Les décideurs, les professionnels des soins primaires et les patients ont besoin de renseignements de grande qualité au sujet du rendement de leur système de soins primaires pour leur permettre de prendre des décisions éclairées et d’allouer efficacement les ressources. Lorsque différentes compétences mesurent le rendement de leur secteur des soins primaires de façon semblable, il est possible de déterminer quels facteurs dans la prestation des services de soins primaires sont associés à de meilleurs résultats. Si l’on comprend mieux ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, il est plus facile d’améliorer les systèmes de soins primaires, de justifier les politiques et d’orienter les efforts de réforme. Cet article porte sur la façon d’améliorer la mesure, la comparaison et les rapports sur le rendement du secteur des soins primaires, notamment ce que nous en savons déjà, les limitations des données et comment il faut procéder pour obtenir les données dont nous avons besoin. Finalement, ce travail a pour but de contribuer à améliorer la santé et la longévité à l’échelle de la population.
Cadre conceptuel
Un modèle conceptuel peut aider à assurer que toutes les caractéristiques qui définissent les soins primaires soient prises en compte quand des indicateurs sont élaborés dans le but de mesurer et de communiquer le rendement du secteur des soins primaires. En 1966, Donabedian a publié ses travaux désormais classiques sur l’évaluation de la qualité des soins de santé1. Inspirés par son cadre de travail, de nombreux efforts ont été réalisés au cours des dernières décennies pour décortiquer les composantes des soins primaires2–6. La majorité de ces modèles comportent les composantes de la structure, du processus et des résultats1. L’Institute of Medicine aux États-Unis a élaboré un cadre qui a servi à planifier la réforme des soins primaires et à créer des outils de collecte de données pour mesurer la qualité de la prestation des soins primaires2,4,5,7–9. Le cadre de Starfield10 incluait la structure, le processus et les résultats, dans toutes les catégories reliées à la capacité, au rendement et à l’état de santé. Campbell et ses collaborateurs2 ont identifié la nécessité de faire une distinction entre la qualité sur le plan individuel et celle sur le plan de la population. D’autres11 ont mis en évidence la gamme des contributions organisationnelles apportées par les gouvernements à l’appui des soins primaires. L’Organisation pour la coopération et le développement économiques12 a identifié les facteurs en jeu à la fois sur les plans micro et macro, ainsi que l’importance d’un cadre qui tient compte de la complexité des soins primaires13. Lamarche et ses collaborateurs14 ont constaté que des facteurs tels que l’environnement de la pratique ont aussi de l’importance.
Un cadre conceptuel pour comparer des modèles de prestation des soins primaires élaboré à l’Université d’Ottawa, en Ontario, s’appuie sur cet ensemble de travaux4. La plus importante contribution de ce nouveau modèle conceptuel est le domaine structurel qui décrit le contexte dans lequel les soins sont prodigués, y compris le large système de santé global, le contexte régional de la pratique et l’organisation locale de la pratique. Il est essentiel de comprendre le contexte de la pratique et le profil socioéconomique des patients quand on interprète les mesures du rendement. Le projet Comparaison des modèles de soins primaires en Ontario se sert de ce cadre pour déterminer quels sont les facteurs organisationnels associés aux meilleurs résultats15.
Données sur le rendement
Le cadre conceptuel n’est que la première étape. Pour chaque dimension, il faut choisir des indicateurs pour «mesurer» la qualité de la prestation des soins16–18. Par exemple, le pourcentage de visites de patients à l’urgence qui auraient pu être réglées dans des pratiques de la communauté est un des indicateurs d’accès aux services de soins primaires.
