Cas
M. W. est un ancien combattant à la retraite de 84 ans que son épouse et sa fille amènent à votre cabinet. Elles signalent que depuis 2 ans, sa mémoire se détériore et qu’il éprouve de plus en plus de difficulté à trouver ses mots. Il ne pratique plus ses passe-temps favoris comme la sculpture et la pêche. Il a des antécédents d’hypertension et de l’angine, mais stable. L’évaluation clinique au cours de quelques visites vous amène à poser un diagnostic de démence, probablement la maladie d’Alzheimer. Après avoir communiqué le diagnostic et donné des renseignements de base au sujet de la démence, y compris le pronostic et ce à quoi on peut s’attendre, des questions liées à la sécurité comme la conduite automobile, ainsi que des plans de suivi, vous discutez des options de traitements pharmacologiques. M. W. et sa conjointe refusent de mettre à l’essai un inhibiteur de la cholinestérase, étant donné l’expérience vécue par un frère qui a souffert de nausée et perdu l’appétit avec ce médicament. Vous les dirigez vers le programme Premier lien de la Société Alzheimer et discutez des activités qui pourraient contribuer à optimiser sa santé et son fonctionnement.
En 2010, la Société Alzheimer du Canada a publié Raz-de-marée: Impact de la maladie d’Alzheimer et des affections connexes au Canada, qui expose les réalités des taux à la hausse de démence et de leurs effets sur les soins de santé et notre société au Canada1. Le médecin de famille moyen compte de 30 à 40 patients atteints de démence dans sa pratique et on s’attend à ce que ce nombre augmente avec la prévalence de la démence qui devrait atteindre plus de 1,1 million de Canadiens d’ici 2038. Quoique les neurologues, les psychiatres et les gériatres offrent une prise en charge spécialisée de ces problèmes de santé, les médecins de famille jouent un rôle crucial, tant dans la communauté que dans les établissements de soins de longue durée. Soigner les personnes atteintes de démence peut demander beaucoup de temps et poser de nombreux défis2,3, étant donné les profonds effets que peut avoir la maladie sur les patients, leur famille et leurs aidants. Même si une prise en charge pharmacologique devrait toujours être envisagée, le fondement du traitement reste non pharmacologique (Encadré 1)4,5. Le médecin de famille est souvent le principal coordonnateur des soins pour la prise en charge de la démence, mais il existe des ressources qui peuvent compléter les soins et améliorer les résultats6,7. Cet article met en évidence le rôle de la Société Alzheimer dans la prise en charge de la démence et résume les ressources mises à la disposition des médecins de famille par la Société Alzheimer et d’autres organisations pour optimiser les soins aux patients et à leurs aidants.
Sources de l’information
Pour cerner les articles de recherche et de synthèse en anglais concernant les effets des ressources communautaires sur le stress des aidants et les résultats des soins aux patients, on a effectué une recherche documentaire dans Ovid MEDLINE portant sur la période de 2000 à 2010 à l’aide des expressions dementia, Alzheimer disease, community health services utilization et caregiver stress. On a aussi utilisé des articles cités dans les documents étudiés lorsqu’ils s’appliquaient, ainsi que les lignes directrices de la Troisième conférence de consensus sur le diagnostic et le traitement de la démence4.
Résumé des lignes directrices canadiennes reliées à la prise en charge non pharmacologique de la démence
La plupart des patients atteints de démence peuvent être évalués et pris en charge adéquatement par leur médecin de première ligne. Par ailleurs, pour aider les médecins de famille à répondre aux besoins des patients et des aidants, voici certaines recommandations:
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Voici certaines recommandations d’interventions non pharmacologiques pour la prise en charge des limitations cognitives et fonctionnelles attribuables à la maladie d’Alzheimer de stade léger à modéré:
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AVQ—activités de la vie quotidienne, AIVQ—activités instrumentales de la vie quotidienne.
Données tirées de la Troisième conférence de consensus sur le diagnostic et le traitement de la démence4.
