Si on laisse s’effriter les murs de la fondation et qu’on enlève des piliers de soutien essentiels, la structure finira éventuellement par s’effondrer. Il ne devrait donc pas être surprenant que le système de santé canadien ait commencé à vaciller durant les années 1990, parce que sa fondation, les soins primaires, a été affaiblie par plus de 2 décennies de négligence. Comment cela s’est-il produit? Aisément. L’arrogance et la complaisance nourries par la croyance que notre système de santé était le meilleur au monde ont fait en sorte que le monde médical, les décideurs gouvernementaux, les politiciens et la population ont détourné les yeux tandis que l’infrastructure des soins primaires s’affaiblissait grandement.
Puis l’alarme s’est mise à sonner1.
Un plus grand nombre de finissants en médecine ont commencé à choisir d’autres spécialités que la pratique familiale. Après des années d’université et plusieurs milliers de dollars d’endettement, pourquoi devenir médecin de famille et être incapable de payer ses factures? Par la suite, le premier contact d’un patient avec le système médical s’est fait de plus en plus dans les urgences et les cliniques sans rendez-vous parce que les Canadiens ne pouvaient pas se trouver de médecin de famille. Quand 4 millions de Canadiens ont été incapables de se trouver un médecin, les politiciens ne pouvaient plus se permettre l’inaction2. Mais leur solution de dépenser simplement plus d’argent n’était pas viable.
Des rapports internationaux de groupes comme le Fonds du Commonwealth, basé aux États-Unis, ont démontré que le Canada perdait du terrain dans la liste des pays industrialisés offrant des soins primaires de grande qualité. Les pays qui avaient soutenu et amélioré leur base de soins primaires nous dépassaient allègrement - et le faisaient avec bien moins d’argent3,4.
Détournement des ressources
En raison de la rareté des mesures décentes du rendement dans le secteur des soins primaires, le débat public s’est concentré davantage sur ce qui se passait dans notre système hospitalier. Par conséquent, les ressources pour la fondation de notre système de santé ont été détournées vers les hôpitaux et les spécialités, vers les sujets «sexy» que les médias allaient étaler à la une des journaux: temps d’attente, engorgement des urgences, greffes. Les gouvernements ont agrandi les urgences et financé un plus grand nombre de spécialistes, tandis que les soins primaires continuaient à se désagréger.
Ce détournement était mal avisé. Simplement dit, moins de personnes auraient besoin d’interventions comme la chirurgie cardiaque ou le remplacement d’une hanche si d’excellents soins primaires étaient dispensés. Ce n’est pas en quadruplant la taille des urgences et en ne dépensant presque rien dans les secteurs des soins primaires qu’on règlera les problèmes. Soigner des gens à l’urgence qui pourraient être traités en milieu de soins primaires coûte bien plus cher, et la qualité des soins n’est pas aussi bonne. La recherche internationale démontre que les pays qui attendent que leur secteur des soins primaires fonctionne bien avant d’investir dans le reste de leur système de santé obtiennent de meilleurs résultats: leurs citoyens vivent plus longtemps et mieux.
Quand le Canada a finalement atteint le bas de la liste - ainsi que les États-Unis - en ce qui a trait à la qualité des soins primaires au sein des pays industrialisés5, tout le monde pouvait enfin voir ce qui se passait. La population en avait ras le bol et le gouvernement s’est rendu compte que le statu quo était impensable.
Nous devons maintenant restaurer l’équilibre dans le système. Les spécialistes ne peuvent pas être spécialistes sans qu’il y ait de médecins de famille accessibles pour soigner les patients en tant que personnes complètes. Les systèmes de santé ne peuvent tout simplement pas fonctionner sans la fondation solide et stable des soins primaires.
Le jeu du rattrapage
Des efforts sont déployés pour rattraper nos homologues internationaux. En réalité, une transformation s’impose. Au cours de la dernière décennie, des centaines de millions de dollars ont été investis au Canada dans la réforme du secteur des soins primaires, allant des dossiers médicaux électroniques aux changements dans les modes de rémunération des médecins de famille, en passant par la formation d’équipes multidisciplinaires et les obligations en matière d’imputabilité. Mais, l’argent a-t-il été dépensé de manière avisée? La seule façon de le savoir, c’est par la recherche - étudier les effets du financement accru, comparer les résultats d’une compétence à l’autre et examiner les données sur les résultats pour les patients.
