On entend par raisonnement clinique les processus de pensée et de prise de décision qui permettent au médecin clinicien de prendre les actions les plus appropriées dans un contexte spécifique de résolution de problèmes de santé.
1 [Traduction libre]
Le clinicien enseignant constate quotidiennement le choc subi par les résidents débutants lorsqu’ils se rendent compte que la clinique est une perpétuelle confrontation à l’incertitude. Les plaintes indifférenciées, le doute diagnostique, le contexte familial et socioculturel du patient et ses perspectives, le contexte de travail et ses impondérables sont autant d’éléments qui conduisent les résidents, selon l’expression de Boshuizen, à la perte de leur innocence.2 Dans un tel contexte, la capacité de prendre des décisions adéquates requiert une pratique réflexive et d’excellentes compétences en raisonnement clinique. La supervision du raisonnement clinique représente donc pour les médecins enseignants non seulement un enjeu d’envergure, mais aussi un moment privilégié pour soutenir et accompagner le développement de ces compétences.
Stratégies de supervision pour stimuler le développement du raisonnement clinique au quotidien
Un article précédent de cette chronique du Médecin de famille canadien a souligné l’importance de l’observation directe dans la supervision.3 Même si la pratique régulière de la supervision clinique nous rend modestes et réalistes en ce qui concerne le temps réellement disponible pour travailler individuellement avec chaque résident, il n’y a pas de doute que le contexte clinique possède un potentiel formidable du point de vue pédagogique. L’expérience pratique joue en effet un rôle déterminant dans le développement des compétences d’autant plus si on l’associe à une réflexion pendant et après l’action afin de favoriser la compréhension et les réajustements nécessaires.4
Dans cette perspective, les stratégies de supervision présentées au tableau 1 sont faciles à mettre en pratique, même sans avoir observé la consultation, et elles ne demandent pas nécessairement beaucoup de temps. Elles permettent de stimuler au quotidien le développement du raisonnement clinique en utilisant la verbalisation du raisonnement du résident (Faire expliciter) et celui du superviseur (Expliciter).5,6
Exemples de stratégies pédagogiques
Comment repérer et préciser les difficultés courantes de raisonnement clinique?
Les tâches et responsabilités du superviseur invitent à assumer deux rôles bien spécifiques, c’est-à-dire, celui du clinicien, responsable du suivi médical des patients, et celui du pédagogue, responsable d’aider les résidents à développer leurs compétences cliniques.7 Ainsi, dans une démarche de raisonnement pédagogique très similaire à celle du raisonnement clinique, le superviseur va aller à la recherche d’indices qui vont lui permettre d’élaborer des hypothèses sur la qualité du raisonnement du résident afin de préciser ses besoins d’apprentissage. Il pourra alors formuler un diagnostic pédagogique et choisir une manière précise de superviser qui tienne compte de ses conclusions. La supervision devient alors un processus réfléchi, ciblé et dynamique.8
Un outil pour les superviseurs qui facilite la récolte d’indices et l’amorce d’une intervention auprès du résident
Notre expérience de la supervision ainsi que nos discussions avec nos collègues enseignants nous ont permis de constater que :
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Les médecins enseignants ont tendance à douter de leurs perceptions en ce qui concerne les difficultés éventuelles des résidents. Il y a risque alors d’une perte de temps en terme de remédiation, dans une résidence déjà courte et très dense.
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Les médecins enseignants se sentent en général assez démunis et disent régulièrement manquer d’outils simples et efficaces pour les aider dans une démarche d’identification et d’objectivation rapides des différentes étapes du raisonnement clinique.
Pour être à même d’observer la démarche du résident avec un oeil avisé, il est important d’avoir à l’esprit les étapes-clés du raisonnement médical telles que rappelées succinctement dans l’encadré 1.
