L’art d’exercer la médecine ne s’append que par l’expérience; ce n’est pas un héritage, ce n’est pas une révélation. Apprenez à voir, apprenez à entendre, apprenez à toucher, apprenez à sentir et sachez que seule la pratique fera de vous un expert.
Sir William Osler (traduction libre)
Faudrait-il ajouter «apprenez à suivre les guides de pratique clinique» (GPC) à la liste d’Osler? Sir William Osler est largement reconnu comme l’un des médecins les plus influents des 2 derniers siècles; pourtant, il n’a jamais utilisé de GPC. Je crois que la plupart d’entre nous serions d’accord pour dire que Sir William Osler pratiquait une bonne médecine, même s’il n’utilisait pas de GPC. La réplique évidente est, bien sûr, qu’Osler pratiquait à une époque où les GPC n’existaient pas et que s’ils avaient existé, il les aurait dûment suivis comme tout bon médecin. Je crois pour ma part qu’il aurait été un peu sceptique. Dans ce bref article, je vais argumenter contre l’énoncé voulant que la bonne médecine exige l’utilisation des GPC et j’appuierai mon argumentation sur les motifs suivants:
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Les GPC n’englobent pas entièrement tous les domaines de la bonne médecine.
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Les données empiriques examinant l’utilisation des GPC ne sont pas convaincantes.
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De multiples problèmes conceptuels persistent entourant la définition d’un bon GPC.
Englober tous les domaines de la bonne médecine
Je ne suis pas certain qu’il existe une définition universelle de ce qu’est une bonne pratique de la médecine. J’hésiterais à faire équivaloir une bonne pratique à la conformité aux GPC. Ce qui fait un bon praticien se situe en grande partie dans un ensemble de caractéristiques comportementales, de qualités et de pratiques qui ne sont pas incluses dans la portée des GPC. Prenons, par exemple, les 4 principes de la médecine familiale et le cadre CanMEDS1,2. Les guides de pratique clinique ne parlent pas d’un éventail de rôles qui constituent une bonne médecine; les GPC concernent plus probablement le fait d’être un clinicien compétent ou un expert médical, mais demeurent largement silencieux sur les rôles de promoteur de la santé, de communicateur, de ressource auprès de la communauté, de collaborateur, de gestionnaire ou du maintien de la relation, etc. - tous considérés comme faisant partie de ce qui constitue une bonne pratique médicale.
Deuxièmement, une bonne partie de la médecine s’exerce en dehors du champ de portée des GPC. Les patients qui présentent un problème simple sont facilement pris en charge, mais les GPC omettent d’expliquer d’importants aspects de la prise en charge de problèmes indifférenciés ou de donner des conseils sur le traitement des maladies chroniques complexes. Ces 2 genres de cas sont de plus en plus courants en médecine familiale. Comme mon collègue Shawn Tracy et moi-même le faisions remarquer dans un commentaire récent, paru dans Le Médecin de famille canadien, la prise en charge optimale se situe en dehors de la portée des GPC pour un nombre considérable de patients, ou encore les GPC n’en parlent pas3. Par conséquent, si les GPC sont nécessaires à la pratique d’une bonne médecine, il faudrait donc dire qu’une bonne part des soins actuellement fournis en médecine familiale ne sont pas «bons», parce qu’il n’existe tout simplement pas de lignes directrices à leur sujet. Par ailleurs, je maintiendrais que l’opposé est vrai. La bonne médecine commence souvent précisément quand le médecin amorce une rencontre franche avec un patient et fait face aux limites de ce qui est connu à propos de son problème. Dans de tels cas, «être là» pour soutenir le patient représente de bons soins, qu’importe l’absence de GPC.
