À moins de voir le ciel,
Mais ils ne le peuvent pas, et c’est pourquoi
Ils ne savent pas s’il fait sombre ou clair dehors
Bernie Taupin, Elton John, 1972 (traduction libre)
Si nous définissons une vitamine comme une substance nécessaire qui n’est pas produite de manière endogène, la vitamine D ne répond pas à ce critère. Elle est produite au niveau de la peau exposée aux rayons UVB, agissant sur le 7-déhydrocholestérol et subissant une hydroxylation dans le foie et les reins. De fait, elle se comporte davantage comme des hormones stéroïdes, se liant aux récepteurs de vitamine D dans l’ensemble du corps1. L’urbanisation et la spécialisation croissantes des populations on des conséquences sur les choix de vie des populations, notamment une exposition réduite de la peau au soleil, d’où la capacité moindre de la peau de synthétiser la vitamine D2. Les changements environnementaux prévus pourraient avoir des conséquences imprévisibles. Si la température devenait excessivement humide ou chaude, les gens pourraient choisir de rester à l’intérieur. Si leur réaction aux températures plus chaudes les amenait à passer plus de temps au soleil, il leur faudrait utiliser des filtres ou des écrans solaires pour protéger leur peau des rayons UVB plus intenses à cause de la diminution de l’ozone atmosphérique, qui réduit l’exposition nécessaire à la production de vitamine D. Avec le temps, il se pourrait que la vitamine D devienne après tout une vraie vitamine. Par conséquent, pour une santé optimale, il faudrait une source exogène, puisqu’il existe très peu de sources alimentaires naturelles à part les poissons gras.
Choix de vie et facteurs de risque
La genèse de l’humanité s’est presque assurément produite en Afrique subsaharienne et les gens avaient alors probablement une forte pigmentation. Avec la migration vers le Nord, il y a quelque 60 000 ans, ils étaient moins exposés directement aux rayons UVB du soleil et il fut des époques où il n’y avait aucun rayon de soleil durant les mois d’hiver2,3. Plus ils allaient vers le Nord et s’adaptaient à ces conditions, plus leur peau perdait progressivement sa pigmentation, leur donnant un avantage pour leur survie par rapport aux sous-groupes à la pigmentation plus forte, chez qui la carence en vitamine D posait des problèmes de mobilité et de reproduction4. Les exceptions possibles à ce phénomène étaient les Inuits, dans le Grand Nord, qui avaient un régime alimentaire composé de gras et de poissons huileux, l’une des rares sources alimentaires à forte teneur en vitamine D.
L’adaptation s’est produite graduellement de génération en génération et elle se manifeste dans des caractéristiques comme la couleur de la peau, l’habillement, les rituels et l’alimentation. De nos jours, on change rapidement de lieux et d’environnements, ce qui cause du stress, des bienfaits et des carences, sans qu’il y ait de temps pour s’adapter. Ces changements et les choix de vie influencent fortement les niveaux de vitamine D, comme le vieillissement, le manque d’activité physique, l’obésité, le manque d’exposition au soleil, et ils agissent en synergie. Le Tableau 1 présente les facteurs de risque qui, à eux seuls ou combinés, se traduisent par de faibles taux de vitamine D4–19.
Prévalence de la carence en vitamine D
L’hydroxylation hépatique de la vitamine D3 générée dans la peau ou prise par voie orale produit la 25-hydroxyvitamine D (25[OH]D), un important métabolite qui a une longue demi-vie, permettant la mesure des niveaux sériques de vitamine D. Il n’existe pas de consensus sur les niveaux sériques optimaux de 25(OH) D nécessaires à la prévention des maladies. Il existe cependant un certain accord sur l’utilisation des points de repère suivants20:
-
Carence: moins de 25 nmol/L; cause des maladies à courte latence comme le rachitisme chez l’enfant et l’ostéomalacie chez l’adulte.
-
Insuffisance: 25 à 75 nmol/L; cause des problèmes à longue latence comme l’ostéoporose, les fractures et les chutes.
Même dans les endroits les plus ensoleillés, comme en Arabie saoudite et en Australie, de 30 % à 50 % des adultes et des enfants ont une carence ou des niveaux insuffisants de vitamine D5. À la latitude d’Edmonton, en Alberta, 90 % des enfants ont une carence ou des niveaux trop bas6. Entre 2002 et 2004, on a compté 104 cas confirmés de rachitisme au Canada22. Chez les aînés frêles, les taux sont particulièrement bas selon une étude qui démontre une baisse moyenne de 6 nmol/L sur une période de 2 ans23.
Les niveaux moyens de 25(OH)D ont aussi tendance à fléchir avec le temps. Selon une étude sur la nutrition aux États-Unis, durant une période allant de 1988 à 2004, on a constaté une hausse de la prévalence de carence notoire, passant de 2 % à 6 %, alors que la prévalence de taux suffisants baissait de 45 % à 23 %24.