Message principal
Rôle initial de la Société Alzheimer
Les patients atteints de démence et leur famille bénéficient de renseignements clairs et précis à propos du diagnostic aussitôt que possible. Même si le médecin de famille (ou un autre spécialiste) initie une discussion à propos de ce que veut dire un diagnostic de démence et donne des renseignements pratiques à propos de la prise en charge, les contraintes de temps durant la plupart des visites cliniques signifient qu’il faut des stratégies additionnelles pour soutenir et renseigner les patients et leur famille. Il y a de nombreux mythes entourant la maladie d’Alzheimer et d’autres démences qui peuvent avoir des influences profondes sur l’expérience des patients, surtout peu de temps après le diagnostic8,9. Même si les compagnies pharmaceutiques ont produit d’utiles trousses d’information à l’intention des patients, la Société Alzheimer devrait jouer le rôle principal dans la tâche d’informer les patients.
Certains patients sont dépassés par l’annonce du diagnostic, mais vous devriez quand même envisager de les référer à la Société Alzheimer, ou au moins mentionner le rôle des services d’entraide formels, comme ceux offerts par la Société Alzheimer au moment-même du diagnostic. Les médecins peuvent suggérer au patient de communiquer avec le bureau de la section locale de la Société et, si le service est offert, demander directement une consultation au moyen du programme Premier lien10. Il n’existe pas d’études examinant spécifiquement la participation précoce de la Société Alzheimer, mais des données factuelles font valoir qu’un diagnostic précoce et le recours à des services formels peuvent assister les aidants à s’adapter à leur nouveau rôle et à établir des relations avec les fournisseurs de services8. Il importe d’insister sur le fait que la Société Alzheimer peut aider les patients et leur famille tout au long de la maladie, quel que soit le type de démence, et que les services sont généralement gratuits. La filiale locale de la Société peut aussi aider le médecin de famille à identifier les ressources dans la région susceptibles d’être utiles aux patients et aux familles et à y accéder.
Programme Premier lien.
Même si la consultation auprès de la Société Alzheimer constitue une part importante de la prise en charge de la démence, il est démontré que ce recours n’est souvent pas utilisé3. Le programme Premier lien a été élaboré par la Société Alzheimer pour aider les médecins dans les demandes de consultation et faire en sorte qu’ils ne soient pas obligés de se fier aux patients pour donner suite à leurs recommandations. Le processus de demande de consultation avec Premier lien commence lorsque le médecin de famille demande la permission du patient et de la famille de communiquer leurs coordonnées à la Société Alzheimer et envoie un simple formulaire de demande au bureau de la filiale locale. La Société Alzheimer communique proactivement avec le patient ou l’aidant pour expliquer les services offerts et prendre un rendez-vous de suivi.
Malheureusement, Premier lien n’est pas encore accessible partout au pays et il n’existe pas de liste centralisée des programmes en raison du manque d’uniformité dans le financement. Toutefois, la Société Alzheimer est présente dans 150 communautés au Canada et les médecins peuvent s’informer auprès des filiales locales pour savoir si Premier lien est offert dans leur région. Pour trouver le bureau le plus proche dans votre collectivité, visitez le site web de la Société Alzheimer du Canada à www.alzheimer.ca ou téléphonez au 800 616-8816. Si Premier lien n’est pas accessible, les médecins de famille peuvent quand même suggérer à leurs patients et aux aidants de communiquer avec la section locale pour accéder aux services.
Le bureau local de la Société Alzheimer communique avec M. W. et son épouse. Un membre du personnel, Anne, parle avec eux de leur expérience, explorant leurs réactions au diagnostic et les questions qu’a soulevées chez eux ce diagnostic. Anne décrit les services qui pourraient leur être utiles à ce stade, comme la participation à des séances d’apprentissage au sujet de la maladie ou à certains groupes informels de discussion avec d’autres personnes récemment diagnostiquées et leur famille. M. et Mme W. conviennent qu’ils auront besoin d’aide, mais admettent se sentir plutôt dépassés et signalent que la visite initiale à votre bureau a été plutôt stressante. Anne leur remet quelques brochures concernant des sujets auxquels réfléchir aux premiers stades de la maladie, y compris des questions légales comme la désignation d’un mandataire spécial et la planification de la succession. Elle leur suggère de préciser les délégations de pouvoir pour les soins personnels et les aspects financiers et de discuter des plans préalables de soins pour les problèmes de santé.
La famille demeure en contact avec le personnel de la Société Alzheimer. Mme W. trouve que les groupes d’entraide lui sont utiles, même si le fait de quitter la maison pour y assister peut être inquiétant. Neuf mois plus tard, Mme W., qui est aussi votre patiente, se rend à votre cabinet se plaignant d’anxiété et d’insomnie parce qu’elle doit superviser son conjoint et parce qu’elle est inquiète quand elle le laisse seul à la maison. Après avoir exclu d’autres problèmes de santé importants qui pourraient contribuer à ses symptômes, vous la rassurez que de nombreux aidants auprès de patients atteints de démence éprouvent le stress de l’aidant et vous lui faites quelques suggestions pour l’aider.
