Il est temps de mettre un terme à ce débat au Canada. Le plus grand risque pour les patients canadiens ne vient pas des annonces publicitaires de médicaments diffusées par des sources médiatiques américaines, mais bien du manque d’accès aux renseignements sur les médicaments d’ordonnance. À titre de défenseur des intérêts des patients, de mère de 2 enfants ayant des problèmes de santé et d’épouse d’un homme souffrant de multiples problèmes chroniques, je connais les frustrations qu’engendre la recherche d’information sur les nouvelles thérapies. En Europe, où il existe des obstacles semblables, un sondage auprès de 268 organisations sans but lucratif de patients a révélé que le cinquième des répondants disaient ne «jamais» pouvoir accéder à des renseignements de grande qualité sur les médicaments d’ordonnance, les trois cinquièmes répondaient y avoir «parfois» accès, tandis que seulement 13 % affirmaient «toujours» y accéder1.
Au Canada, le débat entourant la publicité telle que faite aux États-Unis a fait dérailler la discussion sur l’accès direct par les patients aux renseignements sur les médicaments. Les critiques de la publicité directe sur les médicaments d’ordonnance (PDMO) englobent souvent l’information directe aux consommateurs, malgré l’absence de données probantes2.
Arguments à l’appui
Cet article présente 4 points en faveur d’un accès direct par les patients à des renseignements sur les médicaments d’ordonnance :
La publicité sur les médicaments ou les maladies contribue à la santé publique en augmentant les consultations appropriées pour des problèmes de santé non diagnostiqués ou traités
Dans la plupart des études, on s’entend pour dire que les annonces de «sensibilisation à la maladie» ou de «sensibilisation aux médicaments» se traduisent par une augmentation des consultations pour des problèmes spécifiques3. Les critiques se plaignent que la demande de conseils à un médecin par des patients en santé constitue un gaspillage de ressources en soins de santé4; par ailleurs, rares sont les données probantes qui confirment que ces consultations ne sont pas appropriées5.
Dans une enquête par la Food and Drug Administration des États-Unis, les médecins ont répondu que la majorité (88 %) des patients qui demandaient des renseignements à propos de médicaments en particulier après avoir vu des annonces publicitaires souffraient en fait des problèmes pour lesquels ces médicaments étaient conçus6. Environ le quart des patients dont la consultation était incitée par des annonces publicitaires ont reçu de nouveaux diagnostics, certains pour des problèmes possibles à prévenir comme l’hypertension, le diabète, l’hypercholestérolémie et la dépression7. Près de 75% des médecins qui ont répondu au sondage ont signalé que les campagnes amélioraient la qualité de leurs discussions avec les patients. En général, la publicité peut aider à redresser le «déficit en matière de santé» qui fait en sorte que des problèmes sérieux ne sont pas suffisamment diagnostiqués et traités.
Les annonces ne font pas en sorte que les patients reçoivent des médicaments inappropriés
Les médicaments d’ordonnance comptent parmi les rares substances exigeant l’autorisation d’un intermédiaire avisé, ce qui a tendance à limiter plutôt qu’à favoriser l’accès. Bien que les médecins rapportent que leurs patients leur demandent de l’information sur les médicaments annoncés, plus de la moitié de ceux qui ont participé à un sondage du Boston Consulting Group ont affirmé que les formulaires influençaient grandement leurs pratiques en matière d’ordonnances, et le tiers ont mentionné qu’ils ne discuteraient pas de traitements non couverts par les assureurs8.
Selon une étude longitudinale comparant des Canadiens anglophones exposés à des annonces (illicites) états-uniennes concernant 3 médicaments et des Canadiens francophones non exposés à de telles annonces, les annonces n’avaient pas eu d’effet sur les taux de prescription de 2 de ces médicaments et n’ont entraîné qu’une augmentation à court terme des ordonnances du troisième9.
Parallèlement, le Government Auditing Office des États-Unis a conclu que seulement 27 % des personnes ayant vu des annonces de médicaments demandaient en fait ces médicaments et recevaient une ordonnance10. Les trois quarts des patients qui ont demandé conseil à leur médecin après avoir vu une annonce de médicament ont déclaré que leur médecin avait discuté avec eux de santé et de changements au mode de vie; plus de la moitié avaient reçu une prescription d’un médicament générique équivalent, tandis que 51 % s’étaient fait suggérer des traitements sans ordonnance.
L’information directe aux consommateurs sur les produits pharmaceutiques répond à un besoin des patients jusque là insatisfait
Non seulement la majorité des Canadiens (68 %) sont-ils en faveur de l’information directe aux consommateurs sur les médicaments d’ordonnance, mais ils croient aussi que la PDMO est permise11.
