Dr D’Urzo offre une éloquente défense en faveur de la collaboration entre les médecins de famille et l’industrie pharmaceutique dans des projets de recherche. Mais, en définitive, cette défense repose sur de fausses présomptions. Pour commencer, mettons un terme à l’idée qu’il y a une multitude de nouveaux médicaments sur le marché chaque année qui sont pertinents aux médecins de famille. Prescrire International évalue les nouveaux médicaments et les nouvelles indications d’anciens médicaments mis en marché en France. De 2000 à 2009, la revue a examiné 984 nouveaux médicaments et nouvelles indications, et n’en a qualifié que 95 (9,7 %) de novateurs, ce qui en représente environ 9 par année. De plus, bon nombre de ces médicaments sont destinés à des problèmes auxquels les médecins de famille ne sont pas confrontés1. Selon son rédacteur en chef, le bulletin hollandais sur les médicaments Geneesmiddelenbulletin a examiné 92 nouveaux médicaments entre septembre 2000 et février 2011 qui étaient principalement d’intérêt pour les soins primaires. Aucun d’entre eux n’a été jugé comme étant un progrès thérapeutique important et seulement 5 (5,4 %) étaient considérés comme ayant une valeur utile (D. Bijl, communication par courriel, juin 2011).
Dr D’Urzo mentionne à juste titre la nécessité que les médecins de famille assument la responsabilité d’une sage intendance des ressources limitées, mais il semble croire qu’accepter des échantillons de médicaments est un exemple d’intendance avisée. Il a été démontré que l’utilisation d’échantillons menait à des ordonnances inappropriées pour l’hypertension et, dans l’ensemble, à des prescriptions plus coûteuses2,3. Ces constatations ne devraient pas surprendre - les médicaments plus récents sont presque invariablement plus chers et, parce qu’ils sont nouveaux et n’ont fait l’objet d’essais que dans des populations peu nombreuses et relativement homogènes, on en sait beaucoup moins sur leurs profils de sécurité et d’efficacité dans la réalité.
Dr Urzo se demande «comment les tactiques d’exclusion envers l’industrie pharmaceutique permettent aux médecins de prendre des décisions plus éclairées quand ils prescrivent des médicaments». La réponse est claire: les renseignements que les compagnies pharmaceutiques donnent aux médecins ne sont pas fiables. Une récente synthèse critique analysait les effets de recevoir des renseignements directement de l’industrie pharmaceutique sur les comportements en matière d’ordonnances. Elle portait sur 58 études et se penchait sur 3 dimensions des prescriptions - qualité, coût et fréquence. Dans presque tous les cas, les comportements demeuraient les mêmes ou se dégradaient. À l’exception d’une étude qui démontrait des coûts moins élevés, il n’y avait aucune preuve que les comportements en matière d’ordonnance s’étaient améliorés4.
Enfin, la collaboration avec les compagnies pharmaceutiques se traduit-elle par de meilleurs résultats pour les patients? Quiconque répond par l’affirmative devrait réfléchir au fait qu’aux États-Unis, entre 2006 et 2010, des entreprises pharmaceutiques se sont vu imposer des amendes de près de 15 milliards $, principalement pour la promotion illégale d’utilisations non indiquées5.
Les compagnies pharmaceutiques font un bon travail dans la fabrication de médicaments, mais il devrait y avoir un pare-feu entre elles et la recherche sur leurs produits. On revendique de plus en plus d’autres modes de financement de la recherche clinique6,7. Plutôt que de préconiser l’acceptation de fonds de l’industrie pharmaceutique, la médecine familiale devrait adhérer à ce mouvement.
Footnotes
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This article is also in English on page e277.
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Ces réfutations sont les réponses des auteurs des débats dans le numéro d’août ( Can Fam Physician 2011;57:870–3[ang], 874–7[fr])
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Intérêts concurrents
Dr Lexchin a été expert-conseil auprès d’une firme d’avocats représentant Apotex en 2007. De 2007 à 2008, il a été consultant auprès du gouvernement fédéral dans sa défense contre une poursuite visant à contester l’interdiction de la publicité directe aux consommateurs de médicaments d’ordonnance. En 2010, il a été expert-conseil auprès d’une firme d’avocats qui représentait la famille d’un patient présumé être décédé d’un effet secondaire d’un médicament fabriqué par Allergan Inc. Il est présentement membre du groupe de direction à Healthy Skepticism et membre du Conseil d’administration de Health Action International Europe.
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Références
Voir les références à la page e277.
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