Que ton aliment soit ta seule médecine.
Hippocrate
Étant médecin de famille depuis plus de 25 ans, j’utilise le « SOAP » tous les jours. Bien sûr, je ne parle pas ici du savon que nous utilisons habituellement pour nous débarrasser des méchants microbes et nous garder propres ainsi qu’autrui, mais bien de l’acronyme anglais SOAP que nous avons été formés à utiliser. Nous savons tous ce qu’il représente et nous y avons recours au quotidien avec les patients de notre pratique. Oui, même après 25 ans, je pratique encore la médecine. Nous sommes devenus plutôt habiles avec cet acronyme pour faire l’anamnèse de nos patients. « Dites-moi comment tout cela a commencé. » ou « Depuis quand ne vous sentez-vous pas bien et quels symptômes avez-vous ressentis? ». Donc, nous explorons les Symptômes. Puis, nous poursuivons en dressant la liste des constatations Objectives. Lorsqu’on a posé le diagnostic différentiel, nous passons ensuite à l’Analyse finale. Ensuite, nous devisons un Plan et il comporte habituellement quelques modifications au mode de vie, si elles s’imposent, et fort probablement un médicament ou deux. On insiste surtout sur la dernière partie du SOAP. Ce processus recommence quand nous voyons le patient pour un autre problème et, avec de nouveaux signes et symptômes, un autre diagnostic peut être posé. Bientôt, le patient pourrait se retrouver à prendre de nombreux médicaments. Le quatrième ou cinquième médicament pourrait être nécessaire pour contrer les effets secondaires du premier ou deuxième médicament. Les exemples de telles situations se font multiples: un anti-inflammatoire non stéroïdien suivi d’un inhibiteur de la pompe à protons ou un anti-fongique après le recours à un antibiotique. Ils sont utilisés soit simultanément ou l’un après l’autre.
Du recul
N’est-il pas temps de prendre un peu de recul et d’explorer tout d’abord comment est survenue la maladie? Comment, pour commencer, en sommes-nous arrivés au « SO »? La détermination des expositions environnementales, des aliments, des déficiences ou des excès nutritionnels qui pourraient déclencher les signes et les symptômes peut prendre beaucoup de temps. Malgré tout, ne serait-il pas mieux de prévenir à l’avance les éléments déclencheurs de la maladie que de traiter avec des médicaments une maladie déjà établie?
L’une des modifications aux habitudes de vie que nous recommandons souvent à nos patients est d’arrêter de fumer. Cette exposition environnementale peut causer un certain nombre de maladies dont l’une, mais non la moindre, est le cancer1 (quoiqu’aucune étude à double insu ne le prouve). Par exemple, tous ceux qui ont une susceptibilité génétique ne développeront pas nécessairement l’arthrite rhumatoïde, mais ceux qui fument2, pourraient allumer la mèche d’un bâton de dynamite qui pourrait en retour arrêter ou déclencher une réaction des gènes. Une fois déclenchée, il est difficile de mettre un terme à cette séquence.
Vous êtes ce que vous mangez
Les connaissances entourant le domaine de la neutri-génomique ont connu une explosion, révélant les effets considérables qu’ont les aliments sur l’expression génétique3,4. La vitamine D (une hormone produite par l’exposition au soleil qu’on retrouve dans très peu d’aliments) est responsable d’activer ou d’arrêter plus 2 000 gènes. Les acides gras oméga-3 (présents dans un nombre limité d’aliments) activent ou désactivent plus de 500 gènes, dont plus de 50 sont associés, entre autres, aux maladies cardiovasculaires4 et 75 ont un rôle dans la régulation des cellules dans le cancer du côlon5. De nos jours, une alimentation ayant une teneur insuffisante en vitamine D et en acides gras oméga-3 est chose courante6,7. La réplétion de l’un ou l’autre de ces éléments essentiels améliore en soi la santé, mais s’ils sont utilisés ensemble, les résultats pourraient créer une synergie, comme on l’a fait valoir en ce qui concerne l’utilisation d’une combinaison de médicaments, comme le « polypill »8. Les acides gras polyinsaturés en quantités appropriées pourraient en eux-mêmes agir comme un polypill9. De plus, il a été démontré que la vitamine D réduit la survenance d’une variété de maladies en plus du rachitisme et de l’ostéoporose. Elle diminue de 30 % à 80 % le risque de développer divers cancers10, réduit le risque de cardiopathie, prévient le développement de maladies auto-immunes, aide au système immunitaire inné à combattre l’infection et ainsi de suite. Il a été démontré que 2 000 unités ou plus de vitamine D durant la première année de vie réduisent de plus de 80 % l’incidence du diabète de type 1 au cours des 30 années subséquentes11. Une quantité suffisante de vitamine D durant les premières années de vie peut réduire le risque de sclérose en plaques durant le reste de la vie et prévenir les déclencheurs infectieux qui provoquent la maladie12.
Encore une fois, il est temps d’élargir notre vision de la médecine, maintenant que nous savons que ce que nous mangeons ou ce à quoi nous sommes exposés peut influencer l’expression génétique. Cette « nouvelle » médecine n’est peut-être pas aussi éblouissante que les plus récents « biologiques » utilisés pour les maladies auto-immunes. Par ailleurs, ce pourrait être la voie de l’avenir. Il nous faut apprécier la véritable influence qu’ont les facteurs environnementaux et nutritionnels sur l’expression génétique et, par conséquent, notre santé. Il faut consacrer plus de temps avec nos patients pour déterminer les causes sous-jacentes du SO dans SOAP, et beaucoup plus encore à apprendre comment nous pouvons prévenir ou contrôler l’expression néfaste des gènes, mais nous savons maintenant que ce n’est pas aussi simple que de dire « tout est dans les gènes ».
Footnotes
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This article is also in English on page 852.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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