent rapidement. Au nombre des circonstances justifiant un mauvais pronostic, on peut mentionner les métastases multiples au cerveau ou au foie, une hyper-calcémie réfractaire, l’arrêt de la dialyse ou des saignements continus. Un cancer du sein métastasique ou de la prostate, s’ils sont progressifs et limitent la durée de vie, sont des exemples de maladies où le déclin n’est pas aussi rapide.
Certaines maladies laissent présager un déclin, mais bien moins facile à prédire; les patients atteints d’insuffisance cardiaque congestive ou de pneumopathie chronique obstructive en sont des exemples, comme de nombreux problèmes de santé pédiatriques. Ces maladies ont tendance à causer un lent déclin, ponctué d’une détérioration épisodique, amenant toutes les personnes concernées à se demander si cet épisode en particulier serait en fait le dernier.
Il est difficile de poser un pronostic de la DDS, car il doit tenir compte des variations entre les patients, les maladies et l’environnement. De plus, les prédictions sont faites par des personnes qui ont elles-mêmes des espoirs, des attentes et des partis-pris inhérents. Il est démontré que les médecins font des prévisions inexactes. La prédiction clinique de la DDS par des experts a été erronée (définie comme plus du double ou moins de la moitié de la survie réelle) dans 30 % des cas. Les deux tiers des erreurs sont fondées sur un trop grand optimisme. Nous devenons plus exacts à mesure qu’approche la fin. Intuitivement, c’est sensé. En météorologie, on qualifie cette prédiction d’effet horizon - il est plus facile de prévoir le temps qu’il fera en se basant sur l’horizon qu’il ne l’est pour la prochaine semaine2.
Exemples d’outils
Même s’il est démontré que de nombreux facteurs sont associés à la DDS, celui qui importe le plus est le degré de fonctionnement du patient, habituellement appelé sa capacité fonctionnelle. La mesure du taux de déclin de la capacité fonctionnelle démontrera un rythme qu’on peut utiliser pour estimer le déclin futur. Autrement dit, en soins palliatifs, les états qui se détériorent de semaine en semaine continueront habituellement à le faire. Un déclin de jour en jour indique souvent un pronostic d’un certain nombre de jours.
L’échelle de rendement palliatif, initialement publié en 19963, est utile pour documenter la capacité fonctionnelle et a été utilisée dans plusieurs études pour aider à estimer la DDS. C’est aussi un outil utile pour communiquer le stade de la maladie. Elle ressemble à l’indice de rendement de Karnofsky, qui sert à mesurer la capacité fonctionnelle en oncologie. On classe les patients selon une échelle percentile de 100 à 10 en fonction de leur état dans 4 domaines: l’activité et l’évidence de la maladie, les soins auto-administrés, l’ingestat et le degré de conscience. On trouve l’échelle et les instructions sur son utilisation dans le site Web de l’Hospice Victoria4.
On donne 2 exemples d’outils pour estimer la survie dans les tableaux 15,6 et 24,7. Ces outils ont fait l’objet d’études avec des patients ayant un cancer diagnostiqué. À l’aide de la cote de pronostic palliatif (Tableau 15,6), la probabilité de survie pendant 30 jours est de moins de 30 % si la cote excède 11 points et de plus de 70% si la cote se situe de 0 à 5,5. Un indice de plus de 6 selon l’indice de pronostic palliatif (Tableau 24,7) laisse prévoir une survie de moins de 3 semaines (sensibilité de 80%, spécificité de 85%). Comme on l’a mentionné, de nombreuses maladies progressives non cancéreuses virtuellement mortelles ont une évolution moins prévisible et rendent le pronostic plus difficile. Lau et ses collaborateurs ont étudié en profondeur un certain nombre d’outils disponibles pour prédire la DDS dans les cas de cancer et de maladies non cancéreuses8. Bon nombre de ces outils ne sont pas pratiques dans le contexte des soins palliatifs où, par exemple, nous ne prescririons pas des tests simplement pour prédire la DDS. Leur utilité serait probablement plus grande dans certains milieux cliniques et de recherche.
Cote de pronostic palliatif: La probabilité de survie pendant 30 jours est de moins de 30 % si la cote excède 11 points et de plus de 70 % si la cote se situe de 0 à 5,5.
Indice de pronostic palliatif: Un indice excédant 6 points laisse prévoir une survie de moins de 3 semaines.
Discuter de la DDS
Faire un pronostic n’est pas sans risques. Si la DDS est sous-estimée, les membres de la famille croient qu’on leur a volé du temps. Sa surestimation peut retarder la demande de services de soins palliatifs ou l’administration d’analgésiques puissants. Elle peut aussi accroître le recours à des traitements potentiellement toxiques et difficiles, qui ne prolongeront pas la vie mais en réduiront la qualité. Toutes les personnes concernées doivent comprendre que les estimations ne sont pas des garanties et que l’état d’une personne à ce moment de sa vie peut changer rapidement.
Durant toutes les discussions, il est important dans la réponse à la question d’utiliser un langage compréhensible. Il importe aussi de savoir qui pose la question. Est-ce le patient ou un membre de la famille? Si c’est un proche, le patient sait-il que la question est posée? La communication en fin de vie se complique de plus en plus, car il faut respecter l’autonomie du patient tout en reconnaissant la famille comme étant l’unité de soins.
