
Pour les amateurs de baseball, ces mots excitants signalent l’arrivée d’un des clubs les plus notoires de l’histoire. Pour des pays en période d’agitation sociopolitique, il peut s’agir d’une bonne nouvelle ou d’une source de crainte et de colère. Mais pour les Canadiens qui suivent la réforme de la santé au sud du 49e parallèle, ces mots pourraient évoquer un Paul Revere ou un gendarme de la GRC à cheval, galopant fébrilement à travers le pays pour avertir la population d’un raid américain imminent chez nos médecins déjà en nombre insuffisant.
Les États-Unis sont déjà venus recruter nos médecins et rien ne laisse croire que cela ne se reproduira plus. Cette fois, il est fort probable que leurs cibles seront nos médecins de famille.
La réforme Obama, le commencement d’un système de santé plus équitable pour les Américains, reconnaît que le mauvais état de santé de la population est directement lié aux millions de citoyens qui n’ont pas ou que peu d’accès aux soins primaires. Les décideurs américains, après avoir étudié les recherches qui démontrent la valeur des soins primaires et du fait d’avoir son propre médecin de famille sur une base continue1, ont conclu que le renforcement des soins primaires était une priorité de la réforme. Ils prévoient une meilleure qualité et une plus grande rentabilité découlant (sous la direction des médecins de première ligne) de la prévention des maladies et des blessures, de la promotion de la santé et de la prise en charge des maladies chroniques. Mais où les États-Unis trouveront-ils assez de médecins de soins primaires pour les 40 millions de personnes qui n’avaient pas accès aux soins auparavant? La réponse? Attention, Canada!
Les États-Unis ont besoin de quelque 100 000 médecins de soins primaires additionnels. Seulement 20 % des diplômés en médecine américains choisissent les soins primaires2. Produire autant de nouveaux médecins de soins primaires rapidement sera tout un défi. Pour atteindre les objectifs de la réforme d’ici 2020, les Américains doivent importer de nombreux médecins d’ailleurs. La proximité géographique, les programmes de formation médicale grandement respectés, et les similitudes des pratiques médicales et culturelles font des médecins canadiens des candidats tout indiqués pour répondre aux besoins américains.
Les planificateurs américains savent qu’il faudra des hausses substantielles de revenus, accompagnées de soutiens du système, pour l’exercice de rôles clairement définis et améliorés des médecins de soins primaires de leur nation3. Avec ces incitatifs à l’horizon, nos médecins de famille seront-ils tentés de quitter le Canada ou verront-ils que notre système les valorise et surpasse ce que les États-Unis ont à offrir?
On s’intéresse de plus près aux soins primaires et à la nécessité d’avoir des médecins de famille depuis quelques années au Canada. Les facultés de médecine ont cerné des rôles plus visibles et importants pour la discipline et les médecins de famille, et un nombre grandissant d’étudiants choisissent notre spécialité. Les modèles de pratique obtiennent graduellement du soutien pour les équipes interprofessionnelles, les dossiers médicaux électroniques (DME), les systèmes de rendez-vous préalables et les nouvelles stratégies de prise en charge des maladies chroniques. La rémunération des médecins de famille a commencé à augmenter, réduisant l’écart par rapport aux autres spécialistes - écart qu’il faut continuer à combler pour réussir dans les efforts de recrutement et de maintien en poste.
Mais il y a des signes de danger. Tandis que les États-Unis connaissent un élan de soutien pour les soins primaires et les médecins de famille, l’engagement du Canada semble faiblir.
La réduction du financement et du soutien des gouvernements au pays est déjà évidente et s’aggravera avec la fin de l’entente fédérale-provinciale-territoriale en 2014. Les pénuries de médecins de famille, qu’on commence à régler, sont loin d’être résolues. Les écarts de rémunération, malgré les gains, restent considérables et inacceptables. L’aide pour les DME est d’une lenteur incroyable. Les avantages potentiels de l’élargissement du champ de pratique des autres professionnels de la santé sont entravés par ceux qui voient la pénurie de médecins actuelle comme une possibilité de se substituer à eux plutôt que de collaborer. Il en résulte que les étudiants qui s’intéressent à la médecine familiale se préoccupent d’une éventuelle perte d’identité et que les médecins de famille envisagent de se joindre à des équipes interprofessionnelles.
Si les recruteurs américains offrent aux médecins de famille canadiens la possibilité de pratiquer selon des modèles bien soutenus, en équipe de collaboration sans concurrence, avec accès complet aux DME, des avantages sur les plans du mode de vie et de la rémunération en comparaison de leurs collègues canadiens, cela pourrait bien déclencher une nouvelle crise d’effectifs médicaux. Par contre, si le Canada voit vite le scénario des États-Unis et accroît son soutien aux soins primaires et aux médecins de famille, nous pourrions faire mourir dans l’œuf la menace des Yankees.
Footnotes
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This article is also in English on page 612.
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