L’évaluation de l’aptitude d’un patient à conduire est un rôle sociétal important pour le médecin de famille. Mon collègue, Dr Laycock, présente 2 arguments en ce qui concerne le rôle du médecin de famille dans cette évaluation: il laisse entendre qu’un cabinet de médecin n’est pas adéquat pour exercer cette fonction et que l’évaluation de la capacité de conduire de manière sécuritaire n’exige pas les compétences spécifiques d’un médecin. Je m’objecte à ces deux énoncés et fais valoir qu’en réalité, il est impératif que les médecins participent à l’évaluation de la capacité de conduire. Cette affirmation que la capacité de conduire est une détermination « non médicale » ne s’appuie pas sur les ouvrages spécialisés récents.
Une révision clinique sur l’aptitude à conduire chez les patients atteints de problèmes cardiaques et cognitifs a été publiée le mois dernier dans Le Médecin de famille canadien1. On y proposait d’organiser les problèmes médicaux d’un patient selon qu’ils sont « aigus intermittents » et « chroniques persistants ». De telles classifications exigent un savoir médical, et les problèmes « aigus intermittents » nécessitent qu’on en estime la probabilité de récurrence. Ces décisions doivent être prises par un médecin. Comme nous le savons, il y a des problèmes médicaux qui peuvent soudainement rendre inapte un conducteur qui autrement est à faible risque, et un évaluateur qui n’est pas médecin n’aurait pas les connaissances voulues pour se rendre compte de ces risques importants.
Dr Laycock maintient qu’ « exception faite de la détermination des diagnostics qui rendent absolument inaptes à la conduite, on devrait laisser de côté l’actuel paradigme axé sur les médecins et établir plutôt des simulations de tests routiers, complétées par des tests sur route ». Je crois qu’ici, 2 questions sont importantes. La première est le coût des tests sur route complets et spécialisés, qui varie entre 50 $ et 800 $ et qu’il incombe au patient de débourser1. Il ne fait nul doute que ces évaluations sont utiles, mais les médecins de famille peuvent jouer un rôle important dans la détection des patients qui devraient subir ces épreuves coûteuses à l’aide de l’outil de dépistage SIMARD MD2 ou d’approches comme celle présentée par Molnar et Simpson1. La deuxième question, c’est qu’un ergothérapeute ou un professionnel non médecin qui fait subir un test ponctuel simulé ou sur route pourrait ne pas bien comprendre les risques médicaux ou la stabilité potentielle des problèmes de santé des patients. Un patient pourrait bien réussir un test de ses habiletés fonctionnelles une journée, puis perdre ces aptitudes quelques jours ou semaines plus tard.
Dr Laycock fait remarquer à juste titre que la « maîtrise de la conduite automobile repose sur une bonne habileté cognitive ». Compte tenu du vieillissement de la population canadienne, il reste d’autant plus nécessaire que les médecins de famille soient compétents dans le diagnostic de la déficience cognitive. Des lignes directrices sur la démence3 sont accessibles depuis 1998, et les patients atteints d’une forme légère à modérée de la maladie iront d’abord voir leur médecin de famille et seront soignés principalement par leur famille ou leur médecin de soins primaires4. Une des recommandations de la plus récente Conférence consensuelle canadienne sur le diagnostic et le traitement de la démence en 2006 fait valoir que la plupart des patients atteints de démence peuvent être évalués et pris en charge adéquatement par leur médecin de première ligne5. En 2010, avec les outils cliniques1,6 dont nous disposons maintenant pour le dépistage des conducteurs ayant une déficience cognitive, la prise en charge doit inclure l’évaluation de l’aptitude à conduire. On pourrait sans doute préconiser un examen plus formel d’une rémunération suffisante des médecins pour le temps consacré à faire ces évaluations. De plus, il importe que nous ayons une protection sur le plan juridique pour nos décisions cliniques concernant l’aptitude à conduire si ces outils sont utilisés.
Les médecins de famille ont l’expertise voulue pour travailler comme membres de l’équipe chargée d’évaluer l’aptitude à conduire. Nous devrions nous assurer d’inclure dans l’anamnèse les antécédents de conduite automobile de tous nos patients. La documentation des habitudes de conduite des patients de 65 ans et plus importe tout particulièrement. Nous avons les outils et les approches cliniques pour nous aider à évaluer nos patients et, s’il survient des préoccupations ou des problèmes qui vont au-delà de notre champ de connaissances, il est alors possible de faire appel aux tests sur route. Nous ne devrions pas déléguer cette responsabilité aux professionnels non médecins, car ce faisant, nous pourrions nuire à la sécurité de nos patients.
Footnotes
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This article is also in English on page e411.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Références, voir page e411.
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Cette réfutation est la réponse des auteurs des débats dans le numéro de décembre (Can Fam Physician 2010;56:1264–7 [ang], 1268–71[fr]). Voir www.cfp.ca.
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