Pourquoi donc vivons-nous si ce n’est pour se rendre, les uns les autres, la vie moins difficile?
George Eliot (traduction libre)
J‘ai vécu l’autre jour un moment « ah! ah! », l’un des nombreux dont j’ai fait l’expérience depuis que j’ai le privilège d’être président du Collège des médecins de famille du Canada. Celui-ci était plutôt aigre-doux; il ne m’a pas fait bondir de joie ni m’a-t-il inspiré un enthousiasme renouvelé pour mon travail au quotidien. Non, cette fois, c’est une affirmation que j’avais souvent entendue, répétée par un collègue à l’occasion d’un souper, qui m’a remis à l’esprit une désolante réalité. Il disait que les soins de santé, c’est-à-dire ce que nous faisons chaque jour de notre vie professionnelle, ne représentent qu’une contribution de 25 % à 30 % environ au bien-être d’une personne, le reste étant attribuable à sa situation socioéconomique, à la géographie et à ses prédispositions génétiques. Vous pouvez décider de croire ou non à cette affirmation, mais je vous rappelle que, si tout le monde a droit à son opinion, on ne peut pas changer les faits à son gré. Après tout, en dépit des grandes sommes d’argent que nous dépensons chaque année dans le secteur de la santé, obtenons-nous vraiment le genre de résultats et de succès que nous souhaiterions?
Le bon côté
Si je n’étais pas de nature aussi optimiste, ces faits auraient pu me déprimer. Dans cette affirmation, il est implicitement reconnu que, même si je faisais tout à la perfection en ce qui concerne les soins à mes patients, je n’aurais toujours pas d’effet sur les trois quarts de leur santé. Certains pourraient croire que nous sommes très limités dans notre capacité d’influencer les résultats en matière de santé; par ailleurs, moi je crois que cette réalité nous offre de magnifiques possibilités d’influencer ce qui nous a toujours semblé être les éléments moins « médicaux » de la vie de nos patients. J’irais même jusqu’à prétendre que c’est dans notre description de tâches, en tant que médecins de famille, de le faire avec plus de conviction et de zèle que jamais. Réfléchissez aux 4 principes de la médecine familiale1. Ils sont aujourd’hui toujours aussi pertinents qu’ils l’étaient et ils définissent clairement notre rôle en tant qu’experts médicaux et ressources auprès de nos communautés. C’est alors nettement notre mission de défendre les intérêts de nos patients qui vivent dans des logements inférieurs aux normes, qui n’ont pas suffisamment d’assurance-médicaments et qui n’ont pas les moyens d’acheter de la nourriture pour leur famille. Une récente conversation que j’ai eue avec une jeune femme monoparentale dans ma pratique a mis cette question en évidence. En dépit de ses 2 emplois, elle doit chaque jour faire le choix difficile entre acheter de la nourriture pour ses enfants ou des médicaments pour son diabète. Je n’ai pas à vous dire lequel de ces choix elle fait, ni dois-je vous expliquer les impacts de cette décision sur sa santé.
Puiser à même l’expérience
Si nous voulons être véritablement centrés sur le patient, nous devons être capables d’aller au cœur de l’expérience de nos patients et cela signifie les accompagner en tant que réels partenaires dans leurs soins alors qu’ils essaient de vivre dans un monde de plus en plus complexe et coûteux. Nous devons nous rappeler que les soins de santé ne commencent pas seulement aux portes de nos établissements de santé et de nos cabinets, mais qu’ils s’étendent jusqu’aux salons, aux cours d’école et aux milieux de travail de nos patients et de nos communautés. Nous sommes sans aucun doute des experts médicaux; par contre, les personnes que nous soignons sont les spécialistes d’elles-mêmes, de leurs propres vies. Nous devons puiser dans leur expertise de manière à ce que nous puissions élargir notre portée et avoir plus d’effets sur leur santé. Cette approche conjointe - des médecins de famille véritablement en partenariat avec les personnes qu’ils soignent et qu’ils représentent pour qu’elles aient de meilleurs soutiens et programmes - en est une que les décideurs auraient de la difficulté à ignorer et qui aurait une influence considérable sur les résultats que nous voulons tous désespérément améliorer.
Footnotes
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This article is also in English on page 853.
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