
Je n’aime pas ce que j’entends, surtout à la lumière de ce qui se passe aux États-Unis maintenant. L’adoption en mars du projet de loi du président Obama sur la santé signifie que des millions d’Américains, auparavant sans assurance, verront maintenant leurs soins primaires couverts. Excellente nouvelle, mais quels seront les effets sur la médecine familiale au Canada?
Des signes précurseurs
Je connais un résident étudiant dans sa province natale au Nouveau-Brunswick, qui travaillera à l’urgence et en obstétrique en milieu hospitalier au terme de sa résidence, dans quelques mois. Bien, nous en avons besoin! S’il le fait, c’est que le gouvernement refuse de lui donner un numéro de facturation pour la pratique des soins complets en médecine familiale. Avec ce numéro, il ferait des accouchements et des services de garde à l’urgence, et établirait sa pratique dans la communauté, où plusieurs médecins prendront bientôt leur retraite. La décision du gouvernement me semble manquer de vision, surtout maintenant.
Il y a quelques années, un résident en médecine familiale à la Dalhousie n’a pas pu s’installer à Cape Breton, N.-É., parce qu’il y «avait déjà 2 médecins» dans la petite collectivité. On n’a pas semblé tenir compte du fait que l’un d’entre eux souhaitait prendre sa retraite bientôt et que l’autre était malade. Dans les efforts de recrutement, il faut comprendre le contexte local et permettre un certain chevauchement lorsque les médecins plus âgés quittent leurs pratiques traditionnelles et que les jeunes s’apprêtent à s’installer, surtout s’ils prennent la relève dans des pratiques de longue date, volumineuses et complexes. Ne pas le permettre, c’est manquer de vision.
Une autre médecin au Nouveau-Brunswick, qui exerce depuis peu, ne se sent pas la bienvenue parmi ses collègues, en raison du volume moyen et gérable de sa pratique, qui ne représente qu’une fraction de la taille des autres. Ils croient qu’elle ne fait pas sa part. Elle a 2 000 patients. Le même sentiment a aussi été exprimé par au moins 1 autre résident, de l’autre côté du pays, en Alberta, qui assistait à une réunion d’une société médicale provinciale où les médecins se disaient mécontents de l’éthique de travail et des attentes de la génération actuelle d’étudiants en médecine et des résidents. Manque de vision encore?
L’an dernier, à l’Université de Calgary en Alberta, j’ai assisté à une séance organisée par la faculté de médecine, où un politicien bien connu s’adressait à un grand groupe d’étudiants en médecine, leur disant de ne pas s’attendre à avoir un poste dans la province où ils avaient été formés. La taille des classes dans les facultés de médecine a augmenté, ces récentes années, au pays et dans cette province; on envisage actuellement de la réduire. Encore un manque de vision?
La formation des étudiants en médecine au Nouveau-Brunswick prend de l’ampleur avec l’ouverture du Campus Saint-Jean de la Faculté de médecine à Dalhousie. Parallèlement, la province continue de restreindre les numéros de facturation, même si des milliers de patients n’ont pas de médecin de famille et si bon nombre des médecins de famille ont des pratiques surabondantes ou approchent de la retraite.
Mauvais message
Je m’inquiète des messages transmis aux étudiants en médecine et aux résidents. J’entends: «Nous ne voulons pas de vous.» Est-ce bien ce que nous voulons dire? L’exode des médecins de famille canadiens vers les États-Unis durant les années 1990 est attribuable à de nombreux facteurs politiques et économiques, mais aussi à des messages très semblables à ceux d’aujourd’hui.
Ce message fait preuve d’un manque de vision parce que nous savons que des millions de Canadiens n’ont toujours pas de médecin de famille. Maintenant, il y a des Américains en nombre presque inconcevable qui sont admissibles aux soins primaires - environ 32 millions. On estime aussi que les États-Unis auront besoin de 39 000 médecins de famille de plus d’ici 20201. Habituellement, 8 % des étudiants en médecine américains choisissent la médecine familiale2.
Bien des Canadiens sont rassurés dernièrement en raison du net gain de médecins qui reviennent au Canada, mais je ne crois pas qu’on puisse raisonnablement s’attendre à ce que la tendance se maintienne. Les recruteurs américains de médecins regarderont vers le Nord. Ils permettront à nos nouveaux diplômés de dispenser des soins complets. Ils seront très heureux d’avoir de nouveaux médecins de famille s’occupant de 2 000 patients. Ils louangeront les médecins de famille formés au Canada et se montreront accueillants. Ils seront positifs et armés de toutes sortes d’incitatifs, plusieurs délibérément axés sur la nouvelle génération de médecins.
Arrêtons de nous plaindre des différences entre les générations et célébrons ce que nous avons ici. Ne faisons pas de remarques peu accueillantes à nos futurs collègues et espérons que les gouvernements verront les signes précurseurs. Ne manquons pas de vision.
Footnotes
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This article is also in English on page 497.
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