Les comités d’éthique de la recherche (CER) sont probablement l’aspect le plus détesté des projets de recherche. Dans le présent numéro du Médecin de famille canadien, Kotecha et ses collaborateurs (page 1165)1 se joignent à un chœur de voix qui critiquent l’actuelle gouvernance de la recherche par les CER institutionnels. Dans leur article, ils décrivent les expériences vécues par le Réseau canadien de surveillance sentinelle en soins primaires pour obtenir une approbation sur le plan de l’éthique. Ils maintiennent que les délais causés par les CER nuisent à des programmes de recherche qui pourraient mieux nous renseigner sur les maladies chroniques. Ils recommandent la création d’un CER national centralisé, plus spécialisé, qui serait responsable des études multicentriques concernant la santé de la population.
Quoi de neuf?
Il n’y a pas grand chose de nouveau dans les expériences relatées par Kotecha et ses collègues1. De nombreuses études ont relevé certains des problèmes entourant les retards causés par les CER et l’incohérence dans le traitement des études multicentriques. Par exemple, Goodyear-Smith et ses collègues ont mis en évidence les différences internationales dans les exigences des comités d’éthique pour un même protocole dans 5 pays occidentaux en 20012. Pareillement, des expériences différentes selon l’endroit, au sein d’un même pays, pour obtenir l’approbation, sur le plan de l’éthique, d’études multicentriques ont été décrites exhaustivement par Maskell et ses collaborateurs.3 De fait, un éditorial sur l’étude par Maskell et ses collaborateurs a fait remarquer que les chercheurs avaient consacré 62 heures à photocopier 25 396 feuilles de papier pour répondre aux exigences de 51 comités locaux d’éthique de la recherche4. Whitney et Schneider5 ont récemment tenté de calculer la quantité de temps et les préjudices réels aux patients associés aux retards dus aux CER.
Ces récits viennent de chercheurs. Les personnes qui s’occupent de l’éthique de la recherche formulent aussi des critiques semblables. Par exemple, Jerry Menikoff, directeur de l’Office of Human Research Protections aux États-Unis, exprime un intéressant point de vue dans le New England Journal of Medicine, dans un éditorial intitulé «The paradoxical problem with multi-IRB review», dans lequel il justifie la centralisation de la révision sur le plan de l’éthique6. Dans un commentaire publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), Christine Grady, qui travaille au département de la bioéthique des National Institutes of Health, se demande si les comités institutionnels d’examen (CIE) protègent réellement les sujets humains. Elle dit que, jusqu’à présent, aucune étude publiée à sa connaissance n’a évalué l’efficacité des CIE pour protéger les participants à des projets de recherche et que très peu d’analyses ont examiné la nature, la qualité ou la rigueur des délibérations des CIE7. Un scientifique mentionnait que des CIE avaient nui à la carrière d’étudiants, reculé le moment de la titularisation de certains, et émoussé l’essence de nombreuses traditions intellectuelles. Aux prises avec des exigences qui frisent l’impossible, les professeurs et les étudiants sont devant un sombre choix: faire des recherches novatrices dans leurs domaines ou répondre aux exigences de leurs CIE, disait-il7.
En 2007, Norman Fost et Robert J. Levine8, experts renommés en éthique de la recherche, affirmaient que les exigences inflexibles pour se conformer à des interprétations étroites de chaque mot dans la règlementation et les autres politiques ont abouti en un système qui se préoccupe davantage de protéger l’institution que de protéger les participants à la recherche sur des sujets humains. Ils ont ajouté que le coût du système augmentait sans qu’il y ait de preuve évidente d’un rendement sur l’investissement en ce qui a trait à la protection des patients et des autres participants à la recherche.
Responsables des délais
En tant que titulaire d’une chaire de recherche du Canada, j’ai envoyé de nombreux protocoles à des CER et je suis donc au fait des difficultés et des problèmes associés aux CER. Par ailleurs, je ne suis pas complètement sûr que le CER soit le segment d’un projet de recherche le plus capricieux et le plus exigeant sur le plan du temps. En fait, même si je suis d’accord avec bon nombre des plaintes à l’endroit des CER, il nous faut vraiment prendre du recul et examiner comment améliorer le processus complet de l’examen de la recherche. Selon moi, il y a 3 principaux éléments dans l’examen de la recherche:
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la demande de subvention, l’examen et l’approbation;
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la présentation au CER, l’examen et l’approbation;
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la soumission du manuscrit et l’acceptation à des fins de publication.
D’abord, il est intéressant de noter que, selon les données publiées disponibles du moins, l’étape qui nécessite le moins de temps est, en réalité, celle du CER. Deuxièmement, il est évident que les revendications et les arguments concernant l’incohérence des comités d’éthique de la recherche s’accompagnent en parallèle de préoccupations semblables entourant le caractère arbitraire et le manque de normalisation des examens réalisés tant pour les subventions que pour la publication. Le fait de cibler les CER autant que nous le faisons sans tenir compte de l’écologie globale de l’entreprise de la recherche, et de revendiquer des améliorations semblables à chaque élément, est très injuste pour l’élément le moins compris, le moins appuyé et le moins valorisé.
