En 1849, le pathologiste allemand Rudolf Virchow, considéré comme le père de la pathologie moderne, a présenté un rapport qui a abasourdi le monde médical. Son rapport, produit à la demande du gouvernement prussien de faire enquête sur une épidémie de typhus en Haute-Silésie, un milieu rural pauvre peuplé de personnes d’origine polonaise, préconisait l’adoption de 4 recommandations «radicales»: la déclaration du polonais comme langue officielle, l’autonomie gouvernementale démocratique, la séparation de l’Église et de l’État et la création de coopératives agricoles1.
Plus de 150 ans plus tard, des médecins comme Paul Farmer, un partisan de la théologie de la libération et pionnier du traitement de la tuberculose dans la communauté, et le médecin canadien, James Orbinski, récipiendaire du Prix Nobel de la Paix en tant que président de Médecins Sans Frontières, continuent cette tradition. Les médecins peuvent avoir un effet transformationnel sur la santé de la société sans se servir de leur stéthoscope ou de leur scalpel. Mais, en tant que résidents, nos programmes de formation nous préparent-ils à réaliser un tel potentiel?
En juin 2009, le Collège des médecins de famille du Canada a adopté le rôle de promoteur de la santé comme l’un des 7 rôles du cadre de compétences CanMEDS-Médecine familiale pour les médecins. Il se définit comme suit: «les médecins utilisent leur expertise et leur influence de façon responsable pour promouvoir la santé et le mieux-être des patients, des collectivités et des populations»2. Tous les programmes postdoctoraux au pays ont maintenant adopté cette compétence. Même s’il faisait partie intégrante des 4 principes de la médecine familiale3, le rôle de promoteur de la santé n’a jamais été défini aussi explicitement. En tant que médecins de famille, nous voyons les patients vivre leur vie, faire face aux problèmes d’accès aux services de santé, et souffrir des conséquences économiques et sociales d’une mauvaise santé. Nous avons une perspective plus globale de ce que signifie la santé et nous occupons une position privilégiée pour préconiser des changements systémiques. Pourtant, dans la formation médicale, les résidents se demandent souvent comment ils peuvent mieux perfectionner les habiletés nécessaires pour accomplir des changements. De même, les enseignants s’efforcent d’inculquer des connaissances sur la promotion de la santé et de donner une formation créative et efficace.
Face à un tel défi, de nombreux résidents se questionnent sur la façon d’être de bons promoteurs de la santé devant une apparente lacune dans la formation. Combien de fois les départements encouragent-ils les stagiaires à entreprendre des initiatives de promotion de la santé et offrent-ils du temps protégé pour ce faire? Identifions-nous des problèmes communautaires et les relions-nous à des gestes concrets? Nous sommes des ressources auprès de nos collectivités, mais dans nos départements universitaires, participons-nous à des campagnes pour retirer les distributrices des écoles? Il va sans dire qu’il y a des résidents qui agissent effectivement comme des promoteurs de la santé, mais ce travail est-il bien encouragé durant la résidence? Il est essentiel de reconnaître de telles habiletés dans les évaluations du rendement et d’intégrer des possibilités de promotion de la santé dans le programme de résidence pour développer cette compétence et favoriser une culture plus généralisée de promotion de la santé.
Sur le plan international, certains programmes de formation utilisent diverses stratégies pour favoriser l’expertise en promotion de la santé et du mieux-être des collectivités. Au Wisconsin, dans le programme de pratique familiale de St. Luke, chaque résident est appelé à élaborer un projet d’amélioration de la santé communautaire. Reconnaissant que le manque d’alphabétisation contribue à la pauvreté et à un mauvais état de santé, un résident a mis sur pied une intervention dans laquelle les résidents lisent avec leurs patients pédiatriques à chaque visite et leur remettent un livre à rapporter à la maison4. La Faculté de médecine latino-américaine de Cuba a un programme d’enseignement axé sur les besoins des personnes vulnérables. Les médecins enseignants agissent comme modèles que les étudiants peuvent imiter, et s’inspirent de leurs expériences du service dans les communautés marginalisées en Amérique latine et en Afrique. Les étudiants sont aussi exposés aux principes de la santé des populations et de la prévention, et l’on consacre à la santé publique 17 % de toutes les heures de cours en classe5.
Au Canada, le programme de pédiatrie à l’University of Toronto (Ontario), est l’un des premiers chefs de file à ce chapitre. Les résidents ont entrepris des projets communautaires de promotion de la santé auprès des enfants, réalisés à la suite de recherches documentaires et de groupes de discussion avec les enseignants et les patients. Ceux-ci prennent concrètement la forme d’ateliers sur la nutrition et les premiers soins6. Les étudiants en médecine à la Queen’s University à Kingston (Ontario), organisent une conférence annuelle sur la santé et les droits de la personne, comportant des discussions sur l’avenir des soins de santé au Canada et le non-respect des droits de la personne7. Les changements institutionnels n’en sont qu’à leurs premiers pas et, même s’il peut être tentant de ne pas aller plus loin lorsque les responsables de l’agrément sont satisfaits, il ne faut pas arrêter ces changements. Il ne faut pas considérer la promotion de la santé comme un projet secondaire. Les stagiaires doivent développer leurs habiletés par des expériences vécues à travailler à apporter des changements dans les causes qui les touchent personnellement. Si l’on crée l’espace voulu pour un tel travail durant la résidence, la possibilité de croissance professionnelle grâce à l’appui de mentors et de pairs est immense.
Même s’il est vrai que tous les stagiaires exposés à une expérience de promotion de la santé ne se sentiront pas nécessairement obligés de continuer dans cette direction à l’avenir, il est important de reconnaître le potentiel de ceux qui le font. Les ressources nécessaires, un corps professoral dévoué et l’engagement à l’endroit de programmes de grande qualité pour ceux qui choisissent de développer de telles habiletés peuvent créer une génération de médecins chefs de file dans la tradition de Rudolph Virchow. Trouver des leaders qui ont pour vision d’orienter le changement est un défi que chaque programme de résidence doit relever. Munis des bons outils et de la motivation à renforcer les communautés, nous pouvons aujourd’hui former les leaders qui seront à l’avant-garde du changement social de demain.
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