Stress de l’aidant et qualité de vie du patient
Les médecins et le personnel de la Société Alzheimer peuvent identifier des déclencheurs de stress et suggérer des façons de le minimiser. La Société Alzheimer offre des possibilités de formation, du soutien par les pairs, ainsi que du soutien individuel ou familial qui permettent à l’aidant d’apprendre de l’expérience d’autres personnes et d’élaborer des stratégies pour répondre aux comportements difficiles. Les bienfaits généraux de rencontrer d’autres personnes aux prises avec des défis semblables peuvent aider à diminuer le stress de l’aidant. Comprendre la maladie et ce à quoi il faut s’attendre à mesure qu’elle progresse peut assister les aidants naturels à anticiper les besoins et les comportements de la personne. Des stratégies pour réagir aux changements comportementaux peuvent aider les membres de la famille à éviter proactivement les crises associées avec les stades avancés de la maladie (p. ex. l’errance) et ceci peut retarder la nécessité d’une institutionnalisation en centre de soins prolongés d’aussi longtemps que 18 mois11,12. Habituellement, le médecin de famille et la Société Alzheimer se partagent ces rôles, mais une plus grande collaboration directe serait utile dans de nombreuses situations cliniques.
Plusieurs autres stratégies pratiques peuvent aider à atténuer le stress des aidants et assister les patients. Il est important d’explorer les possibilités de répit, surtout à mesure qu’évolue la gravité de la maladie. Des soins de répit à domicile pour permettre aux aidants de participer à des activités sociales ou faire des courses peuvent se révéler essentiels. Ces services varient d’une région à l’autre mais, habituellement, un préposé aux services de soutien personnel est disponible pour des visites à domicile pendant quelques heures, moyennant des frais subventionnés, afin d’accorder un repos à l’aidant.
Dans de nombreuses régions, il existe des programmes de jour pour les adultes dans la collectivité, offerts dans les centres communautaires, les hôpitaux, les centres d’hébergement ou les maisons d’accueil pour personnes âgées. Ces programmes organisent des activités physiques et sociales pour les patients, donnant ainsi du répit à l’aidant. Il y a aussi des programmes de «visites amicales» à domicile offerts par des organismes de soins de santé ou des groupes communautaires qui peuvent aussi permettre aux aidants d’avoir un peu de répit.
On peut projeter des soins de répit en établissement dans un centre d’hébergement ou une maison d’accueil pendant une période de 1 à 3 semaines afin de permettre à l’aidant de s’absenter en voyage pendant une courte période de temps. Cette sorte de répit a pour inconvénients que les personnes ayant une démence de modérée à grave décompensent parfois dans de nouveaux environnements, ce qui ajoute à la détresse de l’aidant. Certains aidants sont stressés par l’impression ou l’inquiétude qu’ils doivent superviser les soins dans ce nouveau centre, ce qui annule les bienfaits du temps libre. La Société Alzheimer peut soutenir les membres de la famille dans leur préparation à une transition à un programme d’un jour ou de répit, en les aidant à apprendre comment passer du rôle de seul fournisseur de soins à celui de membre d’une équipe élargie de soins.
Éventuellement, la démence de M. W. s’aggrave. Son épouse a continué à participer à des groupes d’entraide, pendant qu’un préposé aux soins de répit à domicile est présent auprès de lui. Un jour, M. W. sort de la maison et se met à errer tandis que Mme W. faisait la lessive. Elle vous appelle en détresse après qu’un voisin l’ait ramené à la maison.
Problèmes de sécurité
Quoique l’errance soit très difficile à gérer, il existe quelques ressources susceptibles d’être utiles. La Société Alzheimer offre un service appelé Sécu-Retour, initialement élaboré avec la Gendarmerie royale du Canada. Pour des frais ponctuels de 35 $, le patient peut être inscrit dans une base de données nationale de la police pour faciliter l’identification et le retour en toute sécurité à la maison. Les frais couvrent aussi un bracelet d’identification, un manuel sur la gestion de l’errance à l’intention des aidants et des cartes d’identité.
