Stanbrook et Kaplan ont antérieurement laissé entendre que les médecins qui n’utilisent pas la spirométrie ne devraient pas prendre en charge les cas d’asthme1. Ils ont avancé la notion que la prise en charge de l’asthme sans la spirométrie serait considérée comme un manquement à la norme de soins adéquats et que la plupart des médecins de soins primaires devraient offrir ces épreuves dans leur propre cabinet1. Ils ont adopté cette position en se fondant sur une étude par Aaron et ses collaborateurs2 dont les résultats révélaient, en réalité, que le diagnostic de l’asthme était confirmé chez 16 % et 72 % des patients ayant subi respectivement une spirométrie et un test de l’hyperactivité bronchique à la méthacholine. À cet égard, préconiser la spirométrie en cabinet en se basant sur ces résultats semble contraire au sens commun3. De plus, Stanbrook et Kaplan n’ont cité aucune référence dans leur article décrivant comment l’utilisation généralisée de la spirométrie en soins primaires pourrait influencer les résultats au chapitre de l’asthme chez des patients n’ayant pas reçu antérieurement de diagnostic d’asthme1.
La spirométrie peut fournir des renseignements importants sur la fonction et la santé des poumons. Elle peut se révéler très utile dans l’exclusion des anomalies de la mécanique pulmonaire pour discerner les causes sousjacentes de la dyspnée. Par contre, en dépit de critères spirométriques bien définis pour le diagnostic de l’asthme4, il existe très peu, s’il en est, de données tirées d’études importantes à long terme qui décrivent les bienfaits ou les limites de la spirométrie systématique dans la prise en charge concrète de l’asthme. Par conséquent, j’ai trouvé décevants les commentaires de Stanbrook et Kaplan parce qu’ils ne sont pas appuyés par des données factuelles de grande qualité. Je me préoccupe de la possibilité, qu’à la suite de leurs recommandations1, les médecins qui n’utilisent pas la spirométrie soient enclins à demander une consultation externe pour leurs patients asthmatiques, une pratique qui peut nuire à la continuité des soins3 et exacerber le problème du manque d’accès à la spirométrie en milieu communautaire.
La position adoptée par Stanbrook et Kaplan représente un scénario dans le meilleur des cas, appuyé par ce que certains qualifieraient «d’utopie». Elle omet de prendre en compte certaines importantes considérations cliniques et pratiques signalées dans les ouvrages scientifiques qui s’appliquent directement au milieu des soins primaires. Par exemple, Lusuardi et ses collaborateurs5 n’ont pas trouvé d’avantages considérables à ajouter la spirométrie en cabinet à l’évaluation conventionnelle (anamnèse et examen physique) pour identifier les patients atteints d’asthme (P = ,35), quoique des considérations statistiques (manque de puissance suffisante) et une cohorte peu nombreuse pourraient avoir causé une erreur de type II. Stanbrook et Kaplan1 font valoir qu’il est possible de surmonter les obstacles à la mise en place de la spirométrie en cabinet6, mais ils ne traitent pas des limites de telles études ni des rapports faisant état de l’utilisation sous-optimale de la spirométrie7,8. Ce genre de discussion est essentiel pour identifier clairement les obstacles actuels à la mise en œuvre et savoir comment les surmonter dans différents milieux de pratique. De plus, ces renseignements peuvent servir à concevoir des études pour évaluer comment la spirométrie peut influencer le diagnostic et la prise en charge de l’asthme par rapport à d’autres stratégies.