Les données empiriques ne sont pas convaincantes
Il est évident que les lignes directrices produites par de nombreux organismes médicaux de différents niveaux et réputations prolifèrent. Une visite rapide du «monde des lignes directrices» vous entraîne à travers divers sites Web spécialisés en GPC. D’ailleurs, une recherche avec Google de l’expression en anglais produit plus de 3 000 000 résultats. De nombreux organismes gouvernementaux et associations professionnelles ont élaboré des directives spécifiques ou des collections de GPC. Par exemple, l’Association médicale canadienne a produit Infobanque AMC4, qui compte des milliers de GPC différents.
Du point de vue du médecin, la question qui se pose est souvent de savoir quel guide utiliser et comment l’appliquer à un cas en particulier. La pratique familiale doit composer avec une gamme et une quantité énormes de guides, et la plupart d’entre eux n’ont pas été systématiquement évalués pour déterminer leur utilité et leur efficacité dans la pratique. C’est comme si, parce qu’ils résument des données scientifiques, les GPC étaient eux-mêmes exonérés de toute évaluation. Ce qui passe pour une évaluation des GPC consiste souvent à déterminer si les médecins de famille se conforment aux GPC que privilégie l’organisme qui parraine l’étude.
Les études sur le respect des GPC par les médecins révèlent que la conformité est souvent difficile dans la pratique. Une étude par Østbye et ses collaborateurs a démontré que les fournisseurs de soins primaires ayant une pratique de taille raisonnable auraient à peine assez de temps en clinique pour se conformer aux GPC portant sur les 10 problèmes chroniques les plus courants, et ce, en état stable. Quand on applique ce modèle à des cas mal contrôlés, le problème de gestion du temps devient presque insoluble5. Le vrai problème, comme le cernait récemment Richard Horton, n’est pas le manque de nouvelles lignes directrices ou de nouveaux résumés de données scientifiques, mais de trouver assez de temps pour réfléchir et prendre de bonnes décisions cliniques6.
Un autre élément tout aussi important dans la pratique d’une bonne médecine se situe dans la prise en compte des effets du traitement sur la vie des patients. Une étude par Boyd et ses collaborateurs documente les difficultés que pose l’observance de régimes thérapeutiques complexes7.
Problèmes conceptuels
Enfin, il reste encore des problèmes dans la détermination de la légitimité et de la validité des GPC. Il n’est pas rare que 2 GPC différents présentent des recommandations contradictoires pour une même catégorie de maladie. De plus, les GPC imposent souvent des compromis en ce qui a trait à la maladie ou à l’organe à privilégier. À mon avis, c’est contraire à la bonne médecine.
Beaucoup d’encre a coulé pour donner des conseils pour dire comment séparer le grain de l’ivraie en ce qui a trait à la prolifération des GPC. Les groupes assortis d’un acronyme frappant (comme AGREE, GRADE), qui se targuent de donner des conseils, ne sont pas rares. De tels exercices laissent presque toujours de côté les problèmes épistémologiques plus graves qui demeurent sans réponse dans les GPC. Ces problèmes concernent les difficultés entrecroisées qui surgissent dans le classement des données factuelles par l’évocation de hiérarchies et de réputation de fiabilité des groupes qui créent et diffusent les GPC. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet sur lequel j’ai présenté ailleurs mon argumentation8,9.
Conclusion
La bonne médecine peut être et sera toujours exercée sans les GPC. Les lignes directrices doivent occuper la place qui leur revient, c’est-à-dire être un auxiliaire à la bonne pratique médicale - et non son instanciation.
Acknowledgments
Je remercie C. Shawn Tracy et Dre Leslie Nickell de leurs commentaires critiques avisés.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Les guides de pratique clinique (GPC) n’englobent pas entièrement tous les domaines de la pratique d’une bonne médecine.
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Les données empiriques examinant l’utilisation des GPC ne sont pas convaincantes.
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De multiples problèmes conceptuels persistent entourant la définition d’un bon GPC.
Footnotes
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This article is also in English on page 518.
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Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans des réfutations accessibles à www.cfp.ca. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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