
L’actuel débat sur la réforme de la santé aux États-Unis a eu pour effet de rallumer notre propre débat sur le système de santé canadien - et certaines méprises entourant la réforme américaine perpétuent divers mythes concernant notre système canadien.
Le débat incessant au sud de la frontière devrait nous faire réfléchir en tant que profession parce qu’il dépeint une image erronée de notre système de santé et, en définitive, de nous-mêmes. Certains malentendus affectent sans aucun doute la façon dont les Canadiens voient leur système de santé, et pourraient, en retour, susciter un négativisme national à l’endroit d’un système qui, selon moi, fonctionne bien.
Mon point de vue est celui d’un médecin formé aux États-Unis qui est venu au Canada faire sa résidence en médecine familiale. J’ai suivi ma formation dans un hôpital public en Caroline du Nord, qui desservait bon nombre de personnes non assurées de cet État. Comme dans la plupart des États américains, les personnes sans assurance sont les travailleurs pauvres. De fait, les récits de mes patients sont des histoires d’horreur: soins de santé inaccessibles, présentation en phase terminale de maladies possibles à prévenir et dettes grandissantes insurmontables.
Pour la première fois depuis une décennie, les services de santé sont devenus dans ma ville natale un sujet de conversation à table, à l’église et dans les repas communautaires. Par ailleurs, entre deux bouchées de fèves au lard, lors d’un mariage auquel j’assistais en juillet, les discussions que j’ai entendues ne traitaient pas des détails de la controversée loi sur la réforme, mais corroboraient plutôt la représentation par les médias du « système de santé canadien »: refus de soins en raison de l’âge, temps d’attente funestes pour des chirurgies d’urgence ou inaccessibilité aux tests diagnostiques de pointe. Ayant suivi ma formation aux États-Unis et au Canada, je me suis retrouvée à donner l’heure juste concernant les mythes entourant ce débat épineux des 2 côtés de la frontière lors d’activités sociales ainsi qu’à la clinique.
1er mythe : L’administration Obama propose un «système canadien»
Dans une allocution contre la loi sur la réforme de la santé, le sénateur républicain Judd Gregg a déclaré que le programme d’assurance envisagé aux États-Unis était une pente glissante menant à un système à payeur unique comme au Canada ou en Angleterre1. Les détracteurs de ce projet de loi s’empressent de comparer son contenu à celui d’un système à payeur unique. Par ailleurs, en réalité, la loi proposée est une option additionnelle s’ajoutant au méli-mélo du système américain à payeurs multiples, dans l’espoir d’assurer les personnes qui ne le sont pas et de rendre l’assurance-santé plus abordable. En bref, cela signifie l’élargissement de la couverture des soins de santé aux quelque 40 millions d’Américains non assurés2 en baissant les coûts des soins de santé et en rendant le système plus efficace. À cette fin, les mesures prévoient un nouveau régime d’assurance administré par le gouvernement pour concurrencer les compagnies privées, l’exigence que tous les Américains aient une assurance-santé, l’interdiction de refuser l’assurance en raison de problèmes préexistants, et pour tout payer, une surtaxe aux ménages dont le revenu dépasse 350 000 $3.
Comme le disait un de mes professeurs de médecine, le système de santé américain n’est pas un système. Je le compare à une maison près de chez moi dans un quartier de ma ville natale. Avec les années, une annexe a été construite en hâte sans beaucoup prêter attention à son apparence ou à ses côtés pratiques. Un peu plus tard, un véhicule récréatif (VR) est venu s’ajouter avec 4 annexes multicolores, quelques tentes et un garage. Cette maison ressemblait peu aux constructions très traditionnelles de mon quartier, qui n’étaient pas idéales pour une famille grandissante et très occupée. Le plan d’Obama ajoute un tout nouveau VR à la maison pour remplacer les 40 millions de tentes dans la cour.
2e mythe : Trop âgés pour se faire soigner
Certaines déclarations dans le débat sur la santé, prononcées par des représentants élus, sont encore plus troublantes. Par exemple, le sénateur républicain Mitch McConnell citait le cas d’un ami qui venait de perdre un ami au Canada, parce que le gouvernement avait décidé qu’il était trop vieux pour un certain type d’intervention4.
Dans le Sud, bon nombre d’histoires commencent par « Je connais un ami qui a un ami… », ce qui, de toute évidence, enlève de la crédibilité aux commentaires du sénateur McConnell. Par contre, cette déclaration a quand même causé des remous chez les femmes de mon entourage avec lesquelles j’ai partagé un banc d’église durant une bonne partie de mon enfance et de mon adolescence. Une octogénaire à l’aise avec la technologie m’a envoyé un courriel pour me demander de confirmer l’affirmation du sénateur Senator McConnell - est-ce que le gouvernement me forcerait moi, en tant que médecin au Canada, à refuser des soins à un patient en raison de son âge avancé?