Risques et lignes directrices
Les lignes directrices canadiennes4 classent les données probantes sur le test de réversibilité au moyen de la spirométrie comme étant de niveau IV pour le diagnostic de l’asthme — une cote qui reconnaît le manque d’études randomisées sur le sujet. Stanbrook et Kaplan1 indiquent que la spirométrie peut confirmer ou exclure dans l’immédiat et sur place la présence d’obstruction des voies aériennes, mais ils ne parlent pas de certaines importantes considérations cliniques rencontrées dans les soins primaires. Lusuardi et ses collègues5 révèlent que la plupart des patients asthmatiques vus en soins primaires ont une fonction pulmonaire bien préservée et que l’obstruction des voies aériennes - définie comme étant une réduction du ratio entre le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) et la capacité vitale forcée (CVF) - n’était observée que chez 21 % des patients ayant un diagnostic d’asthme. La plupart des patients avaient des valeurs VEMS et CVF se situant dans la normale5. Si on utilise l’algorithme d’interprétation de la spirométrie actuellement accepté au Canada pour les soins primaires9, les patients dont les ratios VEMS par rapport à la CVF sont normaux ne subiraient pas de test de réversibilité; par conséquent, leur diagnostic ne pourrait être confirmé qu’à l’aide d’autres moyens, comme le test à la méthacholine. Étant donné les résultats obtenus par Lusuardi et ses collègues5, la prise de décisions cliniques en se fondant seulement sur les résultats de la spirométrie initiale pourrait se traduire par des soins insuffisants pour de nombreux patients.
Les données tirées des études d’Aaron et ses collègues2 et de Lusuardi et ses collaborateurs5 révèlent des problèmes dans la tentative d’établir un diagnostic d’asthme au moyen de la spirométrie dans des populations chez qui il y a une forte probabilité de fonction pulmonaire normale au moment de l’épreuve. Je me rappelle les commentaires du Groupe canadien de consensus sur l’asthme4 qui indiquent que, si le test de l’hyperactivité bronchique à la méthacholine n’est accessible que dans les centres spécialisés, cet examen devrait être mis à la disposition des médecins de première ligne qui voient la plupart des patients atteints d’asthme léger, pour lequel la mesure de la réceptivité est la plus utile4.
En définitive
Sans l’appui de données probantes appropriées, la notion voulant que la prise en charge de l’asthme sans la spirométrie indique une sous-optimalité des soins semble une hypothèse non fondée et inappropriée. Contrairement au contrôle de la pression artérielle et de la glycémie, pour lequel d’importantes études ont démontré que les tests améliorent les issues pertinentes sur le plan clinique10,11, le rôle nécessaire de la spirométrie dans la prise en charge de l’asthme reste à valider. Je crois qu’il est prématuré pour Stanbrook et Kaplan de rehausser le profil de la spirométrie en cabinet au titre de «norme de soins»1, simplement parce qu’elle semble la démarche logique à prendre. On encourage les cliniciens qui n’utilisent pas la spirométrie pour soigner l’asthme à identifier les patients qui ont des symptômes épisodiques ou persistants, comme la toux, l’essoufflement, des serrements à la poitrine, des éveils nocturnes et des signes de râlement et de détresse respiratoire, et à prendre en charge ces personnes en conséquence; cela comprend la demande de consultation pour d’autres tests si le diagnostic demeure incertain. Il nous faudrait au moins 1 ou 2 études randomisées importantes pour comprendre le rôle et les avantages de la spirométrie en cabinet dans la prise en charge de l’asthme en soins primaires. Sans cette information, nous risquons de mettre la charrue devant les bœufs.
Remerciements
J’aimerais remercier Deborah K. D’Urzo de sa précieuse assistance dans la préparation de ce manuscrit.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Les médecins de famille qui n’utilisent pas les épreuves de spirométrie à leur cabinet devraient continuer de soigner leurs patients asthmatiques et demander une consultation pour évaluation si le diagnostic est incertain.
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Les lignes directrices canadiennes actuelles sur l’asthme jugent que les données probantes sur l’usage de la spirométrie pour le diagnostic de cette affection sont de niveau IV.
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Jusqu’à présent, aucune étude prospective ne met clairement en évidence les bienfaits ou les limites de l’usage de la spirométrie pour le diagnostic et la prise en charge de l’asthme en soins primaires.
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Puisque de nombreux patients asthmatiques en soins primaires ont une fonction pulmonaire normale au moment de l’épreuve, le recours aux données spirométriques pour le diagnostic pourrait se traduire par des soins insuffisants.
Footnotes
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This article is also in English on page 127.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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