Les 5 patients suivants arrivent à divers moments durant votre quart de travail à l’urgence d’un hôpital communautaire.
Le patient A est un homme de 65 ans qui se présente avec de la nausée, des vomissements et de la confusion.
La patiente B est une femme de 73 ans qui a eu un essoufflement soudain, des expectorations rosées et de fortes douleurs thoraciques.
Le patient C est un homme de 56 ans qui a de vives douleurs déchirantes à la poitrine et au dos.
La patiente D est une femme de 64 ans qui souffre d’une faiblesse au côté droit depuis 6 heures.
La patiente E est une femme de 51 ans qui a un léger mal de tête et s’inquiète de ses antécédents d’hypertension.
Il est intéressant de constater que les signes vitaux des 5 patients sont tous identiques: la fréquence cardiaque de 100 battements/minute, la tension artérielle (TA) de 209/105 mm Hg, une fréquence respiratoire de 20 respirations/minute et une température de 36,9°C. Chaque fois, l’infirmière se dit inquiète de la TA élevée. Lesquels de ces 5 patients ont besoin d’un traitement urgent de l’hypertension?
Discussion
Une TA manifestement élevée est une source d’anxiété, non seulement pour les patients, mais aussi pour les médecins et les infirmières qui les soignent. Par ailleurs, même avec de grandes fluctuations dans la TA, les mécanismes normaux d’autorégulation du corps maintiennent une pression de perfusion relativement constante vers les organes vitaux (Figure 1)1. Quand devons-nous intervenir et envisager d’abaisser la TA du patient de manière urgente?
Autorégulation déficiente dans le cerveau ischémique: La TAM par rapport au DSC par rapport à l’ischémie
DSC—débit sanguin cérébral, TAM—tension artérielle moyenne
Adapté de Varon and Marik1
On définit une urgence hypertensive comme une décompensation rapide et progressive de la fonction d’un organe vital causée par une augmentation inappropriée de la TA. Elle ne se définit pas par un chiffre spécifique, mais plutôt par une manifestation évidente d’une dysfonction aiguë dans les systèmes cardiovasculaire, neurologique ou néphrologique.
S’il y a dysfonction d’un organe cible, un traitement urgent par médication parentérale est indiqué. De nombreuses classes de médicaments peuvent être utilisées, toutes ayant un mécanisme d’action différent (Tableau 1). Le médicament de première intention pour chaque urgence hypertensive doit cibler la dysfonction de l’organe spécifique en cause. Quelque soit le médicament que vous choisissez, le but visé est une baisse contrôlée de la tension artérielle moyenne (TAM) sur une période de quelques heures2. Il faut seulement faire revenir la TA à un niveau où l’autorégulation restaure une perfusion normale vers les organes vitaux, et non pas atteindre des niveaux de TA «normaux».
Médicaments de première intention pour les urgences hypertensives
Dans chacun des scénarios suivants, pensez à 2 questions: Faut-il traiter d’urgence la TA de ce patient? Dans l’affirmative, quel est le plan thérapeutique optimal?
Patient A : homme de 65 ans, ayant de la nausée, des vomissements et de la confusion. Le patient n’est pas coopératif et a un niveau de conscience altéré. L’examen physique révèle un œdème papillaire, mais pas de déficit neurologique focal évident.
L’encéphalopathie hypertensive est une présentation grave de la dysfonction d’un organe. L’autorégulation cérébrale est surchargée, causant une combinaison de vasodilatation, d’œdème et de pression intracrânienne plus élevée. Sur le plan clinique, les patients présentent une céphalée, des changements dans la vision, de la nausée et des vomissements. Ils peuvent se plaindre de déficits neurologiques non focaux transitoires et qui se déplacent et peuvent progresser vers l’épilepsie et le coma.
Une réduction contrôlée de la TA entraîne une amélioration rapide des symptômes neurologiques. Des vasodilatateurs purs comme le nitroprussiate présentent théoriquement des risques d’un shunt intracrânien qui pourrait augmenter la pression intracrânienne. Le labétalol permet une réduction mesurée par bolus titré ou au goutte à goutte continu. Il faut un monitoring du patient en unité de soins intensifs et une investigation des autres causes possibles de l’encéphalopathie si l’état ne s’améliore pas rapidement.
Médicament de première intention: Labétalol intraveineux, bolus ou perfusion.
Objectif: Réduire la TAM de 20 % à 25 % sur une période de 2 à 8 heures.
Patiente B: femme de 73 ans avec essoufflement soudain, expectorations rosées et fortes douleurs thoraciques. La patiente B a de la difficulté à s’exprimer en phrases complètes. L’examen physique révèle des râles crépitants bilatéraux aux poumons, une pression élevée de la veine jugulaire et aucun souffle au cœur. Un électrocardiogramme montre des signes d’hypertrophie mais aucun changement ischémique aigu.
