Permettez-moi de vous révéler le secret qui m’a conduit à atteindre mon but. Ma force repose uniquement sur ma ténacité.
Louis Pasteur
L’édition de revues médicales demeure un processus lent et difficile, comme l’a si bien documenté l’ancien rédacteur en chef du British Medical Journal (BMJ), Richard Smith1, et Le Médecin de famille canadien n’échappe pas aux mêmes aléas que les plus grandes revues comme le BMJ. Au moment où j’écris cet éditorial du numéro de décembre, c’est le 24 octobre, la Journée mondiale de la polio.
Dans une page en regard de l’éditorial du Globe and Mail, un article donnant matière à réfléchir, rédigé par l’ancien premier ministre du Canada Paul Martin, nous rappelle que la polio demeure une maladie grave et potentiellement mortelle dans des pays comme l’Inde, le Pakistan et l’Afghanistan. Il nous rallie aussi dans la lutte mondiale contre la polio:
Nous avons maintenant la chance d’éliminer enfin la polio pour qu’aucun enfant n’ait jamais plus à souffrir de cette maladie. Si nous réussissons, ce serait un accomplissement historique. Terminer le travail ferait de la polio la deuxième maladie seulement, après la variole, à être éliminée2.
Depuis la découverte de la vaccination, il y a toujours eu des mouvements antivaccins3. La publication d’une étude maintenant discréditée4,5 sur le lien entre l’autisme infantile et le vaccin associé rougeole-oreillons-rubéole (ROR), publiée dans le Lancet en 19986, a incité de nombreux parents à voir la vaccination d’un mauvais œil et les ont poussés à être prudents jusqu’au point de la refuser. Les arguments avancés dans l’article par Wakefield et ses collègues se sont traduits par une baisse du nombre de vaccins ROR en Grande-Bretagne, en Irlande, aux États-Unis et dans d’autres pays. Par la suite, en Irlande par exemple, des éclosions d’oreillons se sont produites entraînant plus de 300 cas, 100 hospitalisations et 3 décès3.
Pour célébrer le lancement du nouveau BMJ en janvier 2007, ses lecteurs ont voté pour désigner 70 jalons importants de l’histoire de la médecine depuis la première parution de la revue en 1840. Un panel de rédacteurs et de consultants a réduit cette liste à 15 et a ensuite demandé à des experts en la matière d’écrire à propos de chacun d’entre eux7.
Comme l’a fait valoir le professeur Michael Worboys, sur le plan du nombre de vies épargnées, il est difficile de battre la vaccination7. Depuis la fameuse observation par Edward Jenner au XVIIIe siècle que les trayeuses de vaches ayant contracté la vaccine avaient aussi acquis une immunité contre sa proche parente, la variole, et ses essais subséquents préconisant l’inoculation de petites quantités prélevées de pustules de la vaccine pour prévenir la variole, il est impossible de quantifier le nombre de vies sauvées.
Même si la découverte apparemment miraculeuse de Jenner a sauvé plusieurs milliers de personnes de la mortelle variole, c’était «un exploit unique». Ce n’est pas avant les travaux de Louis Pasteur pour concevoir un vaccin contre la rage, près d’un siècle plus tard, que la promesse offerte par la vaccination d’éradiquer une maladie apparemment intraitable a commencé à se matérialiser8.
Il est difficile pour les personnes nées après 1960 de se souvenir des maladies infectieuses infantiles graves et souvent mortelles qu’on a presque fait disparaître grâce aux vaccins, un bienfait que nous tenons maintenant pour acquis: la diphtérie (1923), la coqueluche (1926), les oreillons (1963), la rubéole (1969), le ROR (1969) et, bien sûr, la polio (1958 et 1961)7. Cependant, M. Martin nous rappelle:
Je me suis engagé dans cette lutte contre la polio parce que j’en ai fait l’expérience directe, comme mon père avant moi. Quand j’avais 8 ans, la polio m’a paralysé la gorge. Mes parents craignaient le pire et m’ont conduit d’urgence à l’hôpital. À cette époque, les enfants qui survivaient à la polio devenaient paralysés de manière permanente ou finissaient dans un poumon d’acier. J’ai été parmi les chanceux qui se sont complètement rétablis après un long séjour à l’unité de la polio de l’Hôpital Hôtel-Dieu à Windsor, en Ontario2.
Les vaccins sont très prometteurs pour l’éradication de nombreuses maladies qui nous affligent présentement - le paludisme et la schistosomiase, le VIH et le syndrome respiratoire aigu sévère, le cancer et les troubles auto-immunes - ainsi que des maladies de l’avenir7. Il est donc opportun que dans le numéro de ce mois-ci du Médecine de famille canadien, Dre Vivien Brown (page 1379) nous rappelle que, si les médecins de famille se sont engagés à fournir des soins préventifs à leurs patients, le genre de prévention le plus efficace - la vaccination - se situe littéralement au bas de la liste9 dans les outils aide-mémoire sur les soins préventifs utilisés par les médecins de famille au pays10. Alors que, dans le monde entier, on travaille à l’éradication de la polio, ne tenons pas pour acquis les outils les plus puissants pour la prévention que nous avons à offrir ici au pays.
Footnotes
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