L’énigme des données scientifiques
La production de données probantes démontrant les effets sur la santé de la carence en vitamine D a été retardée et compliquée en raison d’une combinaison de multiples facteurs:
-
Le marché est un catalyseur de la recherche. Les marges de profits à réaliser dans la fabrication de la vitamine D sont faibles. Par exemple, on croit que certaines statines augmentent les taux de vitamine D25. L’administration de statines26 et les niveaux de vitamine D27 ont une corrélation inversement proportionnelle à la prévalence de la sclérose en plaques. Plusieurs études prospectives sur le dosage des statines dans le traitement de la sclérose en plaques ont été réalisées, constatant des résultats négatifs28 et positifs29; par ailleurs, jusqu’à présent, aucune étude sur le dosage de la vitamine D n’a été faite.
-
Le dosage est clairement important. Dans les premières études randomisées, on utilisait des dosages qui étaient probablement trop faibles pour montrer des bienfaits statistiquement significatifs30–32. De plus petites études subséquentes à l’aide de dosages plus élevés ont montré des résultats positifs, mais ont eu moins d’influence sur les résultats quand elles ont fait partie de méta-analyses. L’analyse des sous-groupes en vue de contrôler l’hétérogénéité des doses a fait valoir les avantages de doses plus élevées33.
-
Dans les études sur des sujets plus nombreux, on n’empêchait pas les sujets de prendre de la vitamine D de leur propre chef, ce qui a peut-être masqué les différences entre les groupes34.
-
Les suppléments alimentaires ont laissé croire que l’on prévenait la carence et qu’aucune autre étude plus approfondie n’était nécessaire35. Il a fallu du temps pour reconnaître les effets d’une insuffisance, menant à des maladies à longue latence.
-
Du calcium était souvent administré en même temps, ce qui pourrait avoir indépendamment influencé les événements cibles 36,37.
-
En dépit d’une multitude d’études épidémiologiques démontrant l’association entre de faibles taux de vitamine D et des maladies courantes (Tableau 2)27,38–45, il y a eu très peu d’études de suivi randomisées prospectives sur le dosage malgré les suggestions les recommandant27,46,47. Bien souvent, les données probantes ne sont pas allées au-delà de la formulation d’hypothèses.
Bienfaits éprouvés et potentiels des suppléments
Les conséquences de la carence en vitamine D ont été expliquées de manière exhaustive dans cette revue en 200748 et ont aussi fait l’objet de récentes synthèses et méta-analyses. Les bienfaits les plus reconnus sont résumés au Tableau 349–57.
Les avantages potentiels signalés dans des études épidémiologiques ou ceux sur lesquels les données probantes sont contradictoires dans les études de niveau I et II sont indiqués au Tableau 227,38–45. Bien qu’on ne puisse que prétendre que ces problèmes sont associés à de faibles taux de 25(OH)D, il y a des données convaincantes pour inciter à faire des études randomisées à plus large échelle.
Suppléments nécessaires pour obtenir des niveaux suffisants de vitamine D
Des données probantes de plus haut niveau donnent une certaine indication quant à l’apport nécessaire en vitamine D pour maintenir une bonne santé:
-
400 UI par jour sont suffisants pour prévenir le rachitisme chez les enfants et l’ostéomalacie chez l’adulte, mais pas assez pour atteindre des niveaux sériques adéquats de 25(OH)D1.
-
700 à 1 000 UI par jour représentent le minimum nécessaire pour réduire le risque de chutes chez les aînés53.
-
400 à 800 UI par jour sont le minimum requis pour réduire le risque de fractures chez les aînés51.
-
500 à 1 500 UI par jour réduisent la mortalité due au cancer et toutes causes confondues selon diverses études49,50,58.
-
2 000 UI par jour ont réduit l’incidence de diabète de type 1 chez les jeunes enfants56.
-
1 000 UI par jour sont nécessaires pour que 50 % des adultes atteignent des niveaux 25(OH)D au-dessus de 75 nmol/L (considérés comme suffisants)59.
-
2 000 UI par jour sont nécessaires pour que les taux de 25(OH)D se situent au-dessus de 75 nmol/L chez 85 % à 90 % de la population adulte59.
La Société canadienne de pédiatrie22 a exprimé des inquiétudes au sujet d’une insuffisance de vitamine D chez les enfants, en particulier ceux qui vivent à des latitudes nordiques, où le rachitisme continue d’être signalé. La Société fait aussi valoir que de plus fortes doses que celles actuellement recommandées pourraient être nécessaires pour les adolescents et les adultes afin de maintenir une masse osseuse adéquate, en particulier durant la grossesse. De récentes recommandations faites par le Food and Nutrition Board de l’Institute of Medicine des États-Unis sont présentées dans le Tableau 460. Selon les données scientifiques actuelles, ces doses ne semblent pas suffisantes61.
