Lorsque nous répondons oui à la question «Le médecin de famille, doit-il être empathique?», nous disons oui à l’empathie telle que définie par Hojat et ses collègues1. Ces auteurs s’accordent pour dire que le concept d’empathie doit être limité à ses dimensions cognitive et comportementale. Voici leur définition de l’empathie: «… un attribut cognitif qui implique, d’une part, la capacité à comprendre la perspective du patient et comment ce dernier ressent les expériences et, d’autre part, la capacité à communiquer au patient cette compréhension».
Un outil puissant
L’empathie constitue un instrument puissant à la disposition du professionnel de la santé pour l’aider à prodiguer des soins adaptés à la personne dans ses dimensions affective, cognitive et biologique. De plus, l’empathie permet au patient d’avoir le sentiment d’être entendu et compris, ce qui contribue à construire la relation thérapeutique et à augmenter la confiance qu’il éprouve en son médecin.
L’empathie du médecin aide le patient à gérer des émotions parfois intenses et le rend disponible pour entreprendre une démarche thérapeutique. Par exemple, lorsque le patient rapporte des émotions comme le chagrin, la tristesse, la honte, l’impuissance ou le découragement, l’empathie permet au professionnel de communiquer au patient sa compréhension des émotions exprimées, tout en maintenant la distance professionnelle nécessaire pour préserver son objectivité et son propre équilibre émotif.
S’il s’agit d’une approche communicationnelle aussi puissante, pourquoi fait-elle ici l’objet d’un débat? À notre avis, au cours des années, il s’est installé un embrouillement malheureux entre divers concepts reliés mais distincts de l’empathie, tels que la sympathie, l’humanisme, la compassion et la bienveillance. Les termes empathie et empathique se retrouvent dans des documents officiels de divers organismes accréditeurs et associations médicales2,3,4. Ces termes, même dans ces contextes, sont souvent utilisés à tort dans le sens d’une attitude générale «d’altruisme» ou «d’accueil inconditionnel» du patient sans égard au contexte dans lequel le patient est rencontré ni à la nature du problème présenté5. Spiro6 est un bon exemple, à notre avis, de ce type de dérive. Dans son commentaire publié très récemment dans la revue Academic Medicine, il affirme que l’empathie est une «émotion» humaine et non une cognition. L’empathie serait, selon lui, spontanément ressentie par le médecin qui expérimente alors le «je suis vous» ou «je pourrais être vous» qui remplace le «vous et moi». Dans cette acceptation du terme, nous confondons la métaphore avec la réalité car nous sommes à tout jamais séparés de l’autre. Nous ne pouvons que l’imaginer. Avec une définition pareille, il n’est pas étonnant que plusieurs médecins réagissent et perçoivent la tâche comme impossible et épuisante.
Une distinction essentielle à faire entre empathie et sympathie
Reprenons la définition de Hojat et coll.1, qui affirment que la dimension cognitive de l’empathie renvoie à la capacité d’un intervenant de comprendre l’expérience rapportée ou l’émotion exprimée par un patient ou par ses proches. Cette compréhension n’est pas observable directement. Il s’agit d’un phénomène intrapsychique chez le médecin. La dimension comportementale, qui elle est observable, se rapporte à la capacité de l’intervenant de communiquer de façon explicite au patient ou à ses proches sa compréhension de l’émotion exprimée ou de l’expérience rapportée. Ce comportement observable du médecin est ce qui crée chez le patient le sentiment d’être compris.
Si nous comparons l’empathie et la sympathie, la sympathie renvoie plutôt à la capacité d’un individu de partager l’émotion ressentie par l’autre, de se sentir interpellé sur le plan émotionnel par l’autre. La sympathie correspond à une forme de «résonance affective» entre le médecin et son patient. Par exemple, le médecin est dit sympathique à la tristesse, au désespoir ou à l’inquiétude du patient lorsqu’il est attristé de la tristesse de l’autre, désespéré du désespoir de l’autre, ou inquiété de l’inquiétude de l’autre. Dans ces cas, le médecin ressent et partage (jusqu’à un certain point) une émotion analogue à celle du patient.
Bien qu’il existe une relation entre les concepts d’empathie et de sympathie1,7, il est clair que la sympathie, surtout si elle est excessive, n’est pas appropriée dans le contexte des soins parce qu’elle risque d’obscurcir le jugement clinique en plus de mettre l’intervenant à risque d’épuisement professionnel. En effet, une des raisons invoquées pour ne pas s’impliquer dans les soins d’un membre de sa famille est précisément que notre engagement émotif vis-à-vis des membres de notre famille peut interférer avec notre capacité de porter un diagnostic ou de proposer un traitement approprié. Bref la sympathie peut nuire aux soins.
Enfin, notons que la pratique de l’empathie ne constitue pas un acte clinique inné. Elle nécessite un entraînement rigoureux qui ne semble pas faire partie des programmes actuels de formation médicale. De là le danger de glissement vers une pratique de la sympathie plutôt que de l’empathie. Nous croyons qu’il est impératif d’inclure dans le cursus des études médicales l’apprentissage de l’empathie telle que définie ici car il s’agit d’un véhicule communicationnel puissant permettant au clinicien d’exprimer de façon explicite sa compréhension de la souffrance de l’autre tout en protégeant sa propre intégrité psychologique.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
Le milieu médical doit clarifier la définition de l’empathie pour mettre fin à la confusion entre celle-ci et un ensemble de concepts similaires.
L’empathie, définie comme un attribut cognitif qui implique la capacité de comprendre l’expérience du patient et de le communiquer clairement, constitue une stratégie communicationnelle puissante pour soutenir les patients aux prises avec des émotions troublantes.
L’empathie, ainsi définie, peut s’enseigner et se pratiquer sans mettre en péril l’intégrité psychologique du médecin.
Footnotes
This article is also in English on page 740.
Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans des réfutations accessibles à www.cfp.ca. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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