Le syndrome du côlon irritable (SCI) est un problème multifactoriel complexe causé par une dysrégulation entre le cerveau et l’intestin1. Il comporte des éléments d’anomalies motrices et sensorielles intestinales qui pourraient être associés à des causes post-inflammatoires, génétiques et psychologiques. Le syndrome du côlon irritable se traduit par divers symptômes fonctionnels gastro-intestinaux comme des douleurs abdominales récurrentes, des changements dans les habitudes intestinales, de la diarrhée ou de la constipation, des ballonnements et une urgence de la défécation. Le diagnostic peut être posé à l’aide des critères de Rome III en l’absence de symptômes «drapeaux rouges»2.
On classifie le syndrome du côlon irritable en fonction de symptômes selon lesquels la constipation ou bien la diarrhée prédomine, ou encore s’il y a alternance entre diarrhée et constipation. Le symptôme le plus marquant est la douleur abdominale récurrente soulagée par la défécation2.
Sa prévalence dans la population générale se situant entre 10% et 15 %, le SCI représente l’un des troubles fonctionnels gastro-intestinaux les plus communs dans le monde. La plupart des gens qui en souffrent ne font pas appel au médecin; par ailleurs, ceux dont la qualité de vie est vraiment affectée s’absentent plus du travail et utilisent davantage les services de santé3, ce qui entraîne des coûts directs et indirects considérables pour le système de santé. Aux États-Unis, on a attribué au SCI plus de 3,6 millions de consultations médicales en 1998 et des coûts d’environ 1,7 milliard USD en 20004.
Effets sur la personne
Une étude qualitative réalisée par Bertram et collègues met en évidence les effets profonds que peut avoir le SCI sur la vie et le bien-être des patients5. L’étude portait sur 51 patients ayant reçu un diagnostic médical de SCI, à qui on a demandé comment les symptômes affectaient leur vie. Les résultats ont démontré que ce problème «bénin» n’avait vraiment pas des effets bénins. La diarrhée et les crampes abdominales incitaient la plupart des gens à consulter leur médecin. Au nombre des thèmes qui se dégageaient des discussions du groupe témoin figuraient la frustration, l’isolement social et le contraste entre leur façon de percevoir leur maladie et celle de leur entourage. Ils étaient frustrés par le manque de compréhension de la part de leur famille et de leurs collègues concernant la maladie, l’imprévisibilité des symptômes, l’isolement social et le fait que leur médecin ne considère pas ce problème comme étant sérieux5.
La plupart des gens atteints du SCI sont soignés par leur médecin de famille, mais bon nombre d’entre eux consultent aussi un spécialiste. Selon une étude, on attribue au SCI environ 20 % des demandes de consultation auprès des gastro-entérologues6.
Même si on comprend un peu mieux la complexité de la fonction neuroendocrinologique de l’intestin, la prise en charge du SCI est difficile parce que c’est un problème hétérogène pour lequel il n’y a pas de traitement efficace. Les inhibiteurs de la sérotonine (p. ex. le tégasérod) étaient assez prometteurs, mais cet espoir a été anéanti par l’association de ces médicaments avec la morbidité cardiovasculaire et la colite ischémique; ils ont depuis été retirés du marché pour usage général1,7. Une récente synthèse critique sur les antispasmodiques fait toutefois valoir certains bienfaits. Selon cette étude, il faut traiter 5 patients avec cette classe d’agents pour prévenir les symptômes chez une personne. Malheureusement, les auteurs ont trouvé certains éléments de preuve de partialité dans les études publiées dont ils ont fait la synthèse. Ils ont aussi constaté des effets indésirables chez 14 % des patients (habituellement des effets secondaires anticholinergiques comme la bouche sèche, l’étourdissement et la vision embrouillée). Le nombre nécessaire pour causer des préjudices était de 17,58.
