La médecine a évolué considérablement au cours des 50 dernières années, passant d’un régime quasi-privé à un système largement financé par le gouvernement. L’instauration de l’assurance-santé était, d’un point de vue historique, un bon exemple d’évolution créative - le produit créatif d’une force vitale1. La force d’alors était la volonté des politiciens et la transition difficile vécue par les médecins.
Mon père était médecin de famille en Saskatchewan. Quand l’assurance-santé a été instaurée, mon père, en tant que directeur du personnel médical de l’Hôpital général de Regina, était au beau milieu de la bataille. Ne vous méprenez pas: ce fut une bataille féroce et amère. Je me souviens parfaitement de la tension qui régnait à la maison et dans la province. Je me rappelle que mon père étudiait des offres d’emploi au Nebraska. Avec des collègues, il tenait souvent des réunions le soir dans notre salon pour planifier des réponses, exprimer leurs frustrations: ils parlaient fort, d’une voix remplie de colère et de mécontentement. Ma mère a gardé beaucoup de coupures de presse, de discours et de documents que mon père collectionnait à l’époque. En les examinant, je me suis rendu compte que la principale source d’insatisfaction du milieu médical se situait dans le manque de consultation et de collaboration,, et surtout, dans la crainte d’une intervention du gouvernement dans la relation médecin-patient.
Pareil, mais différent
Si le contexte diffère, le discours récent exprime les mêmes sentiments de colère. Dr E.W. Barootes (communication écrite, mai 1962), urologue à Regina, un ami de la famille et président de la Saskatchewan Medical Society, disait dans un discours:
Nous sommes dans une situation où nous devons prendre des décisions justes, appropriées et décentes qui peuvent être difficiles dans l’immédiat, mais qui doivent protéger la santé de la population à l’avenir. Nous ne devons pas prendre des mesures de circonstance, mais plutôt envisager l’avenir dans l’intérêt supérieur de la santé de nos citoyens dans 1 an, 5 ans et 10 ans d’ici. Tant de médecins ont dit ne plus être capables de travailler avec l’enthousiasme, le zèle, la détermination, la satisfaction et la gratification que l’exercice de la médecine devrait apporter. Nous n’avons pas le temps de nous consacrer à nos études scientifiques et à nos patients comme il le faudrait.
Les mêmes frustrations persistent 46 ans plus tard. Il y a une plus grande collaboration entre les gouvernements et nous, mais la relation pourrait être améliorée. Les échecs de notre système de santé créent du stress pour les médecins en pratique, qui gruge notre zèle et notre passion. Nous sommes frustrés par le manque de réceptivité du système à répondre aux besoins de nos patients d’accéder en temps opportun aux soins. La médecine organisée est frustrée par l’absence de planification à long terme attendue de nos gouvernements. Nous sommes témoins du résultat de décisions à court terme précipitées et ce n’est pas beau à voir: nous vivons désormais avec une crise d’effectifs résultant directement de ces décisions.
Dans bien des secteurs, il y a des bureaucrates et des politiciens avisés qui travaillent fort à la réalisation des mêmes buts que nous valorisons. Ce qui manque, c’est un échange efficace d’information et la communication entre les silos. Les problèmes au Canada se compliquent en raison de la dispersion géographique et démographique, et de la réalité de notre gouvernance fédérale dans laquelle la santé demeure une compétence provinciale et le consensus fédéral-provincial et territorial n’est pas toujours là.
Aptitudes au changement
Nous acquérons de nombreuses habiletés dans notre formation professionnelle en tant que médecins de famille. Nous développons la capacité de transiger avec l’ambiguïté et l’incertitude. Nous apprenons à distiller rapidement et efficacement l’information. Nous apprenons à écouter et à travailler de concert avec ceux dont l’expertise complète la nôtre. Nous apprenons de nos erreurs et de l’expérience d’autrui. Nous apprenons à faire des distinctions, à attendre l’assurance que la santé de nos patients ne sera pas compromise avant de nous embarquer. Nous préconisons la prévention parce que nous savons que la santé n’est pas statique mais bien dynamique.
Est-il raisonnable d’attendre les mêmes compétences des politiciens? Évidemment! Est-il avisé que nos dirigeants utilisent tous les renseignements venant de tous les coins du pays pour élaborer une judicieuse stratégie en matière d’effectifs? Bien sûr! Comme les médecins de la Saskatchewan durant les années 1960 l’ont appris, le changement pose des défis. Mais le changement peut être progressif et bien réfléchi, surtout s’il rallie les intervenants plutôt que de les aliéner, se fonde sur des faits plutôt que des spéculations et prévoit les conséquences à long terme. Le Collège veut assurer l’existence d’une telle collaboration pour que dans 40 ans, nous puissions en rétrospective être fiers du système de santé que nous avons contribué à faire évoluer.
Footnotes
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This article is also in English on page 445.
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