Évidemment, toute décision d’augmenter les doses doit prendre en considération la toxicité potentielle. Heureusement, la marge de manœuvre pour maintenir l’innocuité semble large: des études sur des suppléments allant de 4 000 à 10 000 UI par jour ne causaient pas d’augmentation du calcium sérique ou urinaire ni d’effets indésirables3,62,63. On a signalé une augmentation des calculs dans les voies urinaires dans 5,7 cas par 10 000 participantes dans l’étude du Women’s Health Initiative, en dépit de suppléments à faible dose. Cette conclusion pourrait refléter le fait que la population à l’étude prenait de fortes doses de calcium34,64. Cependant, nous pourrions nous attendre à une incidence légèrement plus forte de calculs dans une population dont le régime est riche en vitamine D. Maintenir une carence en vitamine D semble cependant une mauvaise stratégie pour prévenir la colique néphrétique.
Étant donné le ratio risques-avantages favorable, il semble raisonnable et assez conservateur de recommander de prendre un supplément de 1 000 à 2 000 UI par jour aux patients de plus de 1 an (Tableau 5). Les patients à risque plus élevé, comme les obèses, les malades chroniques ou les plus âgés, pourraient prendre 2 000 UI par jour 65,66.
Les patients qui présentent une carence ou une insuffisance auront besoin de plus fortes doses pour atteindre les niveaux normaux de 25(OH)D. Il faut des doses accrues pour atteindre la réplétion, mais il importe peu que ces doses soient administrées par jour, par semaine ou par mois67,68. Le régime le mieux étudié est de donner 600 000 UI de vitamine D2 (qui est 60 % moins disponible que la vitamine D3 à fortes doses)5,67,69 sur une période de 8 semaines. La vitamine D2 est disponible en capsule de 50 000 UI. L’administration pourrait donc se faire à raison de 3 capsules de 50 000 UI aux 2 semaines à 4 reprises avant de réduire à une dose suffisante pour maintenir les taux. Étant donné que la vitamine D3 est maintenant aussi disponible en capsules de 50 000 UI, une stratégie semblable pourrait être utilisée, à dose moins élevée. On pourra ensuite faire le suivi des taux sériques. D’autres stratégies sont évidemment possibles, notamment l’administration intramusculaire.
Options offertes aux professionnels de la santé
Deux approches existent pour prévenir les maladies: les stratégies individuelles ou populationnelles70. Les programmes axés sur la population, comme l’ajout de vitamine D dans les aliments ou la hausse des doses quotidiennes recommandées, apportent des bienfaits minimaux aux individus et sont très sensibles à des ratios risques-avantages étroits70. Avec un tel scénario, comme avec la vaccination, la réussite passe souvent sous silence. Par ailleurs, les programmes axés sur la population touchent l’étiologie de la maladie dans la population et revêtent une grande importance en santé publique.
Les récentes lignes directrices reflètent une acceptation graduellement grandissante de meilleurs suppléments. Les récentes recommandations de l’Institute of Medicine des États-Unis au sujet de l’apport en vitamine D60 faisaient valoir que la plupart des Américains et des Canadiens, jusqu’à l’âge de 70 ans, n’avaient pas besoin de plus de 600 UI de vitamine D par jour pour se maintenir en santé, et que ceux de 71 ans et plus pourraient en avoir besoin de 800 UI. Ces doses sont encore très conservatrices. Dans la synthèse de plus de 1 000 études, des chercheurs ont trouvé que d’abondantes données scientifiques confirmaient le rôle de la vitamine D dans la santé des os et, si de nombreuses études soulignent d’autres possibilités qui auraient besoin d’être étudiées plus en profondeur, ces études ont donné des résultats contradictoires et mixtes et n’offrent pas les données probantes nécessaires pour confirmer que la vitamine D a d’autres effets sur la santé. Le nouveau guide de pratique clinique canadien pour la prise en charge de l’ostéoporose71 recommande de plus grandes doses, soit un supplément systématique de 400 à 1 000 UI par jour pour les personnes à faible risque et jusqu’à 2 000 UI par jour pour celles à risque élevé.
Jusqu’à ce qu’on fasse d’autres recherches et qu’une stratégie populationnelle plus appropriée soit mise en œuvre, les médecins en cabinet peuvent utiliser une approche individuelle ou selon le cas et identifier les patients les plus susceptibles, selon l’anamnèse, d’avoir une carence en vitamine D. Ces personnes pourraient avoir besoin d’une thérapie pour combler cette carence, tandis que les autres pourraient envisager des suppléments de maintien. Le dépistage par mesure des niveaux sériques serait rarement nécessaire à moins que ce soit pour un suivi thérapeutique ou la motivation du patient. Une intervention avec des suppléments de 1 000 à 2 000 UI par jour comporte une large marge de sécurité et le potentiel d’améliorer la santé de la personne est probablement considérable21,59,66. Cette mesure serait provisoire pour protéger nos patients jusqu’à la mise au point d’une stratégie plus adéquate à l’échelle de la population.
Footnotes
-
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
-
This article is also in English on page 16.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
-
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada