Margaret, une femme de 67 ans ayant des antécédents de tabagisme de longue date, se présente avec une dyspnée, de la toux avec hémoptysie, de la fatigue, une perte de poids et des douleurs dans le bas du dos et à la hanche gauche. À l’examen, vous observez l’absence d’entrée d’air dans le lobe inférieur droit, un bruit sourd à la percussion et un sifflement expiratoire généralisé. Elle ressent de la sensibilité à la colonne lombaire, ainsi qu’une subtile faiblesse et de la dysarthrie au côté droit et sa mobilité est réduite en raison de la douleur au dos. Durant cette visite, vous vous occupez de la douleur et vous lui demandez de revenir pour un rendez-vous de suivi afin de réévaluer la douleur et de prendre des arrangements pour des investigations.
Les investigations révèlent une masse au poumon droit et de multiples nodules pulmonaires, une adénopathie médiastinale, une atteinte cérébrale métastasique et des métastases aux quatrième et cinquième vertèbres lombaires ainsi qu’au fémur proximal gauche. Selon les résultats d’une biopsie percutanée du poumon, on a posé un diagnostic tissulaire de cancer du poumon à petites cellules. Avec le diagnostic tissulaire confirmé et la maladie métastasique avancée, on a établi que le cancer pulmonaire à petites cellules était à un stade avancé. Margaret, comme bon nombre de nos patients, souffre de multiples problèmes de santé concomitants: hypertension, angine (aucun antécédent d’infarctus du myocarde), fibrillation auriculaire avec stimulateur cardiaque, ostéoporose, hyperlipidémie et diabète de type 2. Elle prend plusieurs médicaments: 15 mg de ramipril par jour, 25 mg d’hydrochlorothiazide par jour, 50 mg de métoprolol 2 fois par jour, 4 mg de warfarine par jour, 500 mg de metformine 2 fois par jour, 20 mg d’atorvastatine par jour, 70 mg d’alendronate par semaine et de la nitroglycérine en vaporisateur au besoin.
Il y a deux stades de cancer pulmonaire à petites cellules. Le cancer de stade limité est présent dans un seul poumon et peut présenter des métastases aux ganglions lymphatiques avoisinants ou au médiastin, mais ne s’est pas propagé à d’autres régions du corps. On parle de cancer du poumon au stade avancé quand des métastases se sont propagées à un autre lobe du poumon ou dans d’autres régions distantes. Le pronostic n’est pas bon; le taux de survie global est de seulement 6 % environ. Dans un cas de cancer du poumon à petites cellules au stade avancé, la durée de survie moyenne est de 6 à 12 mois avec traitement et de 2 à 4 mois sans traitement. Le cancer pulmonaire à petites cellules est presque toujours considéré comme inopérable1.
Objectifs des soins
Margaret est mariée et vit avec son mari depuis 43 ans; ils n’ont pas pu avoir d’enfants. Elle est réceptionniste à la retraite et son conjoint a pris sa retraite des forces armées. Ils vivent dans leur propre maison. Ils ont quelques amis proches mais aucun membre de la famille ne vit dans leur région.
Margaret et son mari reviennent pour discuter du diagnostic et du pronostic. C’est une conversation très difficile et tous deux sont bouleversés par la nouvelle. Vous demandez pour elle une consultation en oncologie afin qu’elle puisse avoir une discussion plus approfondie du diagnostic, du pronostic et des choix de traitements. On l’informe des effets secondaires possibles et de la morbidité substantielle que peut causer la thérapie. Après mûre réflexion entrecoupée d’angoisse, compte tenu du pronostic peu favorable avec ou sans traitement, elle décide de refuser tout traitement pour prolonger sa vie.
En tant que médecins, nous devons être au courant des convictions spirituelles, religieuses et culturelles des patients, puisque ces facteurs peuvent influencer leurs décisions quand vient le temps de cesser ou d’omettre des médicaments ou d’autres traitements en fin de vie. Quand on amorce ces discussions, les décisions de refuser le traitement ou de cesser la médication peuvent se prendre toutes à la fois en un seul changement complet de direction ou elles peuvent s’échelonner avec le temps à mesure que l’on cesse graduellement un traitement spécifique, des médicaments ou que l’on retire des appareils en particulier (p. ex. défibrillateur implantable à synchronisation automatique, ventilation spontanée en pression positive continue)2,3.
Il n’y a pas beaucoup de directives pour aider les médecins à prendre en charge uniformément les problèmes chroniques concomitants durant cette période de changement. Il faut revoir et modifier fréquemment les objectifs des soins dans de tels cas. La nécessité de prendre certains médicaments, ainsi que leur mode et fréquence d’administration devraient être évalués à intervalle régulier. Nous devons toujours chercher ce qu’il y a de mieux pour le patient4.
Un mois plus tard, vous voyez Margaret durant une visite à domicile. C’est trop difficile pour elle de se rendre à votre cabinet maintenant. Plus de 2 mois se sont écoulés depuis son diagnostic et elle passe la majorité du temps au lit. Elle n’a pas d’appétit et souffre à l’occasion de nausée, sans toutefois avoir de vomissements. Son mari mentionne le nombre de pilules qu’elle doit prendre et le fait que c’est devenu de plus en plus une corvée. Elle dit ne pas avoir de douleur mais se plaint d’être essoufflée au moindre effort, mais pas au repos. À l’examen physique, vous observez qu’elle a perdu 25 livres (elle pèse maintenant 105 livres) et ses membranes muqueuses sont sèches. L’entrée d’air a baissé dans son poumon droit. Sa respiration est à une fréquence de 26 par minute et un peu laborieuse quand elle parle. Elle a besoin d’aide pour se lever du lit et vaquer à ses activités quotidiennes. En peu de temps, il y a eu un déclin fonctionnel considérable et selon la version 2 de l’échelle du rendement palliatif, elle se situe à 40 %5. De nouveaux médicaments sont prescrits pour aider à contrôler ses symptômes de dyspnée et de nausée. Vous reconnaissez qu’il est temps de commencer à discuter de la nécessité de prendre certains de ses médicaments à ce stade de la maladie.
Période de changement
Les patients qui sont face à un diagnostic et à un pronostic palliatifs et essaient de composer avec une espérance de vie de quelques semaines ou mois sont en droit de s’attendre à ce qu’on amorce une discussion sur les objectifs des soins. Il vaut mieux avoir cette discussion avec le patient et sa famille. À mesure que progresse la maladie, un état catabolique se développe en raison de l’altération du métabolisme des gras, des glucides et des protéines. Cet état catabolique combiné à la sécrétion de diverses cytokines ajoute à la triade de l’anorexie, de la perte de poids et de la fatigue. Par conséquent, il survient une perte de poids, une cachexie possible et de la déshydratation. Durant les soins en fin de vie, il est fréquent d’ajouter de nouveaux médicaments pour contrer des symptômes comme la nausée, la dyspnée et la douleur, pour n’en nommer que quelques-uns. Il y a une grande possibilité de polypharmacie et de ses effets indésirables si ces médicaments sont ajoutés à ceux déjà administrés pour la comorbidité6.
Une infirmière de soins à domicile et vous-même visitez Margaret et son conjoint pour discuter de la cessation de médicaments. (Le Tableau 16,7 est un résumé des facteurs à prendre en compte dans la cessation de la médication.) Durant cette période de changement, la communication, le soutien et la rassurance sont essentiels. Il est important de discuter et de redéfinir les objectifs des soins et des traitements. En se fondant sur des données probantes, Margaret et son mari peuvent prendre des décisions éclairées. Étant donné ces données factuelles (nombre nécessaire pour traiter et délai avant la production de bienfaits) et son déclin physique et fonctionnel considérable (échelle de rendement palliatif à 40 %), il semble raisonnable de discontinuer l’atorvastatine et l’alendronate8,9. Après avoir discuté des données concernant la prévention primaire et secondaire au moyen d’antihypertenseurs, elle accepte d’arrêter de prendre du ramipril et de l’hydrochlorothiazide. Elle continue de prendre le métoprolol jusqu’à ce qu’elle n’en soit plus capable, parce qu’il peut prévenir la morbidité (angine et tachycardie) associée à ses antécédents de coronaropathie et de fibrillation auriculaire10.
