En janvier 2006, Le Médecin de famille canadien publiait un guide pour les médecins de famille, devant servir de liste de vérification détaillée des soins de santé préventifs pour les hommes et les femmes1. Ces listes de vérification récemment mises à jour2 sont exhaustives et comportent des aide-mémoire pour les médecins débordés, leur rappelant les questions à poser sur divers sujets, allant de la soie dentaire aux programmes de contrôle du bruit en passant par la ceinture de sécurité et les pyjamas ignifuges. Tout cela est très bien.
Par ailleurs, étant donné la multitude de sujets, de manœuvres et d’exigences sur la liste, il est possible (peut-être probable) que les questions au bas de la liste ne reçoivent pas beaucoup d’attention. Après avoir discuté de tabac, d’alcool, d’alimentation et de problèmes de gencives, en plus d’avoir fait un examen physique complet et décidé des analyses de laboratoire, de l’ostéodensitométrie ou de la sigmoïdoscopie éventuelle à prescrire et ainsi de suite, qu’est-ce qui se trouve en dernier sur la liste? Les vaccins. Même si nous connaissons l’importance de nombreuses interventions médicales en pratique familiale, au cours des 100 dernières années (exception faite de l’eau potable sécuritaire), aucun traitement ne peut rivaliser avec l’immunisation pour réduire les taux de morbidité et de mortalité dans le monde.
Pourtant, l’immunisation vient au dernier rang. Et c’est la façon dont les Canadiens sont traités et, dans ce cas-ci, sous-traités. Qu’importe le genre d’immunisation administrée par un responsable de la santé publique ou par un médecin de famille, du simple vaccin contre le tétanos au vaccin plus complexe contre la varicellezoster ou le virus du papillome humain, l’immunisation des Canadiens adultes n’est pas suffisante. Les données sur la vaccination sont inquiétantes: l’Enquête nationale sur la vaccination chez les adultes canadiens en 20063 révélait que moins de 47 % d’entre eux étaient adéquatement immunisés contre le tétanos, un vaccin remboursé dans chaque province et territoire. Pire encore est la situation concernant le vaccin antipneumococcique, recommandé aux plus de 65 ans et à ceux qui ont des problèmes chroniques sous-jacents. Les médecins ont excessivement peu recours à ce vaccin; notamment, moins de 39 % des 65 ans et plus et environ 17 % des personnes atteintes de maladies chroniques autres que l’asthme le reçoivent.
Que pouvons-nous en conclure? Les Canadiens adultes ne sont pas immunisés systématiquement contre des maladies pouvant être prévenues par un vaccin. Une récente publication canadienne par Parkins et collaborateurs nous rappelle que bien que nous offrions une excellente vaccination à la population pédiatrique, nous négligeons l’immunisation des adultes4. D’une certaine façon, nous sommes victimes de nos succès antérieurs. Comme le soulignait un livre blanc produit sous la direction BIOTECanada offrant un aperçu général de la couverture vaccinale canadienne, les vaccins continuent d’être (à tort) sous-estimés et sous-utilisés dans le monde entier5. Dans les pays industrialisés, la sous-utilisation des vaccins est attribuable en partie à une sous-estimation de la gravité des maladies pouvant être prévenues par un vaccin, à une sous-estimation des bienfaits de la vaccination et à des préoccupations liées aux effets secondaires des vaccins. Les témoins des incapacités terribles et des décès causés par la variole et la polio considèrent souvent les vaccins contre ces maladies comme de vrais miracles, et ce, grâce aux programmes d’immunisation. De plus, lorsqu’il n’y a plus de menace imminente de contracter une maladie, le public a tendance à oublier les limites des médicaments et peut devenir apathique devant des stratégies de prévention, y compris la vaccination5.
Payer le prix
En 2008, nous avons connu une éclosion d’oreillons, qui a commencé dans les provinces de l’Est, mais s’est rapidement propagée partout au pays lorsque les étudiants revenaient à la maison à la fin du semestre collègial6. On a dénombré plusieurs décès causés par le tétanos dans l’Ouest canadien, chez des personnes âgées non immunisées qui s’occupaient de leurs jardins; et même si nous avons maintenant la capacité de faire des progrès dans la réduction du cancer du col chez nos jeunes femmes, ici aussi, le vaccin demeure sur les tablettes malgré le nombre élevé des femmes admissibles. En moyenne, chaque année au Canada, on signale environ 4 000 et 3 000 décès dus respectivement à la grippe et à la pneumonie à pneumocoques - des nombres faramineux compte tenu de la disponibilité, de l’innocuité et du faible coût des vaccins7,8.