Des données publiées, y compris des enquêtes auprès de professionnels entreprises par le Fonds du Commonwealth, démontrent que le Canada se classe à répétition dans les rangs les plus bas parmi les pays développés au chapitre du rendement des soins primaires19. Par exemple, le Canada (43 %) et les États-Unis (29 %) se classent dans les 3 derniers rangs en ce qui a trait à la proportion de pratiques organisées pour offrir aux patients un accès aux soins d’un médecin ou d’une infirmière après les heures de bureau20. C’est considérablement moins que dans des pays comme les Pays-Bas (97 %), la Nouvelle-Zélande (89 %) et le Royaume-Uni (89 %). C’est au Canada qu’on trouve la plus faible proportion (37 %) de médecins qui utilisent les dossiers médicaux électroniques (DME), suivi par les États-Unis (46 %)19.
La plus importante limitation des données sur le rendement du système de soins primaires est leur absence généralisée20,21. Cette lacune est importante parce que le débat public sur les façons d’améliorer notre système de santé est alimenté par l’information qui est disponible. Il existe pourtant des données détaillées sur d’autres secteurs du système de santé, comme celui des hôpitaux de soins aigus. Il n’est pas surprenant que les débats publics sur les questions entourant les hôpitaux, comme les temps d’attente pour une chirurgie, soient chose courante, tandis que parallèlement, les difficultés dans les soins primaires ne sont pas débattues dans la même mesure22. L’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) a récemment publié un rapport de 120 pages sur la santé au cours de la dernière décennie au Canada, dans lequel il est reconnu que l’efficacité des soins primaires demeure, dans une large mesure, une boîte noire21. Le manque de données sur la mesure du rendement des soins primaires contribue aux mauvais rendements des soins primaires au Canada16. Des travaux préparatoires sur des indicateurs pour les soins primaires ont commencé à l’ICIS23, notamment la production d’une liste de 105 indicateurs (des données sur environ 30 d’entre eux sont recueillies systématiquement).
Une autre contrainte est le fait que l’information sur le rendement dont on fait rapport est la moins coûteuse à recueillir, mais pas la plus importante. Par exemple, on utilise souvent des sondages téléphoniques, qui ont de faibles taux de réponse et reposent sur le souvenir des patients longtemps après qu’ils aient visité leur médecin. Pour obtenir un aperçu complet du rendement des soins primaires, nous devons ajouter d’autres moyens que les sondages téléphoniques actuels auprès des patients et des professionnels.
Il est tentant d’utiliser les bases de données administratives sur la santé pour la surveillance du rendement parce que ces données sont déjà recueillies systématiquement (et il est moins coûteux d’utiliser des données déjà existantes que d’en recueillir de nouvelles données), elles se fondent sur la population et on peut relier entre elles différentes composantes des soins. Par ailleurs, il n’est pas facile de comparer les renseignements des bases de données administratives entre les provinces (p. ex. au Canada, chaque province mesure différemment des aspects semblables de la santé) et il y a des lacunes considérables d’information sur des aspects cruciaux de la prestation des soins primaires (p. ex. au Canada, il n’y a pas de données sur les services fournis par des non-médecins ou sur les soins reçus par des Canadiens autochtones qui vivent dans les réserves ou sur les Canadiens qui servent dans l’armée). Faire des liens entre les incitatifs financiers au rendement et un cadre de résultats de qualité, comme on l’a fait au Royaume-Uni24,25, ou les indicateurs de rendement-et-diligence utilisés en Alberta26, enrichit davantage les bases de données administratives sur la santé. Même s’ils joueront un rôle important dans les dimensions mesurées, comme la continuité relationnelle et la prestation de services préventifs, ils ne contiendront jamais tous les renseignements dans les dossiers des patients.