En 2008, l’éminente chercheuse américaine, Dre Barbara Starfield, faisait remarquer que le Canada semblait avoir perdu sa détermination à renforcer les soins primaires et que ce manque d’action s’expliquerait par des investissements insuffisants en recherche et en évaluation des soins primaires. Elle ajoutait que le Canada était probablement en retard d’au moins 10 ans à ce chapitre6.
Heureusement, on s’attaque aussi à ce problème: les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) ont contracté un sérieux cas de «soins primairites». En janvier 2010, l’Institut des services et des politiques de la santé des IRSC a rassemblé des chercheurs, des professionnels de la santé, des administrateurs et des décideurs dans le cadre d’un sommet de 2 jours pour discuter de l’état de la recherche en soins de santé primaires nationalement et internationalement, et explorer des modèles novateurs qui pourraient s’appliquer au Canada. Les IRSC approuvaient 1 an plus tard une initiative de recherche, échelonnée sur 10 ans, à l’appui de la prestation de soins de santé primaires communautaires de grande qualité partout au Canada7. Elle a pour objectifs de produire des données scientifiques solides sur les soins de santé primaires, de bâtir de nouvelles capacités de recherche et d’amener les décideurs à tenir davantage compte des données issues de la recherche. Dans le contexte de cette initiative, les IRSC annonceront bientôt un financement de 60 millions de dollars pour la recherche multisectorielle et interdisciplinaire sur les soins de santé primaires et l’édification des capacités (IRSC, communication verbale, juillet 2011). Cette somme est plus importante que le montant cumulatif dépensé dans le secteur des soins primaires par les IRSC depuis leur création en 2000.
Aller de l’avant
Dans les mois qui viennent, de nouvelles possibilités s’offriront dans le cadre de la Stratégie de recherche axée sur le patient (SRAP) des IRSC, un plan d’action visant à améliorer l’environnement et l’infrastructure de recherche, à établir des mécanismes pour former et encadrer les professionnels de la santé et les non-cliniciens, à renforcer le soutien aux études multicentriques sur les plans organisationnel, règlementaire et financier, et à repérer les pratiques exemplaires en soins de santé. La recherche sur les soins de santé primaires est l’un des 2 domaines prioritaires visés par la SRAP.
En prévision du concours de la SRAP, des chercheurs canadiens en soins de santé primaires se sont regroupés pour créer un réseau canadien de recherche en soins de santé primaires (RCRSSP), dont le lancement officiel a eu lieu le 3 octobre 2011 à Edmonton, en Alberta, lors de la conférence Accelerating Primary Care. En coordonnant et en alimentant les efforts multidisciplinaires de recherche en soins de santé primaires au pays, le RCRSSP améliorera la qualité, l’accessibilité et la rentabilité du système de santé canadien. Ces efforts seront renforcés par de solides partenariats entre le RCRSSP et les chercheurs internationaux, toutes les disciplines des soins de santé primaires au Canada, les décideurs gouvernementaux, l’industrie, les conseils de la qualité, les organismes de financement de la recherche, les organisations de bienfaisance du secteur de la santé et les patients.
Comme le microscope s’est révélé miraculeux pour comprendre les maladies infectieuses, les outils modernes de la technologie de l’information et les nouvelles techniques analytiques nous permettront de comprendre ce qui explique l’efficacité des soins de santé primaires et nous révéleront ce qu’il faut pour améliorer la qualité et la rentabilité de l’ensemble du système de santé.
Nous pouvons maintenant faire des liens entre les données obtenues des dossiers des patients et des dossiers médicaux électroniques dans les pratiques communautaires de soins primaires au pays et les bases de données administratives provinciales et nationales. Nous avons enfin les outils et les ressources pour faire avancer notre discipline, raffermir les assises du fondement des soins de santé au Canada et rebâtir notre système de soins de santé au Canada. Avec le temps, nous rattraperons nos homologues internationaux et nous reprendrons notre rang de leaders mondiaux des soins primaires.
Acknowledgments
Je remercie la réviseure pigiste Joan Ramsay, d’Ottawa, pour son aide dans la rédaction de cet article.
Footnotes
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This article is also in English on page 1121.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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