
La vieillesse représente une étape de notre existence et,
comme toutes les autres étapes,
elle a son propre visage,
une atmosphère et une ambiance spécifiques,
ses joies et ses peines.1
Docteur, je vous consulte pour faire le point sur ma santé.
Ma condition est assez stable. Évidemment, comme tout le monde, je vieillis d’une année par année. Bizarrement, je ne m’en rends pas compte. Les jours et les semaines passent sans que je ne le réalise vraiment. Les années se succèdent sans que j’en prenne conscience. L’autre jour, j’ai réalisé que près de 10 ans déjà s’étaient écoulés depuis l’arrivée du troisième millénaire sans que je ne m’en aperçoive. Le temps est passé si vite. Il me semble que c’était hier.
En réalité, je me sens ni plus vieux ni plus jeune qu’hier. Certes, je n’ai plus la même énergie, je me sens plus fatigué et j’ai plein de nouveaux bobos, mais je perçois difficilement le changement d’âge. A l’intérieur de moi, j’ai l’impression d’être ce que j’ai toujours été. Si ces vieilles photos de moi n’étaient pas là pour me ramener à l’ordre, je pourrais m’illusionner et croire même que je n’ai pas changé. Je sais bien que je vieillis, mais je n’arrive pas à le réaliser. Et je ne suis certainement pas le seul à être affligé de ce trouble. L’autre jour, ma voisine, une «vieille» dame âgée de 89 ans que je n’avais pas vue depuis un certain temps m’a fait sourire. Lorsque je l’ai aperçue, je me suis dit: «Mon Dieu qu’elle a vieilli.» Voutée, la peau fripée, le visage décharné, une canne à la main, la démarche instable, elle me dit alors: «Tu sais, je ne me sens pas vieillir, je me sens aussi jeune qu’avant!!» Se pourrait-il que l’on ne sente pas le temps passer?
Se pourrait-il que la vieillesse n’existe que dans les yeux des autres? Ou que dans les documents attestant notre date de naissance?
Si tel est le cas, pourquoi avons-nous alors si peur de vieillir? Pourquoi nous battons-nous contre le temps et ses prétendus ravages? Pourquoi dépense-t-on des fortunes pour camoufler nos premières rides, nos premiers cheveux blancs? Personne ne souhaite vieillir. Si un magicien nous offrait le choix entre retrouver notre jeunesse ou vieillir subitement, rares sont ceux qui opteraient pour «l’âge d’or.» Nous sommes tous des Faust prêts à vendre notre âme au diable en échange de la jeunesse perdue. Pourtant, le recours à la chirurgie, aux injections et au laser est un mensonge face à soi-même et face à la caméra. On ne trompe personne, en tout cas pas la mort.
Pourquoi la vieillesse fait-elle si peur? Probablement parce que c’est le prélude à la mort, l’ultime étape. Et comme notre propre finalité nous rebute et nous apparaît même inconcevable, la vieillesse elle-même nous répulse. Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir, n’est-ce pas? Pourtant vieillir et mourir sont dans l’ordre des choses.
Docteur, un jour, sans doute, je serai vieux, en tout cas plus vieux qu’aujourd’hui. J’aurai sans doute divers malaises. Mon souffle sera court. Mon cœur palpitera au moindre effort. Ma mémoire vacillera. J’aurai la démarche instable. Ce jour-là, rappelez-vous qu’avant même d’être un cas de rhumatisme, de MPOC, de MCAS, d’Alzheimer ou de Parkinson, je serai simplement le prolongement de moi-même.
Et j’espère que ce jour-là, docteur, vous qui m’avez connu et suivi toute ma vie, moi et les miens, vous comprendrez que la vieillesse et la mort sont des étapes normales de notre existence. Et que vous m’aiderez à passer ces étapes comme toutes les autres que vous m’avez aidé à franchir jusqu’ici.
Footnotes
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This article is also in English on page 459.
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