En outre, de récents travaux de recherche ont fait valoir que ceux qui ont reçu le vaccin antipneumococcique ont moins de risque d’avoir un infarctus aigu du myocarde que ceux qui n’ont pas été immunisés - encore une fois des gains potentiels envolés9. Pour les sceptiques d’entre vous qui voyez des infections pouvant être prévenues par un vaccin chez vos patients immunisés, il importe de comprendre qu’en raison de l’immunosénescence, les adultes plus âgés ne répondent pas aussi bien que les enfants à l’immunisation. Même si les vaccins ne préviennent peut-être pas des maladies cliniques chez les adultes, il est clair selon les ouvrages médicaux que, dans cette population, ils réduisent la gravité de la maladie et le nombre de décès.
Sport d’équipe
En tant que médecins de famille, nous occupons une position privilégiée. Nous avons la confiance de nos patients et l’avantage de relations continues. Nous sommes les spécialistes de l’immunisation chez les adultes! Que nous discutions de la série diphtérie-tétanos-coqueluche pour les adultes, en particulier avec ceux qui ont des nourrissons à la maison, ou encore du nouveau vaccin contre le zona pour les Canadiens âgés, c’est notre rôle d’éduquer et d’informer de manière à ce que nos patients prennent les bonnes décisions pour eux-mêmes. Au Canada, l’immunisation est un sport d’équipe. Que la vaccination ait lieu dans des cliniques de santé publique, à l’école, dans des pharmacies, au lieu de travail des patients ou dans nos cabinets, la responsabilité de l’éducation reste entre nos mains. Nos patients ont besoin de nos recommandations et nous pouvons partager le fardeau de la mise en œuvre avec les nombreux intervenants dans notre système. Une enquête menée par l’Agence de la santé publique du Canada en 2006 a révélé que la recommandation du médecin avait une forte influence sur l’acceptation des vaccins par le patient10.
Les directives du Comité consultatif national de l’immunisation nous donnent un mandat clair concernant ce que nous devrions faire, mais nous n’avons pas le temps d’éplucher la liste de vérification complète des soins préventifs telle qu’elle est actuellement conçue. Nous ne pouvons pas, à tout le moins dans la pratique réelle, accomplir toutes ces interventions au cours d’une seule visite. Si nous le faisions, comme l’ont indiqué Yarnall et ses collègues lorsqu’ils parlaient des lignes directrices américaines sur les soins préventifs, il faudrait plus de 7,5 heures par jour ou 1 773 heures par année pour suivre les recommandations suggérées dans une pratique de taille moyenne11. Il faudrait ne faire aucune prise en charge de maladie chronique ou intervention en soins aigus et s’occuper seulement de la prévention.
Voilà qui explique clairement pourquoi l’immunisation suscite si peu d’attention.
Faire mieux
Selon moi, nous pouvons commencer à faire mieux. L’une des principales façons d’y arriver serait de faire passer l’immunisation de sa place actuelle dans le dossier à la partie qui traite des allergies et des médicaments. En tant que médecins, nous regardons toujours les médicaments pour nous donner rapidement un aperçu des malaises, des maladies et des problèmes probables. Si nous commençons par évaluer la santé en incluant l’état d’immunisation, nous serons en mesure de prendre de meilleures décisions, de prescrire les analyses appropriées et de faire des évaluations préventives plus complètes. Nous devons savoir si notre patient diabétique a reçu ou non le vaccin antipneumococcique. Des résultats mesurables dépendent de nous et de notre efficacité. Si nous voulons mettre un peu moins l’accent sur le traitement des maladies aiguës pour adopter une stratégie à plus long terme, nous avons besoin d’une approche plus rigoureuse, y compris nous assurer que les maladies pouvant être prévenuessont effectivement prévenues. Notre rôle en tant que médecins de famille dignes de confiance inclut la tâche importante de l’éducation. Les patients ont le droit d’accepter ou de refuser la vaccination; notre travail est de nous assurer qu’ils comprennent les effets de cette décision. Que ce soit en participant à des activités de formation médicale continue ou grâce à des mesures d’incitation, comme l’ajout par l’Ontario de la vaccination antipneumococcique à la Fiche de cheminement des soins pour le diabète qui sont rémunérés, nous devons chercher des façons novatrices d’inclure l’immunisation dans nos conversations au quotidien.
En 2012 et au-delà, nous avons une intéressante possibilité d’avoir un immense effet sur la vie de nos patients. Nous avons les outils pour faire de la prévention primaire la médecine à son meilleur. Nous avons des vaccins sûrs et efficaces avec des résultats mesurables. Nous avons des lignes directrices nationales et des motifs évidents de les suivre. Nous sommes au cœur de l’action en tant que fournisseurs de soins primaires pour influencer l’orientation des dépenses en soins de santé pour qu’elles passent du paradigme thérapeutique au modèle préventif. Nous pouvons commencer en changeant nos pratiques quotidiennes et en portant plus d’attention à cet élément important pouvant sauver des vies, et en faisant passer l’immunisation en tête de liste.
Acknowledgments
Je remercie Dr Jay Keystone de l’University of Toronto, en Ontario, de son soutien dans la préparation de cet article.
Footnotes
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This article is also in English on page 1377.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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