Ce mois-ci Richer et Bereza débattent de la question suivante: « Le médecin de famille, pourrait-il se traiter lui-même ou traiter l’un des siens? » Richer ( page 784) opine négativement en soulevant les multiples risques inhérents à l’auto-traitement. Son argumentation s’appuie sur le Code de déontologie des médecins du Québec qui dit « Le médecin doit, sauf dans les cas d’urgence ou dans les cas qui manifestement ne présentent aucune gravité, s’abstenir de se traiter lui-même ou de traiter toute personne avec qui il existe une relation susceptible de nuire à la qualité de son exercice, notamment son conjoint et ses enfants1 ».
Ce à quoi, Bereza ( page 783) répond que même s’il est vrai que la règle est claire « Les médecins ne doivent pas être leur propre médecin1 », son application n’est pas toujours si évidente. Racontant l’histoire d’un médecin compétente, respecté de ses pairs, qui devient malade, il soulève moult questions qui nous amènent à mettre en doute le bien-fondé de cette directive. Parmi ses objections, l’une des plus percutantes est certainement celleci: « Quelles sont la morbidité et la mortalité de ce médecin associées à la conformité à la règle telle qu’elle est? Il est intéressant de constater que la question est rarement soulevée et, par conséquent, il existe peu de données pour nous aider à y répondre. Sans ces données, la mesure de l’éthique est unilatérale. »
Sans vouloir prendre partie dans ce débat, force est d’admettre que la question de l’auto-traitement ou du traitement des proches soulève bien des réactions, particulièrement chez ceux qui n’ont pas de médecins ou n’en trouvent pas. Car, si d’une part il est vrai que les codes de déontologie sont explicites à cet égard, il n’en demeure pas moins qu’en réalité, la plupart des médecins ont déjà enfreint cette règle à un moment ou à un autre de leur carrière. Un sondage2 réalisé en 2006 auprès de médecins montréalais révèle que la majorité se sont déjà prescrit des tests de laboratoires (80 %) et des médicaments (60 %). Il est donc plausible que le phénomène de l’auto-prescription chez les médecins soit beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense et surtout qu’on ne l’admette.
En effet, quel médecin n’a pas déjà examiné les oreilles de son enfant fiévreux, hurlant de douleur dans la nuit pour découvrir qu’il souffrait d’une otite carabinée et lui administrer des antibiotiques? Qui n’a pas déjà renouvelé la prescription d’un proche, d’une bellemère ou d’un ami pour leur rendre service? Qui n’a pas déjà pigé (quelle honte!) dans la réserve d’échantillons médicaux à la recherche d’un anti-inflammatoire pour soulager son mal de dos tenace, d’un inhibiteur de pompe protonique pour ses brûlures d’estomac (probablement causées par le premier!), d’un somnifère avant un long vol d’avion, voire même des suppositoires pour ses hémorroïdes lancinantes. Que ceux qui n’ont vraiment jamais péché lancent la première pierre.
Conséquemment, si le phénomène est aussi répandu qu’il semble l’être et l’évidence de ses effets délétères pas aussi démontrée comme le postule Bereza, comment alors justifier cette règle? Pourquoi un médecin ne pourrait-il pas se traiter lui-même ou l’un des siens? Après tout, comme certains l’opineront, on n’empêche pas un avocat de se défendre en cours, un architecte de dessiner les plans de sa maison, un comptable de produire son rapport d’impôt, un notaire de rédiger son testament? Pourquoi alors empêcherait-on (le code de déontologie a valeur de règlement au Québec) un médecin de se traiter ou de traiter l’un des siens s’il croît avoir les compétences requises? Le médecin serait-il moins bien avisé qu’un autre professionnel?
Probablement que s’abstenir de se traiter soi-même ou les siens a été édicté essentiellement pour contrôler les abus. Car si la plupart conviennent que s’auto-administrer des gouttes pour une otite externe n’est pas très grave, il en va autrement lorsqu’un médecin se prescrit lui-même des antidépresseurs, tente de gérer seul son risque suicidaire ou sa narco-dépendance, ou s’aventure à accoucher sa conjointe. Les risques sont autrement plus grands et les conséquences d’autant plus désastreuses.
Si, à l’instar des codes de conduite, tous s’entendent pour convenir que des limites sont nécessaires, l’application des règlements soulève parfois bien des heurts. Par exemple, la contravention de 400 $ récemment remise à une mère de famille qui a eu le malheur(!) de ne pas tenir la rampe de l’escalier roulant dans le métro de Montréal le démontre bien. Mais comme tous le savent: Dura lex sed lex!
Dans votre intérêt et celui de vos proches, il faut agir en toute conscience, avec prudence et discernement.
Footnotes
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Intérêts concurrents
L’auteur est Responsable du Plan d’autogestion de développement professionnel continu au Collège des médecins du Québec à Montréal.
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Rapid Response
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This article is also in English on page 776.
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