C’est un rare honneur que de se voir confier un poste de direction et le privilège de représenter le Collège des médecins de famille du Canada revêt pour moi une grande signification. De telles possibilités nous amènent souvent à réfléchir à notre cheminement pour en arriver là et aux relations qui nous ont guidés et conseillés.
Sur le plan professionnel, j’ai eu la chance d’avoir d’excellents enseignants, mentors et modèles à suivre. Quand j’étais étudiante en médecine à Edmonton, en Alberta, l’un de mes moments d’apprentissage les plus mémorables s’est produit durant les tournées en médecine interne à l’Hôpital Royal Alexandra avec Dr Alan Gilbert, un médecin de famille devenu interniste, avec l’âme d’un poète. Environ 6 d’entre nous, étudiants «novices», sommes entrés dans la chambre de sa patiente que j’appellerai Dorothée. Dr Gilbert a écouté patiemment l’étudiant qui avait admis Dorothée expliquer en long et en large son problème, ses antécédents médicaux, l’examen des systèmes, les constatations physiques et les résultats de laboratoire. Ensuite, il nous a posé des questions: «Qu’a oublié votre collègue? De quels autres renseignements avez-vous besoin pour traiter Dorothée?» Nous pensions tous que notre collègue avait couvert tous les faits saillants et nous étions sidérés. Dr Gilbert nous a donné un indice: «Ce que vous avez oublié est évident juste en regardant la patiente et ce qui l’entoure.» Nous avons commencé à chercher d’autres signes physiques. Boitait-elle? Avait-elle une contracture de Dupuytren? Y avait-il quelque chose dans son apparence qui aurait pu nous signaler une maladie auto-immune?
Pendant que mes collègues et moi réfléchissions, Dr Gilbert était assis près de Dorothée et lui tenait la main. Elle avait un petit sourire aux lèvres - il était évident qu’elle avait été déjà témoin de cet exercice et qu’elle s’amusait. Enfin, après nous avoir observés qui présentions toutes sortes de conclusions extravagantes, il nous a fait remarquer que Dorothée était étendue dans le lit avec un afghan coloré autour des épaules avec un oreiller qui n’était pas de ceux qu’on a à l’hôpital. Il y avait des bouquets de fleurs sur sa table de nuit, des dessins d’enfants affichés au mur, une boîte de chocolats, des photos de famille et des livres. Ce que Dr Gilbert essayait de nous faire comprendre, c’était que Dorothée était la matriarche d’une famille attentionnée qui l’aimait. Elle avait des passe-temps, des intérêts et des petits-enfants. Sous les diagnostics médicaux que nous tentions de poser, il y avait une personne - une personne à valoriser, à respecter et à comprendre. Si nous n’étions pas capables de le voir, peut-être deviendrions-nous des médecins compétents, mais jamais vraiment un bon docteur. Nous aurions raté l’essentiel de ce qui fait de la médecine une profession satisfaisante.
Ces rapports qui nous lient
Quelques années après ma résidence, je me suis jointe au cabinet de George Renouf, mon ancien précepteur, lorsqu’il a quitté l’unité d’enseignement. Mon implication au sein du Collège a commencé à la suite de circonstances tragiques: George et son fils sont décédés dans un accident de la route. Il était président de l’adhésion à la section du Manitoba et j’ai assumé ces fonctions à sa place et pris en charge bon nombre de ses patients. Cela m’a aidé un peu de penser qu’à ma façon, je lui rendais hommage pour tout ce qu’il m’avait appris. Ce fut une période difficile pour tous - la force de la relation médecin-patient était vivement démontrée par les réactions exprimées par les patients de George après son décès. Je lui suis redevable pour les leçons qu’il m’a apprises dans sa vie et, par sa mort prématurée, à propos de la puissance de cette relation.
Étant la fille d’un médecin de famille, j’accompagnais souvent mon père dans ses visites à domicile. Je l’écoutais décrire avec un plaisir intense la satisfaction qu’il ressentait après un accouchement. Après sa mort, j’ai lu des lettres de ses patients et collègues qui témoignaient de la force de leurs relations avec lui et de la différence qu’il faisait dans leur vie et celle de leur famille.
Ce qui rend merveilleuse la médecine familiale, c’est qu’elle nous permet de mettre en pratique l’humanisme médical - le caractère sacro-saint de la vie humaine, le respect de la dignité et de la diversité et l’appréciation de la complexité du simple fait de vivre sa vie. Nous savons tous qu’en médecine familiale, le contexte représente tout. La fusion de la science et de l’humanisme, la reconnaissance que notre humanité est intimement liée à celle de nos patients et, comme me l’ont enseigné mes anciens professeurs, Alan Gilbert, George Renouf et Mitchell Finkelstein, le privilège d’établir une relation unique avec les patients procurent la plus grande satisfaction dans notre vie professionnelle.
Plusieurs d’entre nous avons le plaisir d’avoir des étudiants en médecine en stage clinique dans nos cabinets. Rappelez-vous de l’impact que peut avoir un seul moment mémorable d’enseignement. Ce n’est souvent pas votre savoir médical qui fait le plus vibrer la corde sensible, mais bien l’interaction entre vous et votre patient. Si nous ne l’oublions pas, nous avons tous l’étoffe de devenir un mentor marquant.
Footnotes
-
This article is also in English on page 221.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada