Dans ce débat, je ne défendrai pas la position radicale voulant qu’un médecin de famille ne devrait jamais traiter les membres d’une même famille. Je remettrai plutôt en question la proposition selon laquelle un médecin de famille devrait idéalement traiter tous les membres de la famille et que les familles qui n’ont pas la chance d’avoir un seul et même médecin pourraient y perdre au change.
Curieusement, cet idéal n’est explicite nulle part dans les 4 principes de la médecine familiale, peut-être parce qu’il «va de soi», ou encore parce que nous reconnaissons qu’un médecin de famille peut fournir d’excellents soins sans tenir compte de cette règle non écrite?
À la différence d’un cardiologue qui ne traiterait pas les problèmes cardiaques ou d’un pédiatre qui ne soignerait pas d’enfants, il est possible de concevoir un médecin de famille qui ne suit pas la famille entière. En dépit du titre, il n’y a pas de contre-indication logique ou pratique à une telle réalité. Le mot «familiale» dans la médecine familiale ne fait pas référence à la population ni à un organe précis qui serait le point de mire de la discipline.
Cela explique peut-être la raison pour laquelle je ne me suis jamais senti à l’aise avec le titre. Je suis des patients dans une clinique où je supervise des stagiaires. J’offre des cliniques sans rendez-vous et fais des services de garde à l’urgence. J’ai déjà fait du travail d’hospitalier et dispensé des soins palliatifs. Je traite différentes sortes de patients dans divers milieux, mais je traite des patients - des individus - pas des familles.
Confidentialité et conflit d’intérêts
Les problèmes les plus évidents dans les soins à l’ensemble d’une famille sont la confidentialité et le conflit d’intérêts. Je concède que les vrais dilemmes médico-légaux ou éthiques sont rares, mais le stress est réel et fréquent et peut considérablement influencer la relation médecin-patient. En traitant les membres d’une famille, on a un aperçu plus complexe de la dynamique familiale, mais cette complexité distrait souvent de ce que le patient choisit de divulguer.
L’action des patients qui consiste à présenter leur point de vue de la réalité est fondamentale dans l’anamnèse médicale. C’est la base d’une bonne médecine. Cependant, les patients mentent à leur médecin pour toutes sortes de raisons. Même sans mensonge, les modifications et les nuances sont des parties nécessaires de tout récit. Nous devons accepter le droit qu’ont nos patients de présenter leur version et ne pas nous préoccuper d’essayer de concilier des versions divergentes. Après tout, nous sommes des médecins et non pas des inspecteurs ou des avocats.
Il est bien sûr important d’en apprendre sur la famille du patient; mais la seule ou la meilleure façon de le faire n’est pas de traiter sa famille. Le patient peut et doit dire à son médecin ce qu’il juge important, comme et quand il le veut.
On partage beaucoup de choses dans une famille: une maison, des biens et des responsabilités. Mais, dans les familles les plus fonctionnelles, chaque membre garde certaines choses à l’écart de l’unité familiale - un espace intime. La relation médecin-patient peut très bien être l’un de ces espaces. Un patient, conscient qu’il a été dépeint au «médecin de famille» comme un père bon et aimant et un époux heureux, pourrait hésiter davantage à parler de ses symptômes de dépression, de ses frustrations, de ses problèmes de toxicomanie et de ses infidélités. Il serait peut-être mieux pour lui d’avoir son «propre» médecin.
Surestimation des avantages
Les aspects pratiques sont souvent cités comme un avantage d’avoir un seul médecin pour toute la famille. C’est vrai que cela peut sauver du temps, mais habituellement, quelqu’un en est pénalisé. Nous avons tous rencontré des couples dans lesquels l’un des partenaires parle sans arrêt et l’autre a de la difficulté à placer un mot. Que dire de la mère qui (encore une fois) ne subit pas son test de Papanicolaou parce les enfants sont venus en même temps pour leurs vaccins?
Pour le meilleur ou pour le pire, rares sont les médecins de famille qui se sentent à l’aise avec tous les types de patients. Si le principe que les médecins de famille devraient traiter les familles au complet est perçu comme une obligation, les médecins se trouvent contraints d’accepter des patients qu’ils ne se sentent pas à l’aise de suivre. De plus, si le fait d’accepter un nouveau patient veut dire accepter toute la famille, cela crée un dilemme préférentiel. Un médecin devrait-il accepter M. Smith pour compléter sa famille Smith plutôt que M. Jones? Un médecin de famille devrait-il être fier du nombre de familles complètes qu’il suit?
La médecine familiale est déjà perçue par beaucoup comme une discipline difficile qui donne plus de responsabilités et moins de récompenses que d’autres spécialités. L’ajout d’une autre attente irréaliste - l’obligation de la famille entière - pourrait en décourager un plus grand nombre encore de choisir la médecine familiale.
Tous les patients sont égaux
Dans notre société multiculturelle moderne, la notion même de la famille est flexible et largement définie pour éviter d’offenser qui que ce soit. Les relations importantes de nombreuses personnes ne s’inscrivent pas nécessairement dans une définition claire et précise de la famille. Qui décide? Ou, de manière plus provocante, qui s’en soucie? Pour toutes les familles heureuses et unies, il y en a bien d’autres malheureuses. Je suis un médecin, je ne suis pas un thérapeute familial. Je dois connaître les sources de stress et de conflits de mes patients, et ce pourrait très bien être leur famille. Cela ne veut pas dire que je doive prendre tous ses membres pour patients, ni faut-il que je rencontre le patron du patient (et encore moins le prendre comme patient).
Je soigne bien sûr des familles complètes et j’ai de la satisfaction à le faire pour de nombreuses raisons. Je ne crois cependant pas leur offrir des soins supérieurs à ceux que je donne à mes patients «orphelins». J’essaie de ne pas négliger le rôle de la famille et les autres facteurs importants de la vie de mes patients simplement parce que les autres membres de leur famille ne sont pas sur ma liste de patients.
Les médecins traitent des patients - des individus - pas des familles. Pour bien faire notre travail, nous devons essayer de comprendre le contexte de la maladie et du bien-être du patient sur de nombreux plans: biologiques, psychologiques, spirituels et sociaux, y compris familiaux. Je peux le faire en écoutant mes patients. Traiter tous les membres d’une famille n’apporte pas nécessairement plus à la relation fondamentale en médecine, qui est la relation entre le médecin et le patient.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Soigner les patients d’une même famille présente un conflit d’intérêts et un problème de confidentialité. Cela permet d’avoir un aperçu plus complexe de la dynamique familiale, mais une telle complexité distrait souvent de ce que le patient choisit de confier. On devrait accorder la prépondérance à la version du patient.
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Même les familles très unies ont besoin d’intimité et la relation médecin-patient devrait procurer cet espace intime pour que les patients se sentent à l’aise de divulguer leurs problèmes.
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L’obligation de traiter la famille entière est une attente irréaliste qui pourrait décourager de nouveaux médecins de choisir la médecine familiale. Elle peut aussi entraîner une définition inéquitable de critères pour accepter de nouveaux patients.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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