Après avoir examiné sa thérapie contre la coagulation, vous décidez qu’il est important d’envisager une certaine forme d’anticoagulation étant donné le risque élevé de thrombo-embolie veineuse et sa morbidité inhérente. Vous informez Margaret des risques accrus de conséquences indésirables de la warfarine comme des complications hémorragiques, surtout dans son état de déficience nutritionnelle et à cause de l’interférence des médicaments en concurrence. Son mari et elle sont frustrés par la fréquence des phlébotomies étant donné que son rapport international normalisé est souvent en dehors des normales thérapeutiques. Vous lui expliquez les risques d’arrêter la warfarine et vous lui donnez le choix de ne plus prendre d’anticoagulants ou de recevoir des injections d’héparine de faible poids moléculaire qui n’exigent pas de surveillance. Les données probantes ne sont pas très convaincantes mais soutiennent quand même le recours à l’héparine de faible poids moléculaire en soins palliatifs au stade avancé de la maladie; par ailleurs, c’est clairement une décision à prendre en fonction des bienfaits par rapport aux inconvénients11–14. Margaret décide d’abonner les traitements aux anticoagulants et vous l’appuyez dans sa décision.
L’étude UKPDS15 (UK Prospective Diabetes Study) est le fondement sur lequel reposent les directives actuelles sur la prise en charge du diabète de type 2. Extrapoler ces lignes directrices et les mettre en application dans une population dont l’espérance de vie est très limitée n’est peut-être pas très pratique. En examinant le nombre nécessaire à traiter et le temps avant que les traitements antidiabétiques conventionnels fassent effet, il semble qu’un traitement agressif ou un contrôle strict du glucose ne soit pas nécessaire. Un niveau de glucose d’environ 15 mmol/l ou des symptômes indésirables résultant d’une hyperglycémie pourraient justifier de commencer l’administration d’hypoglycémiques par voie orale. Des traitements intensifs à l’insuline peuvent augmenter le risque d’hypoglycémie, sans compter l’inconfort et les inconvénients des injections d’insuline16.
Vous discutez avec Margaret de ses médicaments contre le diabète. Elle est anorexique et n’a pas eu d’épisodes d’hypoglycémie, mais on s’inquiète de ce risque si elle continue à prendre ses médicaments antidiabétiques. Après avoir discuté des options, elle accepte d’arrêter la metformine. Elle est d’accord pour passer des tests de glucose occasionnels à sa discrétion et à celle de son mari, selon ses symptômes.
Deux semaines plus tard, l’infirmière de soutien à domicile en soins palliatifs reçoit un appel du mari de Margaret. Son état s’est considérablement détérioré. Elle ne peut plus prendre de médicaments par voie orale et ne boit que de petites gorgées de liquides. À partir de ce moment, tous ses médicaments par voie orale sont discontinués. On se préoccupe surtout de ses symptômes palliatifs et on accorde toute l’attention à un bon contrôle de la douleur et des symptômes et au soutien émotionnel de la patiente et de son conjoint. Elle meurt paisiblement 4 jours plus tard17.
Notes
POINTS DE REPÈRE
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Les médecins de famille doivent entamer des discussions sur la cessation de la médication et les objectifs des soins avec les patients dont l’espérance de vie est limitée.
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La décision des patients au sujet du refus des traitements ou de la cessation de la médication peut se produire en une seule fois ou se prendre avec le temps, alors que les traitements spécifiques, les médicaments et les appareils sont graduellement retirés.
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Il faut revoir et modifier fréquemment les objectifs des soins quand on prend en charge des problèmes médicaux concomitants. La nécessité de prendre certains médicaments ainsi que leur mode et leur fréquence d’administration doivent être évalués régulièrement.
BOTTOM LINE
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Family physicians need to initiate discussions about medication withdrawal and goals of care with patients with limited life expectancy.
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Patients’ decision making about declining treatment or withdrawing medication might occur all at once or might take place over time, with specific treatments, medications, and devices being gradually withdrawn.
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Frequent review of and amendments to goals of care are necessary when managing medical comorbidities. The need for certain medications, as well as their route and time of administration, should be evaluated regularly.
Dossiers en soins palliatifs est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et rédigée par les membres du Comité des soins palliatifs du Collège des médecins de famille du Canada. Ces articles explorent des situations courantes vécues par des médecins de famille qui offrent des soins palliatifs dans le contexte de leur pratique en soins primaires. N’hésitez pas à nous suggérer des idées pour de futurs articles à palliative_care{at}cfpc.ca.
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1.
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This article is also in English on page 304.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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