La technologie évolue rapidement dans ce domaine et des dispositifs du système mondial de positionnement (GPS) sont maintenant accessibles pour localiser les patients atteints de démence. Beaucoup de ces appareils ont des limites et, pour aider les patients à déterminer ce qu’il faut rechercher quand ils envisagent d’utiliser la technologie de localisation, la Société Alzheimer leur offre des renseignements et des listes de vérification à leur sujet pour éclairer la prise de décisions (Encadré 2).
Documents de la Société Alzheimer pertinents aux médecins de famille
Normes de soins
Lignes directrices sur l’éthique et sujets délicats
Le portail des médecins
Brochure sur l’importance du diagnostic précoce
Dispositifs de repérage
On trouve à l’Encadré 3 une liste de ressources en ligne accessibles aux médecins pour la prise en charge non pharmacologique de la démence. Les médecins peuvent aussi collaborer avec des programmes spécialisés en médecine ou en psychiatrie gériatrique et les centres d’accès aux services communautaires dans le cadre de la prise en charge.
M. W. est admis 4 mois plus tard dans un centre d’hébergement après avoir fait plusieurs autres épisodes d’errance et d’agressivité envers les préposés aux soins personnels. Dans ce centre, il participe au programme d’art parrainé par la Société Alzheimer et on a remarqué que son humeur s’était améliorée pendant une certaine période de temps par la suite. Son épouse continue de le visiter et de collaborer avec le personnel dans les soins à son mari. Huit mois plus tard, il contracte une pneumonie et, en fonction de ses directives préalables, établies alors qu’il en était encore apte, il est traité au centre, mais son état se détériore et il décède, son épouse présente à ses côtés. Les membres du personnel de la Société Alzheimer invitent Mme W. à demeurer en contact et de faire appel à eux en tout temps au besoin.
Conclusion
La collaboration entre les médecins de famille et les ressources communautaires est importante dans la prise en charge de la démence, quelle que soit la gravité de la maladie. La Société Alzheimer est un pilier dans la prise en charge de la démence et les médecins devraient y référer les patients, si possible, au moment du diagnostic. Le programme Premier lien offre précisément un moyen facile d’améliorer les soins de suivi, là où il est disponible. Il faudrait avoir recours, au besoin, à d’autres ressources comme les soins de répit et les programmes de jour qui peuvent être coordonnés avec l’assistance de la Société Alzheimer.
Liens vers des ressources sur la prise en charge non pharmacologique de la démence
Prise en charge des comportements courants
Société Alzheimer
Cadre PIECES au Canada
La démence dans les établissements de soins de longue durée
Ressources générales sur la démence et la gériatrie
Comité de programme des soins aux personnes âgées du
Collège des médecins de famille du Canada
Programmes gériatriques régionaux du projet GiiC
Conférence canadienne de consensus sur le diagnostic et le traitement de la démence
Conduite automobile
Programme gériatrique régional de l’Est de l’Ontario
Alzheimer Knowledge Exchange
Société canadienne de gériatrie
Notes
POINTS DE REPÈRE
Le médecin de famille est souvent le principal coordonnateur des soins dans la prise en charge de la démence, mais il existe des ressources qui peuvent compléter les soins et améliorer les résultats. Cet article met en évidence le rôle de la Société Alzheimer dans la prise en charge de la démence et résume les ressources mises à la disposition des médecins de famille par la Société Alzheimer et d’autres organisations pour optimiser les soins aux patients et à leurs aidants. En plus des ressources éducatives et des groupes d’entraide, des technologies de repérage et des programmes d’inscription sont disponibles pour aider les patients à revenir en toute sécurité à la maison lorsqu’ils s’égarent. On peut aussi envisager les soins de répit à domicile, les programmes de jour et les soins de répit en établissement pour aider à atténuer le stress des aidants. La Société Alzheimer peut fournir des renseignements et aider à coordonner de tels services.
La série sur les soins aux aînés a été élaborée dans le cadre d’une initiative du Comité du développement professionnel continu de la Société canadienne de gériatrie en collaboration avec Le Médecin de famille canadien dans le but de présenter des articles sur des sujets liés à la gériatrie rédigés par des médecins de famille pour des médecins de famille.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la recherche documentaire et à la préparation du manuscrit aux fins de présentation.
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Intérêts concurrents
Mme Schulz est à l’emploi de la Société Alzheimer, mais n’a aucun intérêt financier rattaché à l’article.
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