
Le climat de notre culture évolue… ce qui restait petit devient grand et ce qui devenait grand reste petit, et des espèces disparaissent et sont remplacées.
Randall Jarrell1
Nous vivons une évolution incessante. Ceux qui s’adaptent sur les plans physique, émotionnel, économique, intellectuel, moral et politique seront les exemples de la survie des plus forts selon Darwin. Les médecins de famille seront-ils remplacés et se retrouveront-ils avec les espèces disparues ou reconnaîtrons-nous les changements à faire pour éviter l’extinction?
La majorité convient que cette question ne mérite pas d’être sérieusement approfondie. Même si l’on s’inquiète pour l’avenir, les médecins de famille ne sont pas sur le point de disparaître. Cependant, en dépit de nos pénuries de médecins de famille et des preuves convaincantes que l’accès à son propre médecin de famille est le facteur le plus important pour de bons résultats en santé de la population2, certains éditoriaux dans des journaux nationaux ont prétendu que nous n’avions pas besoin d’un plus grand nombre de médecins de famille et qu’ils pourraient être remplacés par d’autres professionnels de la santé comme soignants de première ligne. Un éditorial dans Le Médecin de famille canadien présentait une réflexion sur l’extinction des médecins de famille3, auquel a répondu un leader en médecine familiale sud-américain, Dr Julio Ceitlin: « Le monde, la société, même la température ont changé au cours des dernières décennies et le médecin de famille humaniste, romantique et donquichottesque des années 1970 ne peut pas survivre avec le même rôle professionnel4. »
Récemment, Brook et Young ont mis en évidence la nécessité que les médecins de soins primaires américains redéfinissent leurs responsabilités et se rendent indispensables aux yeux des planificateurs et des bailleurs de fonds du système de santé en misant sur la réussite de la réforme5. Ils proposent que les médecins de famille jouent un rôle prépondérant dans la prévention des hospitalisations, en éliminant les chirurgies et les tests diagnostiques inutiles, et en dispensant des soins palliatifs à coûts moindres. Ils recommandent que plus de médecins effectuent des interventions médicales en cabinet ou dans les centres d’accueil tout en dispensant des soins continus complets à la majorité de la population, en particulier aux malades chroniques. Ils estiment qu’il est nécessaire et prioritaire de combler l’écart dans la rémunération entre les médecins de soins primaires et les autres spécialistes pour régler les problèmes de recrutement et de maintien en poste en médecine familiale, mais ils croient que si les médecins de soins primaires peuvent prouver qu’ils réduisent les coûts et améliorent les résultats - en particulier dans la prise en charge des maladies chroniques - les hausses de rémunération et un avenir plus sûr en découleront.
Au Canada, bien que le rôle des médecins de famille soit mieux établi et qu’on reconnaisse qu’il importe que tous aient leur propre médecin de famille, il y a des signes que les vents changent - et nous devrions écouter Brook et Young. Nous aussi, nous devrions réexaminer les rôles des médecins de famille et définir des responsabilités nouvelles ou élargies pour notre spécialité.
En tant que médecins de famille, en plus de renforcer notre engagement à l’égard des soins complets continus et de la relation médecin-patient, devrions prendre en charge un menu de soins médicaux plus complexes, essentiels aux patients et au système. Nous devons faire en sorte que les résidents en médecine familiale aient acquis l’expérience durant leur formation, et fassent preuve de leur compétence dans tous les domaines de base de la médecine familiale. Les médecins de famille devraient être considérés comme des médecins compétents qui offrent en temps opportun des rendez-vous à leurs patients pour répondre au vaste éven-tail de besoins en matière de santé. Il vaudrait mieux se part-ager les responsabilités au sein d’un groupe de médecins de famille dans chaque pratique, où les médecins agissent comme médecins personnels de leurs propres patients, mais travaillent avec d’autres collègues qui offrent des soins dans des domaines d’intérêts spéciaux ou de compétence avancée. Chaque groupe de pratique familiale devrait offrir des services prénatals et d’accouchement, et participer activement aux soins de leurs patients admis à l’hôpital et à l’urgence. Des équipes de professionnels de la santé (médecins de famille, infirmières, pharmaciens, etc.) devraient offrir une gamme de services de soins primaires sur place ou dans la collectivité. On devrait voir les médecins de famille comme des leaders en prévention de la maladie et des blessures, en promotion de la santé et pour veiller à la santé communautaire et populationnelle. Les rôles des médecins de famille doivent être accrus et mieux définis, et partie intégrante des systèmes de santé publique nationaux et régionaux.
Le Canada et le monde doivent savoir que les médecins de famille sont prêts à assumer la responsabilité première de certaines des priorités médicales des populations d’aujourd’hui et de demain - surtout en prévention et en prise en charge des maladies chroniques. Nous devons être prêts à préserver et à soutenir les meilleurs moments de notre histoire, tout en nous adaptant au changement. Nous devons prendre le vent.
« L’avenir est dans l’air. Je le sens partout. Soufflant avec le vent du changement5. »
Footnotes
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This article is also in English on page 836.
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