
Avec l’explosion des progrès en sciences médicales et en technologie de l’information, l’insistance accrue sur les soins centrés sur le patient pose parfois des problèmes aux médecins praticiens.
Notre capacité de communiquer instantanément avec des masses nous accorde-t-elle assez de temps pour la recherche de grande qualité nécessaire pour valider l’efficacité et l’innocuité de nouvelles interventions avant de diffuser publiquement l’information? Quel est le ratio risque-avantage d’une promotion hâtive d’interventions non éprouvées? Quand des patients exigent l’accès à des approches médicales non validées, les professionnels et notre système de santé sont-ils obligés d’offrir et d’accepter ces choix? Le refus de le faire estil contraire aux objectifs des soins centrés sur le patient? À qui incombe-t-il d’aider les patients à comprendre la multitude de renseignements devant eux?
Nous sommes au beau milieu d’un débat public à propos d’un traitement proposé pour la sclérose en plaques (SP). La thérapie de la libération, instaurée par Zamboni et collègues, comporte un traitement endovasculaire de la jugulaire interne ou de la veine azygos dans une tentative de renverser les effets d’une insuffisance veineuse céphalorachidienne chronique (IVCC) qui, selon Zamboni, cause la SP ou y contribue1. Selon sa recherche à l’aide d’imagerie par échographie Doppler non invasive, une IVCC est présente chez tous les patients atteints de SP mais chez aucun des sujets témoins; la sensibilité, la spécificité, les valeurs de prédiction positives et négatives étaient toutes signalées comme étant à 100 %1. Par contre, d’autres études n’ont pas tiré ces mêmes conclusions2,3 et ont fait valoir la nécessité d’avoir plus de données probantes pour établir un lien entre l’IVCC et la SP4.
Après la diffusion des renseignements sur ce traitement potentiel, des cliniques offrant la thérapie de la libération ont commencé à ouvrir leurs portes dans plusieurs pays. Compte tenu des taux élevés de SP au Canada, il n’est pas surprenant que de nombreux Canadiens souffrant de cette maladie incapacitante comptent parmi ceux qui veulent avoir accès à cette intervention - et leur médecin de famille est souvent identifié comme la meilleure source d’information pour les aider à comprendre ce qui se passe et à atteindre leurs objectifs thérapeutiques.
Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) ont adopté la position qu’il faut plus de preuves de l’existence d’un lien entre l’IVCC et la SP avant d’homologuer le traitement endovasculaire à cette fin au pays. Un groupe d’experts des IRSC examine les résultats d’études réalisées dans le monde entier, dont 7 études rigoureuses en aveugle entreprises par des sociétés de la SP en Amérique du Nord. Si le lien est prouvé, la prochaine étape est de réaliser des études cliniques sur la sécurité et l’efficacité des interventions endovasculaires, suivies de recommandations d’applications cliniques. L’Association médicale canadienne, l’Association des facultés de médecine du Canada, la Société canadienne de chirurgie vasculaire et le Comité de direction du Collège des médecins de famille du Canada endossent la position des IRSC et ont accepté d’en faire part à leurs membres. On trouve ces renseignements à l’adresse www.cfpc.ca.
La sclérose en plaques est une maladie complexe. Chez certains, c’est une condition primaire progressive, chez d’autres, elle suit un mode sporadique qui peut ou non devenir progressif. Certains patients ont signalé des améliorations de leurs symptômes après la thérapie de la libération, ce qui a naturellement suscité l’intérêt de patients en quête désespérée de soulagement. Ces améliorations étaient-elles dues au traitement, à l’évolution naturelle de la maladie ou à d’autres facteurs?
Le traitement endovasculaire n’est pas sans risque. On a signalé des cas de resténose veineuse, de caillots, d’embolie pulmonaire, d’hémorragie et de migration d’endoprothèse. Certains patients ayant des symptômes inquiétants après avoir été traités à l’étranger ont eu de la difficulté à obtenir des soins médicaux à leur retour5. Le registraire du College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan, Dr Dennis Kendel, a rappelé qu’on s’attendait des médecins qu’ils s’occupent des patients qui en avaient besoin quels que soient les traitements antérieurs qu’ils avaient eus ici ou ailleurs5. Il a aussi précisé que s’il ne faut jamais refuser de soins, les patients ne peuvent pas exiger de tests ou de procédures en particulier. Les soins centrés sur le patient ne signifient pas que les médecins doivent donner des traitements ou faire passer des tests spécifiques proposés par les patients. Il s’agit plutôt d’écouter les patients, d’être sensibles à leurs points de vue et à leurs besoins, de s’assurer qu’ils ont tous les renseignements voulus pour prendre la meilleure décision possible, et de ne pas les abandonner quand ils ont des besoins.
L’explosion des progrès médicaux continuera, comme la diffusion rapide de l’information, validée ou non. Les patients joueront un rôle accru dans la détermination de leurs propres soins, mais ce sera encore le médecin de famille personnel qui dispensera la majorité des soins médicaux aux patients, qui organisera et coordonnera les demandes de consultation, et qui jouera un rôle essentiel pour aider chaque patient à comprendre les renseignements disponibles et les choix à faire. Les relations continues de confiance entre médecin et patient font en sorte que les patients sont écoutés et que leurs contributions dans les décisions thérapeutiques sont respectées. Les enjeux actuels entourant le traitement de la SP font ressortir l’importance du rôle du médecin de famille pour aider les patients à s’aider eux-mêmes.
Footnotes
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This article is also in English on page 384.
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