Les résumés de dossiers peuvent fournir les renseignements les plus solides sur certaines dimensions des soins, en particulier les aspects techniques. L’extraction à distance de données à partir des DME pourrait un jour se révéler moins coûteuse en éliminant la nécessité de se déplacer pour visiter les pratiques. À court terme, par contre, il est impossible d’obtenir un échantillon représentatif des pratiques ou des professionnels dans des pays comme le Canada, où seulement 37 % des pratiques de soins primaires utilisent des DME19. Il pourrait ne jamais se produire qu’un échantillon représentatif de médecins acceptent de donner un accès à distance ou des copies de leur DME à des fins de mesure du rendement. Au moins pour l’instant, il est nécessaire d’aller dans chaque pratique pour accéder aux données techniques détaillées sur la qualité des soins contenues dans les dossiers des patients. Même l’extraction sur place de données dans les dossiers comporte ses limites. Il n’est pas possible d’extraire de bons renseignements s’ils ne sont pas consignés de manière fiable (p. ex. des renseignements sur la promotion de la santé)27. Pour cette dimension et d’autres, comme la compétence culturelle, la confiance, les soins centrés sur le patient, il est nécessaire d’échanger directement avec les patients, ce qui peut aussi être fait en visitant la pratique.
Bien que la visite de pratiques soit très coûteuse, l’un de ses principaux avantages est la capacité qu’elle procure de choisir au hasard un échantillon et de recruter des pratiques dans une région donnée. Un adjoint de recherche va ensuite dans la pratique pour procéder à la cueillette de données à l’aide d’une série de démarches qui fournissent un aperçu complet. La cueillette de données peut commencer dans la salle d’attente par un sondage auprès des patients à leur arrivée et immédiatement après qu’ils aient vu leur médecin. Parce que les patients répondent au sondage immédiatement après avoir vu le professionnel, ils peuvent se rappeler avec exactitude ce qui s’est passé. Les sondages auprès des patients permettent de saisir les activités de tous les professionnels (pas seulement les médecins) et donnent la possibilité d’obtenir le consentement de relier les renseignements à l’information des bases de données administratives et aux vérifications de dossiers. Quand on aborde ainsi les patients, ils sont souvent très disposés à révéler des renseignements sensibles à propos d’eux-mêmes et de leurs contextes, comme leur situation socioéconomique28. De plus, on peut demander à l’administrateur de la pratique de répondre à un questionnaire général, et les professionnels peuvent remplir une très courte fiche de données à propos de chaque patient rencontré, à l’aide de techniques mises au point dans les systèmes de collecte de données National Ambulatory Medical Care Survey29 et Bettering the Evaluation and Care of Health9 aux États-Unis et en Australie. Enfin, une vérification des dossiers des patients, sur papier ou informatisés, peut être effectuée sur place. Toutes les composantes de la collecte de données sont alors reliées. L’échantillonnage des patients consécutifs dans la salle d’attente de la pratique a aussi, bien sûr, ses limites. Il est plus probable que les patients les plus malades répondent au sondage, parce qu’ils visitent le cabinet plus fréquemment.
Mise en œuvre d’un système de mesure du rendement
Il est possible de régler toutes les questions d’éthique et de protection des renseignements personnels entourant ce travail, qui a déjà été fait d’ailleurs, quoiqu’à une plus petite échelle15. Des organismes gouvernementaux ou quasi gouvernementaux, comme l’ICIS au Canada, sont bien placés pour se charger de ce travail. Un système de mesure du rendement de cette ampleur est coûteux, mais nécessaire. Les organismes responsables de la formation des médecins, comme le Collège des médecins de famille du Canada, devraient être des partenaires-clés dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un système de mesure et de rapport crédible, pertinent, objectif et transparent. La participation de ces organismes rassurerait considérablement les médecins de famille, leur permettant de croire que la mesure du rendement est élaborée et menée de manière appropriée, et les encouragerait à y participer.
Il est démontré que les rapports publics sur le rendement apportent des améliorations modestes aux soins30,31. Des rapports à l’échelle du système peuvent motiver le changement et l’investissement32,33. Il faut recueillir d’autres données sur le rendement, y compris des données obtenues directement dans les pratiques, dans toutes les provinces et les pays, de manière uniforme, pour permettre des comparaisons et aider à déterminer les attributs des systèmes de soins primaires qui fonctionnent le mieux. Des renseignements complets sur le rendement aideront à bâtir de meilleurs systèmes de soins primaires et, finalement, à améliorer l’état de santé et la longévité à l’échelle de la population.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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