Les médecins au Canada font face à bien moins d’interférence de la part de tierces parties que ceux aux États-Unis. Pour de multiples raisons, y compris une plus grande autonomie des médecins et moins de craintes de poursuites, les médecins au Canada sont en meilleure position pour exercer la médecine factuelle, le fondement de la pratique médicale.
L’obtention d’une approbation préalable des compagnies d’assurances pour certaines interventions et études diagnostiques consume des quantités considérables de temps et d’énergie aux États-Unis. Voici mon souvenir le plus frappant de ce processus d’approbation: pendant mes études de médecine, je me rappelle avoir entendu un médecin à l’unité des soins intensifs discuter avec un agent de la compagnie d’assurance qui refusait d’autoriser une transplantation d’organe imminente pour sauver la vie d’un patient. La compagnie établie aux États-Unis refusait de rembourser les frais parce que le patient n’avait pas subi son examen dentaire annuel au cours des 12 derniers mois. L’agent au téléphone n’avait pas de formation médicale officielle. Après plusieurs heures et de nombreux interlocuteurs à divers échelons hiérarchiques, le médecin a enfin parlé à un autre médecin qui a accordé l’autorisation de la transplantation sous réserve qu’un dentiste examine les dents du patient à l’unité des soins intensifs.
On estime que 25 % des coûts de santé dans le système à payeurs multiples sont de nature administrative, et créent un fardeau considérable pour les médecins et les patients aux États-Unis.
3e mythe : Pas d’accès à des spécialistes
Selon l’American Academy of Family Physicians, au cours des 10 dernières années, 90 % des diplômés en médecine aux États-Unis ont choisi de suivre une formation surspécialisée. Seulement 10 % ont opté pour les soins primaires5. Par comparaison, au Canada, le Service canadien de jumelage des résidents a placé près de 40 % des diplômés en médecine familiale6. Il n’est donc pas surprenant que les Américains voient un nombre de médecins plus élevé de 40 %, probablement en raison des plus nombreuses demandes et consultations auprès de spécialistes7.
Selon mon expérience en tant qu’étudiante en médecine en Caroline du Nord, je peux attester de ces nombres. Même dans une faculté de médecine publique pourvue d’un très solide département en médecine familiale, les pressions étaient très fortes pour que les résidents choisissent une surspécialité plutôt que les soins primaires. Dans ma classe de 160 étudiants, 14 sont allés en médecine familiale, et nous avons tous entendu des commentaires de la part des médecins enseignants du genre «c’est dommage de gaspiller un bon médecin» ou «vous allez vous ennuyer en médecine familiale».
La pénurie de médecins de première ligne aux États-Unis signifie que de nombreux patients n’ont pas de médecin de soins primaires qui organise les multiples diagnostics médicaux ou qui prend la responsabilité des soins préventifs. C’est comme une équipe de football sans quart arrière. La loi sur la réforme de la santé du président Obama vise à donner à 40 millions de personnes un meilleur accès aux soins de santé; par contre, malgré son adoption, il demeurera très difficile pour ces Américains d’accéder aux soins en raison du manque de médecins de soins primaires.
Cette prédiction d’un accès limité aux soins de santé dû au manque de médecins de première ligne se fonde sur ce qui s’est passé après l’adoption, en 2006 au Massachussetts, d’une loi qui exigeait que tous les résidents aient une assurance-santé. L’arrivée dans le système de plus d’un quart de million de personnes nouvellement assurées s’est traduite par des salles d’attente débordées et des médecins de première ligne surchargés de travail, eux qui étaient déjà en nombre insuffisant 8,9.
La réforme de la santé est un sujet controversé et une source de division dans ma ville natale cette année. Même durant les repas communautaires du quartier, il remplace les sujets de conversation normalement à l’origine de vifs débats, comme la guerre, l’avortement ou le mariage gai. Malheureusement, plutôt que de se concentrer sur la nécessité de changer le système américain, le débat vilipende la structure canadienne à payeur unique et dépeint une image erronée des soins de santé de l’autre côté de la frontière. En tant que médecins de famille canadiens, nous devrions profiter de l’attention suscitée par le débat américain pour mieux faire connaître à la population des éléments qui fonctionnent bien et moins bien dans notre système au lieu de permettre qu’un large spectre de négativisme assombrisse l’ensemble du système de santé canadien.
Footnotes
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This article is also in English on page 604.
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Intérêts concurrents
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