Dans cette perspective, nous avons élaboré un outil* susceptible de faciliter l’appréciation du raisonnement clinique dans la supervision quotidienne. Cet outil est centré sur différents moments de la supervision, tels que la consultation en elle-même (supervision directe) et la présentation du cas par le résident (discussion de cas), et sur les manifestations du raisonnement clinique qui s’observent le mieux à chacun de ces moments. Il permet ainsi de documenter les forces ou fragilités du raisonnement clinique du résident, de partager ses observations pour en faire une occasion de discussion avec le résident, de définir ce qui l’empêche d’accéder à un raisonnement clinique efficace, puis de reprendre l’entraînement au quotidien à l’aide des stratégies proposées au tableau 1.9 L’outil se trouve à CFPlus.*
Démarche de raisonnement médical
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Dès le début de la consultation médicale, à partir des premières informations obtenues du patient, (raison de consultation, âge, apparence, contexte de consultation, etc.), le médecin aura déjà à l’esprit des hypothèses diagnostiques. Ces hypothèses peuvent apparaître spontanément, par reconnaissance prototypique (pattern recognition) ou se construire progressivement par confrontation des éléments recueillis avec le réseau de connaissances construit par le clinicien à partir de l’apprentissage théorique et l’expérience clinique.
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Par sa collecte des données, le médecin cherchera à documenter ces hypothèses et fera évoluer son anamnèse de façon à les confirmer ou les exclure. Les nouvelles données obtenues feront émerger d’autres hypothèses et cette démarche, qu’on appelle processus hypothéticodéductif, se poursuivra jusqu’à ce que le clinicien puisse formuler le problème du patient et ne retenir qu’une ou quelques hypothèses de travail.
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Il devra ensuite élaborer son plan d’investigation et de traitement. Ces deux dernières étapes font aussi l’objet d’un raisonnement. Le médecin doit déterminer quels examens complémentaires apporteront le plus d’informations et seront acceptables et disponibles dans des délais raisonnables. Il doit choisir un plan de traitement à partir de l’ensemble d’options à sa disposition. Pour ce qui est de la médication, par exemple, il choisira en fonction du coût et des risques d’effets indésirables.
Occasion d’enseignement est une nouvelle série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en insistant sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Allyn Walsh, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à walsha{at}mcmaster.ca.
Notes
CONSEILS AUX ENSEIGNANTS
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Faites expliciter le raisonnement clinique du résident en lui demandant de résumer le cas en deux ou trois phrases et d’indiquer quelles hypothèses diagnostiques il retient et rejette, en expliquant les éléments du recueil des données qui lui permettent de soutenir certaines hypothèses et d’en exclure d’autres.
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Explicitez votre propre raisonnement clinique en verbalisant comment vous en arrivez à choisir une hypothèse plutôt qu’une autre à partir des données que vous soumet le résident ou après avoir revu vous-même le patient.
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Favorisez la reconnaissance des éléments-clés qui aident à la décision et la construction de liens entre les indices cliniques et les diagnostics, en encourageant la lecture d’articles qui comparent les caractéristiques cliniques des pathologies (p. ex. arthrite et arthrose) ou en faisant dessiner une carte conceptuelle qui permet de relier les éléments recueillis dans la situation clinique et les hypothèses soutenues ou exclues par le résident.
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L’outil proposé (et qui est disponible à CFPlus*) peut vous aider à apprécier le raisonnement clinique de vos résidents.
TEACHING TIPS
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Have the resident explain his clinical reasoning, summing up the clinical situation in 2 or 3 sentences indicating which possible diagnoses he retains or rejects and explaining which elements of the data he gathered enabled him to retain some hypotheses and reject others.
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Explain your own clinical reasoning, verbalizing the process of choosing one hypothesis over another based on the data provided by the resident or on the data you yourself gathered from the patient.
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Support the resident in recognizing factors that assist with making decisions and correlations between clinical factors and diagnoses by encouraging him to read articles comparing the clinical characteristics of various pathologies (e.g., arthritis and osteoarthritis) or by drawing a diagram showing the connections between the clinical situation and the hypotheses he retained or rejected.
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The tool being proposed (which is available at CFPlus*) might help you to assess your resident’s clinical reasoning.
Footnotes
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↵* L'outil se trouve à www.cfp.ca. Allez au texte intègral (full text) de cet article en ligne, puis cliquez sur CFPlus dans le menu en haut, à droite de la page.
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The English translation of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2010 issue on page e127.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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