Solutions de rechange
En raison de l’échec général de la médecine à trouver des thérapies efficaces et compte tenu de ce que pensent les personnes atteintes du SCI à propos de leur traitement par le système médical, il n’est pas surprenant que celles-ci recherchent d’autres approches pour prendre en charge ce problème difficile. Le recours à la médecine douce et complémentaire (MDC) pour le SCI est à la hausse. L’utilisation de la MDC est courante en général (12,8 % de la population)9 et on estime que 50 % des patients atteints du SCI utilisent une forme ou une autre de MDC10.
Le Sondage national des médecins de 2008 faisait valoir que les médecins plus jeunes étaient plus enclins à incorporer la MDC dans leur arsenal de moyens de prise en charge9. Malheureusement, de nombreux traitements en MDC n’ont pas fait l’objet d’études suffisantes pour fournir les données probantes de leur efficacité thérapeutique que nous avons maintenant l’habitude d’exiger. Pour le SCI en particulier, par ailleurs, on a étudié un certain nombre de traitements en MDC.
Dans le présent numéro du Médecin de famille canadien, Shen et Nahas ont présenté un examen très rigoureux des traitements en MDC pour le SCI11. Un des messages importants est qu’une recommandation générale aux personnes atteintes du SCI d’augmenter leur consommation de «fibres» n’est pas utile et pourrait même aggraver, les symptômes. Les fibres insolubles, comme le son de blé, ne fonctionnent pas et ne devraient pas être utilisées. Les fibres solubles (psyllium ou graine d’ispaghula) peuvent être efficaces dans les cas du SCI à constipation prédominante, mais ne règlent pas la douleur abdominale. Les données probantes en faveur de l’essence de menthe comme traitement sont prometteuses (nombre nécessaire à traiter = 3). Ce produit n’a que des effets indésirables mineurs et il mériterait qu’on le mette à l’essai8.
En raison de la morbidité psychiatrique associée au SCI, certaines approches psychologiques ont été utilisées comme traitement. Les résultats sont variables, mais il vaut la peine de les essayer chez certains patients. Comme ils doivent le faire avec n’importe quel trouble dont la cause s’explique mal et pour lequel les traitements sont inefficaces, les médecins de famille doivent se concentrer sur les patients et leur expérience de la maladie, leur donner du soutien et des conseils, en dépit de leur sentiment d’impuissance. Nous devons garder l’esprit ouvert à l’endroit de nouveaux traitements possibles, qu’il s’agisse ou non d’une approche de MDC. Par contre, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher les données probantes étayant l’efficacité de ces nouveaux traitements.
Autre cause de douleur abdominale et de diarrhée
Un autre article dans le présent numéro, par Rashid et collègues, porte sur les troubles gastro-intestinaux et indique l’existence d’un test à domicile pour les entéropathies au gluten12. Cet article nous rappelle que ces entéropathies sont plus communes qu’on le croyait auparavant (1 % de la population) et qu’elles devraient être incluses dans le diagnostic différentiel du SCI. Les patients ayant une entéropathie au gluten peuvent se présenter avec de la diarrhée et un inconfort abdominal récurrent sans toutefois avoir tous les autres signes et symptômes, comme des carences nutritionnelles, la perte de poids et l’anémie, qu’on retrouve dans les cas plus graves. Cette analyse permet aux patients qui pensent avoir une entéropathie au gluten de faire eux-mêmes ce test très sensible dans le confort de leur foyer. Des résultats de test positifs amèneront ces patients à consulter leur médecin de famille ou à suivre d’eux-mêmes un régime sans gluten. Il est important pour tous les médecins de retenir la conclusion des auteurs: ce test à domicile ne sert qu’au dépistage; avant de recommander une alimentation restrictive pour le reste de la vie, il faudrait faire subir aux patients une biopsie de l’intestin grêle pour obtenir confirmation.
Ces deux articles décrivent des troubles intestinaux qui présenteront des défis aux médecins de famille et donnent des renseignements utiles pour le diagnostic ou la prise en charge de ces problèmes. La MDC offre-t-elle des moyens utiles de traiter le SCI? Définitivement oui.
Footnotes
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This article is also in English on page 126.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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