De nos jours, prescrire des opioïdes pour traiter la douleur chronique non cancéreuse (DCNC) est une pratique courante et généralement acceptée. Cette façon de procéder est conforme aux recommandations de l’American Pain Society et l’American Academy of Pain Medicine publiées en 2009, lesquelles stipulent que «Chronic opioid therapy can be an effective therapy for carefully selected and monitored patients with chronic noncancer pain»1, tout comme celles émises au Canada en 2010 par le National Opioid Use Guideline Group: «In patients with chronic noncancer pain, opioids may be effective and should be considered»2.
Or, un article publié ce mois-ci sous la section RxFiles (page 907) vient mettre en doute la justesse de ces recommandations. Karras et coll. affirment: «Evidence from randomized controlled trials suggests opioids have a small to moderate effect on pain and function in OA when compared to placebo» et «A recent observational trial of healthy older adults with arthritis found that compared with NSAIDS, opioids were associated with a much higher risk of composite fracture»3.
Ces mises en garde sont troublantes, mais elle ne concernent que les patients âgés souffrant d’ostéo-arthrose. Or, une méta-analyse publiée en 2006, chez des patients souffrant de la DCNC est plus troublante. Les résultats révélaient que les opioïdes n’amélioraient pas le fonctionnement des patients, et que plus du tiers des patients abandonnaient leur traitement.4
Néanmoins, comme si cela n’était pas suffisant, voilà que la publication des recommandations du National Opioid Use Guideline Group donnait lieu à diverses réactions, parmi lesquelles celles de Dr Roger Chou le premier auteur des lignes américaines1. Il écrivait dans l’édition-même où les recommandations voyaient le jour: «In the Canadian guideline, just 3 of 24 recommendations were classified as based on randomized controlled trials. Nineteen recommendations were based solely or partially on consensus opinion». Il ajoutait «[T] he developers of the guidelines found that what we know about opioids is dwarfed by what we don’t know»5. Peut-on émettre un commentaire plus dur?
Ainsi, s’il faut en croire ces divers avis, non seulement les opioïdes ne soulageraient-ils que peu ou modérément la douleur, mais encore n’amélioraient-ils pas le qualité de la vie des patients qui les prennent et pourraient même générer de effets indésirables sérieux. Qui plus est, les recommandations nous incitant à les prescrire ne sont pas basées sur des données probantes. Voilà bien des critiques pour un traitement si couramment utilisé.
Il importe donc de faire le point sur la valeur réelle des opioïdes dans la DCNC, et ce pour 2 raisons principales. Premièrement, il s’agit-là d’un phénomène très répandu: on estime que le quart, voire même le tiers des canadiens souffriraient de telles douleurs6,7. C’est donc dire que quelques millions de personnes au Canada en éprouveraient, incidemment 38% des personnes âgées institutionnalisées et 27% de ceux qui restent à la maison souffriraient de telles douleurs8. Deuxièmement, par sa définition-même, la DCNC est une douleur qui perdure: on estime que la douleur chronique dure en moyenne 10 ans7. Il y a tout lieu de croire que pendant cette période, les autres modalités thérapeutiques disponibles ont été prescrites depuis longtemps et sont apparues inefficaces. Les analgésiques mineurs tels que l’acétaminophène et les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les co-analgésiques, tous les traitements topiques et les soins physiques comme les modalités alternatives ont sans doute été recommandés et se sont tous révélés inefficaces, autrement la DCNC n’existerait plus! Il existe donc une haute probabilité que nous prescrivions des opioïdes à tous ces patients. Pas surprenant d’ailleurs qu’on ait observé au cours des dernières années une augmentation drastique de la consommation de ces médicaments au Canada.
Il importe donc d’établir la valeur réelle des opioïdes dans le traitement de la DCNC et de ne pas baser cette pratique uniquement sur un consensus d’experts, aussi compétents soient-ils.
Footnotes
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This article is also in English on page 864.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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