
Durant la récente campagne, la Boussole électorale en ligne demandait à certains répondants d’évaluer leur accord avec les énoncés suivants:
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Ça m’inquiète que la politique publique ne s’appuie pas suffisamment sur des données scientifiques éprouvées.
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La politique contemporaine devrait être dirigée par le populisme et le bon sens.
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J’ai bien peur que le rôle des experts et des professionnels produise de l’élitisme et de l’injustice.
L’inclusion de tels énoncés dans un sondage de l’opinion politique nationale souligne l’existence d’une tension grandissante entre ceux qui valorisent la recherche scientifique et le rôle des médecins, et ceux qui favorisent les méthodes anecdotiques, l’opinion populaire et la substitution aux médecins. On qualifie le monde médical de modèle démodé qui ne produit pas les meilleurs résultats en santé, et certains non-experts rejettent publiquement des traitements éprouvés scientifiquement. Les politiciens, conscients des attitudes volatiles des électeurs, s’avancent à dire qu’il faut limiter le financement de la recherche et que les engagements en matière de sciences ne sont pas des promesses qui font élire un gouvernement.
Substituer la science par des opinions mal fondées peut être dévastateur pour la santé, comme le démontre l’histoire de la vaccination. Un nouveau livre par Paul A. Offit, chef des Maladies infectieuses au Children’s Hospital de Philadelphie, le prouve bien1. De la variole à la diphtérie, en passant par le tétanos, la coqueluche, la varicelle, la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), l’Haemophilus influenzae de type b (Hib), l’hépatite B, les pneumocoques, le rotavirus, le papillomavirus et l’influenza, ce livre retrace les batailles entre la science et les mouvements anti-vaccins. Plutôt que d’être considérés en héros, les partisans de la vaccination sont dépeints comme l’ennemi. Des « experts » célèbres, comme Jenny McCarthy, Jim Carrey et Bill Maher, ont fait des déclarations totalement fausses dans les grands médias sur les effets indésirables des vaccins et trompé le public en sous-estimant les conséquences de maladies évitables par un vaccin. Les opposants aux vaccins ont prétendu qu’ils causaient le diabète, l’épilepsie, le syndrome de mort subite, la sclérose en plaques, l’invagination, le cancer et l’autisme, en dépit des recherches scientifiques prouvant le contraire.
Aujourd’hui, les vaccins sont sûrs et efficaces. L’incidence des réactions graves est minuscule en comparaison des risques que posent les maladies qu’ils préviennent. Cependant, leur efficacité est compromise si trop peu de personnes dans une collectivité sont immunisées. Une telle situation catastrophique s’est produite après que The Lancet ait publié un article par Dr Andrew Wakefield disant que le vaccin ROR avait causé l’autisme chez plusieurs enfants. D’autres recherches n’ont jamais pu corroborer ses conclusions. On a découvert que Wakefield avait été payé par des personnes qui poursuivaient un fabricant du vaccin ROR qui aurait supposément rendu leurs enfants autistiques. The Lancet s’est rétracté et le nom de Wakefield a été radié du registre médical de l’Angleterre. Malgré tout, lui et ses partisans ont continué d’alléguer la légitimité de ses conclusions. Les taux de vaccination ROR ont baissé considérablement, réduisant ainsi l’immunité collective et entraînant des éclosions de rougeole, des centaines d’hospitalisations et plusieurs décès. Le mouvement anti-vaccins persiste à prétendre que les conclusions de Wakefield font l’objet d’une conspiration médicale; des milliers l’appuient et rejettent le vaccin ROR.
Le rejet des données scientifiques en faveur des vaccins par un mouvement populiste a suscité des débats sur la valeur relative de la recherche scientifique par rapport aux croyances populaires et le poids à leur accorder dans les politiques publiques. Certains ont essayé de légiférer sur l’immunisation obligatoire, y compris de bannir des écoles les enfants non vaccinés. Cependant, les tribunaux ont habituellement donné raison à ceux qui refusaient le vaccin, s’appuyant sur le droit à la liberté religieuse ou « philosophique ».
Les droits de la minorité devraient-ils avoir préséance sur ceux de la collectivité? Dans le livre d’Offit, une mère dans une collectivité où l’immunité de masse était insuffisante pour prévenir une éclosion d’infections au Hib a failli voir sa fille, pourtant vaccinée, mourir de la méningite: « Les parents doivent comprendre que leur décision de ne pas faire vacciner touche aussi les enfants des autres. Je ne trouve pas juste qu’une personne comme Jenny McCarthy rejoigne tant de gens alors que ma petite fille ne peut pas se faire entendre1. »
Dans une ville où on a mis en quarantaine des centaines de personnes en raison d’une épidémie de rougeole causée par 1 enfant non vacciné, on a demandé à une mère si le libre-choix était juste: « Oui, mais ces enfants ne doivent pas fréquenter les mêmes écoles, magasins ou cabinets de médecin que nous et doivent aller vivre dans leur propre île de maladies infectieuses1. »
Les troupes qui s’opposent aux médecins et à la recherche et luttent contre les faits en faveur des vaccins sont nombreuses; elles font partie d’une armée convaincue que l’opinion populaire vaut mieux que la recherche médicale et que ce sont plutôt les partisans de la médecine factuelle qui devraient aller vivre sur leur propre île.
Footnotes
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This article is also in English on page 632.
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