À l’encontre d’un choc cardiogénique primaire, l’œdème pulmonaire aigu se présente souvent avec une hypertension extrême qui surcharge la réserve cardiaque. Ces patients ont besoin d’une prise en charge urgente de la TA élevée pour réduire la précharge et la postcharge cardiaque.
La vasodilatation au moyen de nitroglycérine est le traitement de première intention dans les cas d’œdème pulmonaire aigu. Elle réduit principalement la précharge et diminue la charge de travail du cœur. De la nitroglycérine intraveineuse au goutte à goutte peut rapidement être titrée jusqu’à l’atteinte de critères d’évaluation numériques et symptomatiques. Des vaporisations répétées de nitroglycérine sous la langue peuvent aussi être efficaces. De plus, l’utilisation aiguë d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine est appropriée pour réduire la postcharge et améliorer le débit cardiaque3. Ce n’est qu’après la mise en œuvre de ces mesures et qu’on ait commencé la ventilation à pression positive qu’on peut envisager des diurétiques de l’anse. Le furosémide a peu d’effets dans la phase initiale et émergente jusqu’à ce que le contrôle de la TA réduise le stress exercé sur le cœur.
Médicament de première intention: Perfusion de nitroglycérine; énalaprilat intraveineux ou captopril sublingual.
Objectif: Réduire la TAM de 20 % à 25 % et améliorer les symptômes.
Patient C: homme de 56 ans qui a de vives douleurs déchirantes à la poitrine et au dos. Les douleurs du patient C ont commencé soudainement et il se plaint de faiblesse et de paresthésie au bras gauche. L’examen physique révèle des TA différentielles et la manifestation d’un nouveau souffle d’insuffisance aortique.
La dissection aortique est largement une maladie de l’hypertension. Une augmentation soudaine de la TA et de la fréquence cardiaque se combinent pour créer un stress de cisaillement qui déchire le feuillet interne de l’aorte. La déchirure se propage le long de l’aorte, causant une douleur migrante, des symptômes neurovasculaires (p. ex. occlusion d’une branche vasculaire, embolie) ou la mort subite (p. ex. tamponnade du cœur, rupture de l’aorte). Le diagnostic exige un fort degré de suspicion et une imagerie d’urgence (p. ex. tomographie assistée par ordinateur, imagerie par résonnance magnétique, échocardiographie transœsophagienne)4.
Le traitement d’une dissection aortique exige de stabiliser simultanément la TA et la fréquence cardiaque pour contrôler le stress de déchirure. À l’encontre du traitement des autres urgences hypertensives, il faut dans ce cas réduire rapidement la TA, à moins qu’il y ait manifestation d’une hypoperfusion. Le nitroprussiate agit rapidement et procure à la fois une dilatation veineuse et artérielle. Il faut d’abord stabiliser la fréquence cardiaque avec des β-bloqueurs pour éviter une tachycardie réflexe qui ferait se propager la dissection. Autrement, le labétalol, avec ses propriétés alpha-bloquantes et β-bloquantes, est une option relativement conviviale pour contrôler simultanément la fréquence cardiaque et la TA.
Médicament de première intention: Perfusion de nitroprussiate ou d’esmolol; bolus ou perfusion de labétalol.
Objectif: Réduire rapidement la TA systolique à 110 mm Hg s’il n’y a pas de manifestation d’hypoperfusion.
Autres lectures et ressources
Pour les médecins
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Marik PE, Varon J. Hypertensive crisis challenges and management. Chest 2007;131(6):1949–62.
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Decker WW, Godwin SA, Hess EP, Lenamond CC, Jagoda AS; American College of Emergency Physicians Clinical Policies Subcommittee (Writing Committee) on Asymptomatic Hypertension in the ED. Clinical policy: critical issues in the evaluation and management of patients with asymptomatic hypertension in the emergency department. Ann Emerg Med 2006;47(3):237–49.
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American Heart Association Scientific Statement. Calhoun DA, Jones D, Textor S, Goff DC, Murphy TP, Toto RD et collab. Resistant hypertension: diagnosis, evaluation and treatment. Hypertension 2008;51:1403. Accessible à: http://hyper.ahajournals.org/cgi/content/full/51/6/1403.
Pour les patients
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Fondation des maladies du cœur [site web]. My blood pressure action plan. Ottawa, ON: Fondation des maladies du cœur; 2011. Accessible à: http://heartandstroke.ca/hs_bp2.asp?media=bp.
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Hypertension Canada [site web]. Hypertension: public recommendations. Calgary, AB: Hypertension Canada; 2010. Accessible à: http://hypertension.ca/bpc/resource-center/educationa;-tools-for-health-care-professionals.