La discussion du pronostic avec les patients et leur famille représente peut-être le meilleur exemple de la communication de mauvaises nouvelles. Si on sait bien le faire, cela ouvre la voie à une issue plus favorable. Dans le cas contraire, on pourrait s’attendre à des complications futures. Diverses approches ont été suggérées pour transmettre de mauvaises nouvelles. Dans une étude9, des oncologues ayant plus de 10 ans d’expérience clinique ont fait des jeux de rôles avec une actrice, permettant d’examiner spécifiquement l’approche adoptée dans la réponse à la question «Combien de temps me reste-t-il?». Les résultats de l’étude de Loprinzi et de ses collègues sont résumés dans l’Encadré 19. Qu’on soit un clinicien novice ou expérimenté dans cette situation, il est utile à l’occasion de revoir les suggestions, comme celles données par Buckman10, pour mieux saisir cette tâche difficile mais importante et mieux l’accomplir.
Éléments à prendre en compte dans la discussion du pronostic
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Reconnaître l’incertitude.
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Donner une marge de temps générale, réaliste.
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Donner espoir.
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Recommander de «faire ce qu’il y a à faire».
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Donner l’assurance réaliste que vous pourrez aider la personne dans le passage à la mort.
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Demander pour la personne des services de soutien émotionnel et spirituel.
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Demander à la personne ce qu’elle aimerait accomplir.
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Encourager à poser d’autres questions.
Conclusion
«Combien de temps me reste-t-il?». Cette question et toutes ses variantes sont couramment posées aux professionnels de la santé. Les traitements en fin de vie sont souvent ponctués de décisions difficiles. Une prédiction exacte de la DDS, communiquée avec douceur et franchise, est une façon d’aider à la prise de décisions durant cette période. L’observation avec le temps donnera une meilleure idée du rythme du déclin fonctionnel et ce rythme permet d’estimer la DDS avec plus de précision.
Le plus important peut-être, c’est de déterminer les éléments sous-jacents dans la question et d’offrir le soutien nécessaire pour y faire face. La question «Combien de temps me reste-t-il?» démontre une certaine acceptation par la personne de la détérioration de son état. C’est peut-être une occasion de l’encourager avec délicatesse à dire et à faire les choses qui n’ont pas été dites et faites.
Le dernier passage de la vie reste un mystère. Nous, en tant que dispensateurs de soins, quand nous tentons de prédire l’évolution de la maladie, nous devons apprécier la complexité de cette prédiction et l’importance de notre présence et de notre implication auprès du patient et de la famille - quel que soit le cours des choses.
Règlement des cas
Cas 1. La famille d’Irène a demandé à son médecin de famille. Les membres de la famille ont exprimé leur mécontentement à propos de la prédiction erronée qu’il avait faite du temps qu’il lui restait. Après avoir discuté pendant un certain temps, la famille en est venue à comprendre les difficultés de faire une prédiction et que la meilleure estimation possible donnée par le médecin n’était pas simplement une façon de donner de faux espoirs à Irène et à sa famille. Le médecin de famille a aussi pris davantage conscience combien il est difficile de prédire la DDS et l’importance qu’elle revêt pour la famille et la personne mourante.
Cas 2. On a commencé à administrer à Maria un traitement aux antidépresseurs. On lui a procuré un nouveau calendrier sur lequel on a inscrit les événements à venir au cours des prochaines semaines. On a organisé la visite régulière de bénévoles pour s’asseoir avec elle, parler et entretenir une interaction. On a encouragé ses amis à la visiter plus souvent. Elle est devenue beaucoup moins anxieuse et déprimée. Maria est décédée en paix environ 2 mois plus tard.
Dossiers en soins palliatifs est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et rédigée par les membres du Comité des soins palliatifs du Collège des médecins de famille du Canada. Ces articles explorent des situations courantes vécues par des médecins de famille qui offrent des soins palliatifs dans le contexte de leur pratique en soins primaires. N’hésitez pas à nous suggérer des idées pour de futurs articles à palliative_care{at}cfpc.ca.
Notes
POINTS SAILLANTS
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« Combien de temps me reste-t-il? » est une question souvent posée aux dispensateurs de soins. La communication en douceur et avec franchise d’une prédiction exacte de la durée de survie (DDS) peut s’avérer une façon d’aider un patient à prendre des décisions.
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Le pronostic de la DDS n’est pas sans risques. Si on la sous-estime, la famille peut croire qu’on leur a volé du temps. Si on la surestime, on peut entraîner une utilisation excessivement agressive de traitements toxiques ou un retard dans la demande de services en soins palliatifs.
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Dans les discussions sur la DDS, il importe de clarifier les questions que posent les patients et de leur répondre dans un langage qu’ils peuvent comprendre.
BOTTOM LINE
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“How long have I got?” is a question commonly asked of health care providers. Communicating an accurate prediction of length of survival (LOS) gently and honestly can be one way to help a patient’s decision making.
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Prognosticating LOS is not without risks. With underestimation, families might believe they were robbed of time. Overestimation might cause excessively aggressive use of toxic treatments or a delay in referral to palliative care services.
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During LOS discussions, it is important to clarify the questions patients ask and to answer them using language patients can understand.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Données tirées de Loprinzi et collab.9
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