Je me demande, par exemple, combien de temps il a fallu à Kotecha et à ses collaborateurs1 pour faire publier leur article. À combien de revues l’ont-ils présenté et combien de temps le processus a-t-il duré de la présentation initiale à la publication finale? Il est intéressant que Richard Smith, ancien rédacteur en chef du British Medical Journal, ait récemment affirmé que l’examen par des pairs préalable à la publication est basé sur la confiance plutôt que sur des données probantes. Il expliquait qu’il y avait une montagne de preuves de l’échec de la révision par des pairs; c’est lent, coûteux, largement une loterie, médiocre à détecter des erreurs et la fraude, contre l’innovation, partial et sujet aux abus9. Hopewell et ses collaborateurs10 ont examiné le temps écoulé jusqu’à la publication des résultats de 196 études cliniques et ont trouvé que seulement un peu plus de la moitié avaient été publiées en entier. Les études dans lesquelles les résultats étaient positifs ont été publiées après 4 ou 5 ans environ et celles ayant des résultats nuls ou négatifs, après 6 à 8 ans.
De même, il existe des données probantes voulant que le cycle d’octroi des subventions prenne beaucoup de temps. Le cycle de financement par les National Institutes of Health est d’en moyenne 27 mois et les taux de réussite sont faibles11. Une synthèse critique par Cochrane, qui examinait la révision par des pairs comme façon d’améliorer la qualité des subventions, concluait qu’il y a peu de données empiriques démontrant que la critique par des pairs influence l’octroi de subventions12. Autrement dit, sur toute la ligne, rien ne prouve les avantages d’un examen, qu’il s’agisse de la demande de subvention, de l’examen sur le plan de l’éthique ou de la publication.
Dans la présente étude, (bien qu’aucune donnée sous forme de tableau ne montre de manière simple le temps moyen et le taux d’approbation dans chaque centre), le délai le plus long était de près d’une année1. Des études semblables sur le rendement des CER indiquent un délai de réponse moyen en termes de mois13. De nombreux CER ne publient pas systématiquement leurs statistiques sur le délai d’approbation, quoiqu’on ait tendance maintenant à en faire une pratique courante. Qu’à cela tienne, ce n’est pas nécessairement le CER qui est responsable des retards. Les chercheurs omettent parfois de fournir la documentation requise et, bien souvent, ne répondent pas rapidement aux questions soulevées par les CER.
Aucune solution universelle
Durant ma vie professionnelle, j’ai participé à tous les éléments de l’examen de la recherche. En tant que chercheur, et à titre de président et de membre de CER, j’ai souvent des doutes quant à savoir qui est coupable du plus grand tort: le chercheur ou le CER? Je crois qu’il y a de bons arguments contre la centralisation, et la recommander comme solution universelle à tous les problèmes ne règle pas les questions d’interprétation. Même si elle réduirait le nombre d’interprétations possibles, elle ne fait rien pour garantir une interprétation moins capricieuse des documents d’orientation.
Nos pairs dans la critique par des pairs
Je vais terminer par une requête spéciale. Je crois qu’une partie des critiques et du venin lancés aux CER vient du fait que leurs membres ne sont pas considérés comme des pairs. Même si certaines plaintes sont exprimées à propos des examens de demandes de subventions et de la critique d’articles par des pairs, les chercheurs considèrent majoritairement que ces procédures font partie du processus et les jugent nécessaires pour se faire la cuirasse dont a besoin un bon chercheur. Personne n’oserait affirmer dans une revue réputée comme JAMA que la critique préalable ou un examen par des pairs d’une demande de subvention émousse les traditions intellectuelles. De fait, la critique par des pairs est considérée essentielle à la méthodologie scientifique.
C’est précisément là le problème. Les chercheurs ne considèrent pas les interactions avec le CER comme si elles étaient une critique par des pairs. C’est-à-dire, en quelque sorte, que les membres d’un CER ne font pas partie de la même tribu. De là vient ma suggestion initiale: ne demandez pas ce que votre CER peut faire pour vous, mais bien ce que vous pouvez faire pour votre CER.
De nombreuses solutions novatrices pourraient améliorer le rendement des CER. Il est évident qu’il doit s’améliorer. L’une des façons serait que les chercheurs participent eux-mêmes au sein de CER. Les chercheurs qui ont siégé à des CER rapportent des expériences plus positives avec les CER que ceux qui ne l’ont pas fait14. En réalité, selon l’Énoncé de politique des trois Conseils15, seulement un des membres du CER est un éthicien. Les autres sont avocats, experts en la matière, scientifiques ou membres du public. Nous devons récompenser la participation et les contributions aux comités de l’éthique de la recherche, et leur accorder le même prestige de citoyenneté scientifique que le fait d’être membre d’un panel d’examen par des pairs de demandes de subventions ou que la révision de manuscrits pour des revues de grande qualité. Les données probantes font valoir que tous les éléments du processus de la recherche ont besoin d’améliorations. J’espère que nous verrons bientôt des éditoriaux dans JAMA et le New England Journal of Medicine décriant le caractère arbitraire et les caprices des critiques d’articles à publier et des examens de demandes de subventions. Peut-être pourrons-nous alors aller de l’avant de manière constructive sans singulariser un seul élément de la recherche comme étant déficient.
Footnotes
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This article is also in English on page 1113.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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