Patiente D: femme de 64 ans souffrant d’une faiblesse au côté droit depuis six heures. La patiente D est aphasique et incapable de marcher. À l’examen physique, on remarque une hémiplégie marquée du côté droit.
Les ACV hémorragiques et emboliques peuvent être associés à une TA considérablement élevée. Dans l’un ou l’autre cas, le cerveau endommagé dévie la courbe d’autorégulation cérébrale à la droite. Ainsi, une TAM plus élevée est essentielle pour maintenir une circulation sanguine cérébrale suffisante pour ne pas élargir le territoire affecté par l’ACV. Par conséquent, il ne faut pas abaisser la TA durant la période aiguë, sauf dans des cas extrêmes (p. ex. TA > 220/120 mm Hg dans les accidents vasculaires cérébraux emboliques ou de > 180/100 mm Hg dans les accidents vasculaires cérébraux hémorragiques)5. Si une prise en charge aiguë de l’hypertension est nécessaire, il faut faire attention et réduire la TA graduellement et seulement un peu audessous de ces niveaux.
Et si elle était venue à l’urgence dans les 2 heures suivant l’apparition des symptômes? La thrombolyse des ACV emboliques est contre-indiquée en présence d’hypertension extrême en raison du risque accru d’hémorragie. Les guides de pratique actuels sur les ACV permettent des tentatives de réduire la TA de manière aiguë à 185/110 mm Hg avant le traitement et de maintenir la TA à moins de 180/105 mm Hg après le traitement thrombolytique5.
Médicament de première intention: Labétalol; nicardipine; hydralazine.
Objectif: Si aucun thrombolytique n’est administré, il faut réduire la TA seulement si elle est de plus de 220/120 mm Hg (embolique) ou de plus de 180/100 mm Hg (hémorragique); si un thrombolytique est administré, on réduit la TA à 180/105 mm Hg avant le traitement et à 180/100 mm Hg après le traitement.
Patiente E: femme de 51 ans avec un léger mal de tête et inquiète de ses antécédents d’hypertension. Sans manifestation évidente de la dysfonction d’un organe, le traitement aigu de l’hypertension à l’urgence devrait être évité. L’hypertension de réaction (p. ex. douleur, anxiété) se règle habituellement par la prise en charge du stimulus déclenchant. Ceux qui font de l’hypertension chronique, connue ou non diagnostiquée, pourraient avoir dévié leur courbe d’autorégulation vers la droite, tolérant une TAM de base plus élevée. Ces patients ont besoin d’une réduction graduelle de la TA sur une période de temps en clinique externe et on devrait leur conseiller de voir leur médecin de première ligne habituel. Les patients qui ont une TA élevée de manière aiguë et persistante à l’urgence et présentent des manifestations de dommages à un organe (hypertrophie ventriculaire gauche, protéinurie ou taux de créatinine élevés, rétinopathie, etc.) sans qu’il y ait dysfonction devraient faire l’objet d’un suivi plus urgent par leur propre médecin ou dans une clinique locale de l’hypertension. Par ailleurs, la réduction immédiate de la TA avant le congé de l’urgence pose des risques d’hypoperfusion et on ne devrait y procéder qu’avec prudence6,7.
Conclusion
Les cas d’hypertension sont fréquents à l’urgence, mais les véritables urgences hypertensives sont plus rares. Les médecins devraient chercher des manifestations évidentes de la dysfonction aiguë d’un organe, plutôt que de se concentrer sur les chiffres spécifiques. L’objectif du traitement devrait être une réduction contrôlée de la TA avec des agents par voie parentérale pour éviter de causer des dommages à ceux que nous essayons d’aider. Il faut assurer le suivi de tous les patients hypertendus qui ne sont pas admis à l’hôpital pour s’occuper des complications à long terme.
Notes
POINTS SAILLANTS
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Les urgences hypertensives se définissent par une manifestation évidente de la dysfonction d’un organe vital donné et non pas par des chiffres spécifiques.
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Les médecins doivent tenir compte des risques et des bienfaits d’un abaissement de toute urgence de la tension artérielle selon le scénario particulier du patient.
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Il existe de nombreuses classes de médicaments antihypertenseurs. Il faut en choisir un qui cible la dysfonction de l’organe spécifique en cause.
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Il est conseillé de faire le suivi de tous les patients hypertendus qui ne sont pas admis à l’hôpital pour un contrôle à long terme et une évaluation des risques.
Cas d’urgence est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par les membres du Comité du programme de médecine d’urgence du Collège des médecins de famille du Canada. Cette série explore les situations que vivent couramment les médecins de famille qui exercent la médecine d’urgence dans le cadre de leur pratique en soins primaires. Veuillez faire parvenir vos suggestions d’articles futurs à Dr Robert Primavesi, coordonnateur de Cas d’urgence à robert.primavesi{at}mcgill.ca.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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This article is also in English on page 1137.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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