Dans un même ordre d’idée, le public a exercé des pressions sur la Commission européenne pour qu’elle permette aux sociétés de produits pharmaceutiques de donner des renseignements (et non de la publicité) directement aux consommateurs dans les médias publics, notamment à la radio et à la télé, dans les journaux et dans Internet12. Répondant à un sondage, la plupart des groupes de patients européens atteints du cancer ont dit ne pas pouvoir se fier à leur spécialiste pour obtenir assez de renseignements, et beaucoup étaient d’avis que les pratiques des médecins en matière d’ordonnance étaient régies par les budgets restrictifs des autorités de la santé13. Dans un autre sondage, les groupes de patients estimaient avoir le doit d’approcher directement les sociétés de produits pharmaceutiques pour obtenir de l’information sur leurs médicaments14.
L’information directe aux consommateurs sur les médicaments doit être équilibrée, vérifiée et surveillée
En avril 2008, la Commission européenne, tout en maintenant son interdiction de faire de la publicité, a proposé un cadre permettant l’information directe sur les médicaments d’ordonnance dans les médias publics et dans du matériel audiovisuel et écrit, sous réserve d’une vérification préalable et d’une surveillance par une entité indépendante15. L’information ne doit pas être «trompeuse par omission» et doit obligatoirement «présenter de manière équilibrée» tant les avantages que les risques, de manière à ce que les consommateurs puissent prendre des décisions éclairées.
Le guide de Santé Canada sur la publicité des médicaments en vente libre reconnaît que les consommateurs devraient recevoir des renseignements justes et équilibrés au sujet des avantages et des risques associés aux médicaments pour prendre des décisions avisées. Il reconnaît que le public ne lit pas nécessairement les notices ou les monographies sur les produits, mais qu’il s’intéresse aux annonces publicitaires. Par conséquent, des renseignements équilibrés transmis aux patients par la publicité peuvent promouvoir l’usage convenable des médicaments et apporter par le fait même des avantages concomitants au système de santé16.
Je propose d’utiliser la même logique et les mêmes directives pour les médicaments d’ordonnance. L’information doit être fondée sur des données probantes et ne pas excéder ce qui a été approuvé dans les monographies du produit. Il faut inclure tous les bienfaits et les risques importants, et toutes les communications doivent faire l’objet d’une vérification préalable et d’une approbation. Les communications inexactes doivent être corrigées ou retirées, et les renseignements trompeurs devraient entraîner des pénalités.
Un dernier mot
Il est illogique et irresponsable de permettre la libre circulation outre frontière de la PDMO tout en restreignant des renseignements plus appropriés produits au Canada, qui seraient approuvés et surveillés par les autorités canadiennes. Nous pourrions trouver une approche centrée sur le patient qui répond aux besoins de renseignements équilibrés, de grande qualité et complets sur les médicaments d’ordonnance, qui ne trompent pas les patients ni ne les incitent à une utilisation inappropriée des médicaments.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
-
La publicité sur les médicaments ou les maladies contribue à la santé publique en augmentant les consultations appropriées pour des problèmes de santé non diagnostiqués ou traités.
-
Puisque les médicaments d’ordonnance exigent l’autorisation d’un intermédiaire avisé, les annonces publicitaires ne font pas en sorte que les patients reçoivent des médicaments inappropriés.
-
Les sondages auprès des patients révèlent que l’information directe aux consommateurs sur les produits pharmaceutiques répond à un besoin jusque là insatisfait.
-
L’information directe aux consommateurs sur les médicaments qui est équilibrée, vérifiée et surveillée peut promouvoir une utilisation appropriée des médicaments.
Footnotes
-
This article is also in English on page 130.
-
Intérêts concurrents
L’Institute for Optimizing Health Outcomes et la Canadian Organization for Rare Disorders (CORD) ont reçu des subventions sans restrictions pour l’éducation de la part de sociétés de produits pharmaceutiques. L’Institute for Optimizing Health Outcomes est financé par des contrats de service et des commandites du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario et du ministère de la Santé de la Colombie-Britannique; par des contrats de service avec des établissements de soins de santé, des cliniques et des services de santé; et par des subventions sans restrictions pour l’éducation versées par des sociétés de produits pharmaceutiques. La Canadian Organization for Rare Disorders reçoit des subventions sans restrictions pour l’éducation de la part de sociétés de produits pharmaceutiques et de fondations, dont l’Alberta Gaming and Liquor Commission. L’auteure ne reçoit aucune rémunération pour ses services bénévoles auprès de CORD.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada