
Ce mois-ci nous vous présentons le débat «Le médecin, doit-il être ouvert à l’euthanasie?». Soulignons que les mots qui nous apparaissent les plus importants dans ces échanges sont «être ouvert à». Car, le Médecin de famille canadien n’a pas l’intention de prendre position face à cette mesure; vouloir argumenter du pour ou du contre l’euthanasie dans le cadre d’un débat serait réductionniste, inapproprié et malhabile.
Par contre, il convient de reconnaître que les médecins de famille sont sans doute parmi tous les professionnels de la santé ceux les plus souvent confrontés à cette demande. Essentiellement parce que plusieurs exercent en soins palliatifs et en soins de longue durée, là où se retrouvent les malades aux prises avec de terribles maladies débilitantes qui altèrent l’espoir et questionnent le sens de vivre.
Que peut répondre le médecin de famille à qui un malade demande d’en finir? Qu’il ne peut pas … Qu’il prendra soin de lui … Qu’il soulagera ses douleurs? Sont-ce là les réponses attendues?
Boisvert ( page 324) nous rappelle que de plus en plus de patients et de médecins se disent en faveur de l’euthanasie. Et que, contrairement à ce à quoi nous aurions pu nous attendre, ce n’est pas en raison de l’absence de soins palliatifs ou de soins appropriés, ni en raison des douleurs mal contrôlées1. Quant à Marcoux ( page 325), il nous met en garde contre les risques reliés à cette pratique et aux dérapages possibles2. Toutefois, parmi les arguments évoqués, l’un des plus troublants est que, paradoxalement, l’ouverture à l’euthanasie prolonge la survie!
Ceci m’amène à l’anecdote suivante. Un jour, l’épouse d’un patient que j’avais traité en soins palliatifs est venue me voir. «Docteur, j’ai trouvé dans les affaires de mon mari cette lettre qui vous est adressée. Mon mari l’avait rédigée aux premiers jours de sa maladie et l’avait incluse dans son testament biologique».
Réflexion d’un soir
Cher docteur, Lorsque je serai vieux et malade, m’aiderez-vous à mourir dignement? Lorsque je n’en pourrai plus, m’aiderez-vous à quitter ce monde doucement? Puisse le Ciel me préserver d’une mort interminable; alité, incontinent, dément et … béat.
Ne croyez pas que je sois déprimé pour vous faire une telle demande! Bien au contraire, j’aime beaucoup la vie. Ne me dites pas que vous veillerez à ce que je ne souffre point! Ce n’est pas ce dont il est question ici. Je vous parle de la souffrance associée à la vie qui s’étiole et qui s’en va. Chaque jour plus faible, plus maigre, plus fatigué, plus mort en quelque sorte! Pourquoi êtes-vous si enclin à soulager la douleur physique mais si farouche à comprendre la souffrance associée à la fin de la vie?
N’opinez pas que notre société condamne l’euthanasie! Où sont-ils tous ces gens et tous ces juges qui s’objectent lorsque les leurs meurent? En voyez-vous beaucoup s’occuper de leurs proches rendus à l’agonie? A peine 10% des nôtres meurent à domicile. Trop occupés. Le travail. Les enfants. Bien plus facile de condamner l’euthanasie et placer nos mourants en institution que de s’en occuper. La Mort dérange, n’est-ce pas?
Parlant d’euthanasie, ne croyez-vous pas que les savants cocktails que vous m’administrerez pour soulager mes symptômes terminaux n’hâteront pas le processus? Tous ces médicaments pour la douleur, les râles respiratoires, l’agitation ne risquent-ils pas de me rendre encore plus faible, plus calme, plus enclin aux complications de fin de vie?
Êtes-vous certain que vous ne pratiquerez pas ce qui vous rebute tant, une forme d’euthanasie lente? Une petite poussée vers l’au-delà, en quelque sorte! Si tel est le cas, pourquoi ne me donneriez-vous pas cette poussée lorsque je vous le demanderez ou lorsque je n’en pourrai plus? Après tout, on achève bien les chevaux, n’est-ce pas !
Me rendriez-vous ce service, si je vous le demande?
Mon patient n’a jamais fait allusion à cette lettre
Quelques mois plus tard, mon patient était affligé d’une maladie terminale. Bizarrement à partir du moment où il est devenu malade, il n’a jamais fait allusion à cette lettre. Il surveillait attentivement les doses que je lui prescrivais.
Se peut-il que l’on ne voit pas la vie de la même manière selon que l’on soit en santé ou malade et en fin de vie?
Quand vous mourrez de nos amours
Si trop peu vous reste de moi
Ne me demandez pas pourquoi
Dans les mensonges qui suivraient
Ne serions ni beaux, ni vrais
Mourrez de mort très vive
Que je vous suive
Gilles Vigneault
Footnotes
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This article is also in English on page 311.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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